Le nouveau portrait de Rimbaud d'août 1873
Surprise, après avoir découvert les bluffantes créations de Luc Loiseaux grâce à l'Intelligence Artificielle, fausses photos qui ont fait sensation, controverse et débat sur Ia toile et qui aurait sans doute amusé Arthur lui-même à l'instar de la directrice du Musée Rimbaud à Charleville-Mézières y voyant justement résonance avec le célèbre "il faut être absolument moderne" du poète, je tombe sur une autre photo dont je n'avais pas connaissance - décidément je ne suis pas à la page! Il s'agit de celle de Rimbaud photographié par un autre photographe qu'Etienne Carjat dont on connait le cliché icônique, mythique datant de septembre 1871, qui est aussi une création mais sur la base d'une photo authentique... du poète "voyant" et qui a contribué largement à son aura planétaire. Cette autre photo "oubliée" ainsi que l'indique le titre du livre Rimbaud, la photographie oubliée de Gérard Dôle que je n'ai pas lu et qui raconte son histoire a été prise par un photographe moins connu que Carjat ou Nadar, un nommé Pierre Petit (je le découvre en même temps) qui a tout de même rendu plus proche de nous Delacroix que Nadar. Est-ce une photo authentique? Est-ce Arthur Rimbaud? Voir un nouveau portrait de Rimbaud est toujours assez déroutant, car il bouscule nos représentations connues. Les photos de 1870, c'est un gamin boudeur, une tête à claques, que Carjat a su magnifier avec un génie égal au poète dans son célèbre portrait en septembre 1871, peu de temps après sa rencontre de Verlaine qui a été photographié par le même, mais sans trucage. Là ce serait un témoignage saisissant, qui fait écho à la toile montrant Rimbaud alité à l'hôpital Saint-Jean à Bruxelles, qui serait alors la dernière pièce iconographique avant celle-ci révélée par Gérard Dôle, séparée d'elle par peut-être moins d'un mois, peut-être plus. Rappelons que Rimbaud donne la date de rédaction à la fin de Une Saison en enfer: avril-août, et que la nouvelle photo date précisément du mois d'août, mais on ne sait pas quand précisément. En tout cas cela prouverait qu'Arthur Rimbaud se rendit à Paris pour se faire tirer le portrait. En vue de la promotion d'Une Saison en enfer? Pas impossible, même si Jacques Bienvenu trouverait plus cohérent qu'il l'ait fait en octobre. Pour ma part je vois bien Rimbaud le faire dans un élan, quand il est emballé par son projet de publication, donc aussitôt achevé son chef-d'oeuvre, et non pas quand l'enthousiasme est retombé... et ça se passe comme ça chez Arthur Rimbaud!...
Arthur Rimbaud blessé par Jef Rosman, entre le 10 et 20 juillet 1873.
Arthur Rimbaud? Août 1873. On remarque qu'une partie de sa chevelure, à droite est invisible sous l'éclairage et qu'il a une barbe naissante, un collier.
Je suis convaincu. On pas de mal à le croire lorsqu'il dit dans Une Saison en enfer ("Alchimie du Verbe"): "Ma santé fut menacée [...] j'étais mûr pour le trépas". Ce que l'on voit, c'est un survivant. Le regard est intérieur, mais les visions chassées. Derrière lui. Le voilà le "bateau perdu... jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau" du Bateau ivre datant de l'été 1871 (août-septembre), tandis que la photo de Carjat incarnait plutôt le poète plongé dans ses visions, bien qu'il semblait déjà miné par la tristesse, rempli de désillusion comme il l'exprima quelque temps après dans "Bannière de mai" en 1872: "rien de rien ne m'illusionne". La photo de Carjat fixait autant le visionnaire que cette désillusion, que l'enfant triste qui lâche un papillon de mai (Bateau ivre), Rimbaud qui comptait conquérir Paris avec son Bateau ivre avait été déçu par la réception qu'on lui fit, sa meurtrissure l'avait sans doute poussé à faire scandale lors d'une fameuse soirée qui a marqué les Vilains-Bonhommes et dont le tableau de Fantin-Latour portait les traces, avec un poète effacé comme le fut Jeanne Duval dans L'Atelier de Courbet. Là, avec cette nouvelle photo datant peut-être d'un mois après le drame de Bruxelles, le coup est accusé. L'abandon de la poésie est pour ainsi dire fixé, même si les Illuminations seront un magnifique sursis, un chant du Cygne inespéré qu'on croyait, et lui-même alors, être Une Saison en enfer, modeste ouvrage imprimé en octobre 1873 dont il se désintéressa presque aussitôt, tout juste le temps d'envoyer des exemplaires aux amis, surtout à Verlaine en prison, qui dut le prendre comme un coup de massue en même temps qu'être ébloui par la force inouïe de ce récit qu'on peut qualifier d'autobiographie poétique à l'instar d'Aurélia (1855) de Gérard de Nerval dont j'ai souligné la parenté avec Une Saison en enfer dans mon roman Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur (à lire sur ce blog). On a dit aussi combien les photos connues d'Arthur Rimbaud en Arabie et Afrique nous le montrait étonnament sous un jour différent, chacune dissemblables, comme la célèbre découverte en 2010 prise à l'Hôlel de l'Univers à Aden, mais ici l'on dira que le portrait le plus proche du nouveau portrait parmi les trois envoyés aux siens et abîmés par mauvaise maîtrise du développement par ses mains est assurément celui-ci.
Et dans le vis à vis de ces deux clichés on entre en résonance avec en particulier ce passage d'Une Saison en enfer:
"Je reviendrais avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
"Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève."
C'est dans cette photo présumée authentique datant d'août 1873 qu'on voit le plus le paysan raté, mais paysan quand même. "Paysan!" se jugera t-il dans le l'épilogue d'Une Saison en enfer ("Adieu"), expliquant d'autant plus qu'il se rendit à la terre "avec un devoir à étreindre et la réalité rugueuse à chercher", lui qui ne participa pas aux travaux agricoles de sa famille à Roche, comme le nota superbement sa soeur Vitalie: "la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu'elle ne lui permit pas de se mêler aux travaux manuels" (Journal de Vitalie), cela faisant écho avec ce qu'il écrivait alors comme magistrale justification: "la main à plume vaut la main à charrue." ("Mauvais sang" dans Une Saison en enfer).
Dans cette photo d'août 1873, on perçoit aussi aux commissures des lèvres l'ironie et le sarcasme pas loin, jamais loin, celui des poèmes de première jeunesse du Cahier de Douai comme Vénus Anadyomène ou Le bal des pendus, celui qui s'entend dans plusieurs lettres, notamment à des associés en Afrique (à Ilg, le 1er février 1888, 4ème paragraphe, au même 29 mars 1888, 3ème paragraphe par exemple), le premier "rire moderne" relevé par Alain Borer lorsque Rimbaud éclate de rire en voyant lors de son retour à Roche en train en 1891 un jardinier soigner des plates-bandes - d'amarantes? (poème Bruxelles, 1872), anecdote saisissante rapportée par sa soeur Isabelle dans Le dernier voyage de Rimbaud.
On peut aussi rapprocher la nouvelle photo des premiers portraits de Rimbaud par Carjat. Je me suis amusé à faire ce montage.
Montage Rimbaud en photo 1870-1873, la troisième sous réserve.
Jacques Bienvenu a émis des doutes à propos de Rimbaud qui aurait été au mois d'août se faire photographier alors qu'il était sorti depuis peu de l'hôpital, mais il en est sorti le 20 juillet, Arthur était d'une santé robuste et s'écoutait peu, on en a eu la preuve en Afrique... Du reste, ce n'est pas à cause de son poignet blessé qu'il ne partagea pas les travaux agricoles de sa famille comme le note sa soeur Vitalie, mais parce qu'il avait mieux à faire..., on connaît la suite que j'ai cité. Or il est sorti de l'hôpital Saint-Jean à Bruxelles pour rentrer à Roche le 20 juillet. On imagine bien qu'au moins les onze jours suivants étaient des jours de moisson qui commençaient ou se poursuivaient. D'après Gérard Dôle, Rimbaud serait allé à Paris début août, au plus tard le 15, donc Une Saison en enfer a été achevé dans la première quinzaine. Une douzaine de jours lui a largement suffit à achever son chef-d'oeuvre commencée au printemps. Sa motivation se trouvait à son comble pour le publier. Il a sans doute pensé qu'une photo de lui servirait à la promotion de cette oeuvre, et celle devenue célèbre de Carjat ne pouvait faire office, elle incarnait le passé avec Verlaine en plus de dater de deux ans. Il lui fallait un nouveau portrait, si possible par un autre photographe, on connait le différent qu'il eut avec Carjat... Apparemment il avait des amis qui surent le conseiller sur un photographe, Pierre Petit était tout indiqué. Notons aussi que lors de son séjour à Bruxelles entre le 8 et 10 juillet, Rimbaud a pu trouver un éditeur pour son futur livre. Qui sait si il est allé à Bruxelles seulement pour rejoindre Verlaine ou si le "hasard" ne l'a pas poussé sur son chemin? Mais, il pouvait aussi connaître son futur éditeur depuis longtemps, il n'en est pas à son premier voyage à Bruxelles. Pour que la publication soit faite en octobre il a fallu qu'il envoie ou donne en main propre son manuscrit des mois à l'avance. Donc on peut considérer que dans la foulée il alla à Bruxelles, photo et manuscrit en main après s'être photographié à Paris, à moins qu'il ne soit revenu de Paris à Charleville pour prendre son manuscrit avant de se rendre à Bruxelles. Notons encore qu'on ne sait rien des activités de Rimbaud entre août et fin octobre 1873, à part ces indications: en août il achève Une Saison en enfer et en octobre il est achevé d'imprimer et qu'il se rend alors à Bruxelles. Avec cette photo on en sait un peu plus, si elle est authentique. On peut dire qu'Une Saison en enfer est la photographie de lui-même par lui-même la plus réussie. Un instantané d'une saison (en fait deux, mais il faut comprendre "période": avril-août), il lui fallait aussi une photo qui le représente, qui incarne par son visage ce qu'il a traversé. Ce sera la photo de Pierre Petit. D'ailleurs, j'apprends par Wikipédia que "C'est chez lui qu'Étienne Carjat, jusque là caricaturiste de presse apprend la photographie." De plus, "il contribue au siège de Paris et à la Commune par son témoignage photographique en prenant des clichés comme ceux de la rue de Rivoli éventrée par les bombes ou des scènes du champ de bataille d'Ivry." Que Rimbaud ait sympathisé avec les Communards au minimum il n'y a pas de doute là-dessus, donc Petit était d'autant plus indiqué pour le prendre en photo. Par contre je ne peux me prononcer plus pour l'instant sur la question de Rimbaud Communard qui occupe si j'ai bien compris la majeure partie du livre de Gérard Dôle. Jacques Bienvenu a par ailleurs fourni sur son site du matériau de valeur sur cette question avec l'inscription d'un certain Rimbaud Communard à mon souvenir. On a parlé de photo de promotion qu'il verrait plus logique en octobre, mais en fait, il ne s'agit peut-être pas d'une photo de promotion, mais pour se faire connaître en tant qu'auteur à l'éditeur, et surtout peut-être Rimbaud espère t-il - un peu naïvement - que cette photo sera placée à la fin de son livre (cela ne se faisait peut-être pas encore en quatrième de couverture), comme on le voit par exemple pour le roman Paul et Virginie dans une réédition de 1838.
Ce qu'on voit à droite de la couverture de l'édition originale de Une Saison en enfer est l'illustration pour la section consacrée à Arthur Rimbaud dans l'édition originale de Les Poètes maudits par Paul Verlaine, paru en 1884. Rimbaud en rêvait pour Une Saison en enfer, mais avec le nouveau portrait par Pierre Petit plus parlant à ses yeux, plus à la page... Sur l'édition originale d'Une Saison en enfer (1873) qui ne comporte aucune illustration, voir les renseignements donnés dans le lien ci-dessous:
https://www.edition-originale.com/fr/litterature/editions-originales/rimbaud-une-saison-en-enfer-1873-43745
Les photos de Carjat inaugurent la relation Rimbaud-Verlaine, celle de Petit scelle sa fin - d'où l'importance capitale d'une telle photo qui manquait à l'iconographie. Photographiquement et chronologiquement, il renaîtra sous nos yeux par ses zigues grâce à trois photos envoyées aux siens en mai 1883, mais elles sont si détériorées qu'on peine réellement à voir son visage, brouillé qu'il est, et à voir le même visage dans les trois, - on l'a déjà dit. Ces trois "autoportraits" ne valent guère mieux en ressemblance que le seul "autoportrait" qu'il ait fait de lui à la plume dans la lettre de mai 1873 dite de "Laïtou", celle des trois photos envoyées aux siens où on le reconnaît le plus étant la troisième à droite.
Voici maintenant en vis à vis les trois photos controversées des treize dernières années, dans l'ordre de gauche à droite: fin 2022, 2015, 2010.
D'emblée celle du milieu est à éliminer. Personnellement je l'élimine, sa netteté ne laisse aucun doute, aucune ressemblance globale. En revanche je n'élimine pas celle d'Aden. Pour plusieurs raisons: primo, son manque de netteté laisse une grande marge de possibilité; deuxio on ne voit pas qui cela pourrait être à part Rimbaud qui fait tache parmi les autres, qui aimante comme dans Un coin de table de Fantin-Latour (le Commissaire Belpomme l'avait dit!); troisio, il y a une filiation spirituelle ou autrement dit une cohérence dans l'évolution des expressions de visage conformément au contexte entre la première et la troisième, ou entre celles connues de 1871, celle de 1873 et celle d'Aden, ce n'est pas le cas pour celle du milieu; quatro, les expertises scientifiques ont montré qu'il était ressemblant à 92 %, et qu'il le soit à 92% alors qu'elle est postérieure de dix à quinze ans après celles de Carjat, cela renforce à mon avis l'authentification (voir https://www.lexpress.fr/culture/livre/sur-la-photo-c-etait-bien-rimbaud_1507318.html . Voir aussi mes articles à ces sujets, en particulier: http://rimbaudpassion.canalblog.com/archives/2022/09/09/39623965.html
Le plus étonnant, c'est qu'une photo créée par Luc Loiseaux via l'Intelligence Artificielle ait fait sensation sur le Net lors de sa publication le 7 juin 2023, alors que celle-ci de Pierre Petit (au moins authentique là-desus) pas du tout. Jacques Bienvenu attribue ce fait à la controverse d'un Rimbaud Communard clairement affiché par Gérard Dôle. Le créateur pour qui il était insupportable de ne pas avoir plus de photos de Rimbaud aurait dû être comblé par celle-ci découverte un an avant, sans remettre en question son talent de créateur et d'illusionniste avec comme associé l'IA et l'intérêt d'une telle démarche artistique. Cela est d'autant plus surprenant que cette nouvelle photo datée d'août 1873 est argumentée par un livre, Rimbaud la photographie oubliée (de Gérard Dôle, éditions Terre de brume, novembre 2022). Finalement l'artifice prévaudrait-il sur l'authentique? On ne cherche plus à se documenter, et les réseaux sociaux fonctionnant par buzz ont très peu valeur de documents hélas. Or c'est là qu'on situe la vérité!... C'est là qu'on vient chercher l'information que l'on tiendra pour vraie.
Et le plus drôle c'est quand même de mettre les deux en vis à vis, voir ce que ça donne!
Franchement, vous ne trouvez pas, apparat mis à part, que je lui ressemble pas plus au mec de droite?
Moi vers 1993, quand j'étais encore dans la secte... à peu près à l'âge de Rimbaud en 1873.
Voilà. J'avoue ne pas avoir envie de m'investir plus que ça pour le moment à ce sujet, j'ai d'autres chats à fouetter comme on dit et je reviendrai probablement dessus ultérieurement, quand j'en aurai envie et quand j'aurai lu Rimbaud, la photographie oubliée, ce qui peut advenir tardivement. Et puis il me faut du temps pour intégrer éventuellement cette nouvelle photo dans l'iconographie rimbaldienne personnelle et dans mon paysage mental concernant Rimbaud. On remarquera que la netteté telle qu'on en a pas d'équivalente à part sur la première de Carjat est assez troublante. Si c'est lui, il nous parait encore plus vivant, plus proche tout en étant lointain, il est clairement plus familier dans un sens - parce qu'on se dit que ce pourrait être frérot - que celle intemporelle de Carjat qui paradoxalement nous est réellement plus familière juste parce qu'emblème du poète, mythique. Là on est singulièrement plus proche de la première photo de Carjat donc, celle d'un Rimbaud qui fait tout de même moins rêver, car plus réaliste, on devine le Rimbaud voyant et voyou (du moins dans son passé). Le flou permet davantage le rêve. Tout ce qu'on a de Rimbaud en photographie après la première photo de Carjat, c'est flou, et celle-ci bouscule ce fait, s'il s'agit bien d'Arthur Rimbaud et non d'un sosie ou apparenté contemporain. Mais difficile de ne pas voir - en mettant notre dérangement de côté, en cherchant à être objectif - que ce jeune homme entre en cohérence et résonance avec l'iconographie rimbaldienne et qu'il est celui qui vient de traverser l'enfer raconté dans Une Saison - ou du moins on a pas de candidat plus crédible jusqu'à maintenant pour occuper cette place difficile. Qu'il interpelle! C'est lui qui dit dans le brouillon d'Une Saison en enfer: "L'art est une sottise". Jugement qu'il corrigera, absent du texte imprimé. Les Illuminations prouvent malgré lui qu'il avait tort (mais il parlait à un certain niveau de réalité), si on en juge par la postérité qu'ont eu ces proses. En somme il faut relire les Poésies (1870-1871), en particulier Le Bateau ivre avec la célèbre photo de Carjat sous les yeux, mais aussi avec sa première (enfant boudeur), et il faut relire Une Saison en enfer avec la nouvelle photo de Rimbaud en août 1873 par Pierre Petit sous les yeux. C'est émouvant. Cette lecture je la tiens comme test de vérification de l'hypothèse. Ce n'est pas qu'émouvant, ça crève le coeur, et avec ça, ça crève les yeux que c'est lui. Le prologue me fend le coeur. Cela prend voix, corps, un relief singulier comme son visage. J'arrive à "Mauvais sang", je trouve drôle qu'il dise en son début: "Mais je ne beurre pas ma chevelure". Là, éprouvé, rescapé, transformé, il semble se l'être beurré, on dirait aujourd'hui mettre du gel (je l'ai fait souvent dans mon adolescence...)
Un artisan au Harar, Photo par Arthur Rimbaud, 1883.
J'avoue avoir été depuis longtemps hanté par cette photo, une des rares photographies qu'il ait prise, je me suis posé la question si ce n'était pas Rimbaud lui-même qui se mettait en scène, j'y vois une similitude avec le portrait de la "tronche à machin" dessiné par son ami Ernest Delahaye, en tout cas elle résonne là avec ma relecture d'Une Saison en enfer: "Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil". Bon, les orties, on peut les chercher longtemps, la lèpre n'est pas évidente, mais on imagine un lépreux ainsi, les pustules en plus, en tout cas moi tel que j'en vis dans les péplums bibliques. Si ce n'est pas lui - le plus probable, en tout cas le plus admissible - n'a t-il pas pensé alors à lui écrivant Une Saison en enfer, à lui qui s'était rasé la tête en signe de deuil après la mort de sa soeur de Vitalie Rimbaud le 18 décembre 1875? De fait, il n'écrivit à notre connaissance plus un poème après cette mort de celle qui dans son précieux journal donna l'unique témoignage sur la période de Rimbaud écrivant à Roche, puis de Rimbaud en Angleterre en 1874, pendant qu'il poursuit de composer avec Germain Nouveau à ses côtés des proses qui seront rassemblées sous le titre Illuminations. C'est aussi avec le nouveau portrait d'août 1873 qu'il faut relire ce recueil, celui-ci d'ailleurs comportant des pièces datant de 1873. On peut relire même avec sous les yeux le célèbre portrait de Carjat puis le nouveau portrait les lettres dites "du Voyant", pour comparer.
Arthur Rimbaud se sentait très proche de sa sa soeur Vitalie, et on comprend pourquoi lorsque l'on lit l'expression poétique de son amour pour la nature. Elle est une poétesse en prose morte trop tôt pour développer un goût pour la poésie qu'on lit à plusieurs endroits de son Journal, par exemple juste après son témoignage sur son frère écrivant: "Combien de fois ne suis-je pas allée, dans ces délicieuses soirées de juillet, quand tout, après avoir joui de la chaleur du jour, reposait dans la solitude de la nuit, m'asseoir sur le petit banc de pierre situé sous une charmille dans notre jardinet, et là, pensive et abandonnée, je me laissais aller aux douces émotions que me procuraient toutes les beautés de la nature." Plus loin: "...c'est ainsi que j'entends ces grands arbres parler à mon oreille maintenant; ils me rappellent tout doucement, presque tout bas, les battements de mon coeur quand je traversais le pont du canal pour me rendre chez ma tante alors que je n'avais dans ce temps que le désir de demeurer dans ces lieux réellement charmant." L'auteur de Sensation ne pouvait qu'affectionner une telle âme, à ce point sensible à la nature, une proche de l'auteur des Rêveries d'un promeneur solitaire...
Vitalie Rimbaud, soeur d'Arthur, ou l'âme d'une poétesse. Voir aussi https://lequichotte.com/2013/02/13/poeme-de-vitalie-rimbaud/ (contenant le poème "La fleur" que je viens de découvrir en lisant l'article de Wikipédia sur Vitalie Rimbaud, soeur d'Arthur). On remarquera du reste l'étrangeté de cette photo due à une tête qui paraît disproportionnée par rapport au corps, ainsi que les mains, surtout la droite. Ses yeux et ses sourcils, son regard nous interrogeant sont tout autant étranges.
J'arrête là, vraiment cette fois-ci, après avoir un peu dévié de mon sujet (mais pas tant). Je suspens pour l'instant aussi ma lecture de Une Saison en enfer et cette étude, de toute façon intimement convaincu pour l'instant que la photo de Pierre Petit est bien un nouveau portrait de Rimbaud. Peut-être suis-je naïf, Rimbaud l'était (Roman...), alors on ne peut m'en blâmer. Je sais combien on peut se tromper par rapport à Rimbaud, j'ai cru voir Rimbaud barbu alors qu'il s'agissait d'Ilg! (voir mon article "Rimbaud barbu", je sais enfin combien on peut facilement projeter et se convaincre. Alors je suis d'autant plus prudent. Mais là je vois davantage de sérieux à cette hypothèse. En tout cas, comme je l'ai dit pour "Rimbaud barbu" ICI, on ne fait pas une étude sérieusement (au moins), si elle n'est sérieuse dans ses conclusions, en vain, on (re)découvre toujours des choses intéressantes en chemin, et puis cette possibilité grande d'un nouveau portrait trouvé mine de rien fait rêver, oui maintenant même celle-ci qui me perturbait! Rimbaud passion toujours!
02-04 Juillet 2023
Liens:
Sur la fausse photo d'Arthur Rimbaud par Luc Loiseau, soi-disant prise par un certain Balthazar le 1er novembre 1873:
.20minutes.fr/culture/4041433-20230615-intelligence-artificielle-raconte-histoire-fausse-photo-arthur-rimbaud-suscite-emoi
"TV5 Monde vrai fausse photo de Rimbaud" https://www.youtube.com/watch?v=lW_2Wla6SzE&ab_channel=TV5MONDEInfo
Sur la vraie photo de Pierre Petit datant d'août 1873 et qui représenterait Arthur Rimbaud:
https://laregledujeu.org/2023/06/25/39436/une-nouvelle-photo-darthur-rimbaud/
http://rimbaudivre.blogspot.com/2022/11/un-nouveau-portrait-de-rimbaud.html
On lira avec intérêt les commentaires laissés par Gérard Dôle révélant des choses qu'il a tu dans son livre. Cette histoire est complexe à comprendre, demande à lire le livre (Rimbaud, la photographie oubliée).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Petit_(photographe)