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Rimbaud passion
29 mai 2014

Etude des "proses évangéliques"

Cette page n'est pas achevée (manque l'iconographie à la fin)

 

PROSES EVANGELIQUES (étude)

 

Les proses évangéliques sont assez hermétiques, cette impression d'hermétisme s'explique d'autant plus qu'il recèle de références bibliques, clé de compréhension pour moitié, l'autre étant Rimbaud lui-même qui, plus que de parodier les cinq premiers chapitres de l'Evangile de Jean, se les approprie plutôt pour, à travers « une forêt » de symboles dont lui seul semble posséder la clé, se peindre dans la profonde crise spirituelle où il se trouve depuis avril 1873. Il est fort possible que ces proses évangéliques qui ont trois parties, soient les trois fragments faits dont il parle à son ami Delahaye en mai 1873 (leurs manuscrits au dos des brouillons d'Une saison ne peuvent infirmer cette hypothèse et tendent plutôt au contraire). Les proses évangéliques, sont sans doute des travaux à la fois en marge et préparatoires des brouillons d'Une Saison en enfer qui suivra la lettre. On ne peut aussi qu'être frappé par cette revisitation d'une partie de l'évangile de Jean par Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud qui ira à l'hôpital Saint Jean en juillet 1873 et se fera inscrire à l'hôpital de la Conception à Marseille sous le nom Jean Rimbaud en 1891, peu avant sa mort..., et bien sûr frappé par la connaissance biblique de Rimbaud qui n'est pas si étonnante vu l'éducation religieuse intense qu'il a eu par sa mère et dont garde le souvenir un poème comme Les poètes de sept ans.

Voici donc une tentative de pénétration des proses évangéliques qui m'avaient toujours jusque là paru inaccessibles et même d'une écriture plutôt froide, toute en retrait, en secret, contrairement à Une Saison en enfer qui est l'explosion du bouton que représente ces proses, écrites au printemps, peut-être en avril.

Je décortique par passages. Mais auparavant, lisons le texte intégral, peut-être en nous laissant bercer sans chercher à comprendre:

 

 

Proses évangéliques

 

 

 

À Samarie, plusieurs ont manifesté leur foi en lui. Il ne les a pas vus. Samarie la parvenue, l'égoïste, plus rigide observatrice de sa loi protestante que Juda des tables antiques. Là la richesse universelle permettait bien peu de discussion éclairée. Le sophisme, esclave et soldat de la routine, y avait déjà après les avoir flattés, égorgé plusieurs prophètes.
C'était un mot sinistre, celui de la femme à la fontaine : "Vous êtes prophète, vous savez ce que j'ai fait."
Les femmes et les hommes croyaient aux prophètes. Maintenant on croit à l'homme d'État.
À deux pas de la ville étrangère, incapable de la menacer matériellement, s'il était pris comme prophète, puisqu'il s'était montré là si bizarre, qu'aurait-il fait ?
Jésus n'a rien pu dire à Samarie.

 

*

L'air léger et charmant de la Galilée : les habitants le reçurent avec une joie curieuse : ils l'avaient vu, secoué par la sainte colère, fouetter les changeurs et les marchands de gibier du temple. Miracle de la jeunesse pâle et furieuse, croyaient-ils.
Il sentit sa main aux mains chargées de bagues et à la bouche d'un officier. L'officier était à genoux dans la poudre : et sa tête était assez plaisante, quoique à demi chauve.
Les voitures filaient dans les étroites rue de la ville ; un mouvement, assez fort pour ce bourg ; tout semblait devoir être trop content ce soir-là.
Jésus retira sa main : il eut un mouvement d'orgueil enfantin et féminin : "Vous autres, si vous ne voyez point des miracles, vous ne croyez point."
Jésus n'avait point encor fait de miracle. Il avait, dans une noce, dans une salle à manger verte et rose, parlé un peu hautement à la Sainte Vierge. Et personne n'avait parlé du vin de Cana à Capharnaüm, ni sur le marché, ni sur les quais. Les bourgeois peut-être.
Jésus dit : "Allez, votre fils se porte bien." L'officier s'en alla, comme on porte quelque pharmacie légère, et Jésus continua par les rues moins fréquentées. Des liserons, des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavés. Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grâce au jour.

 

 

Beth-Saïda, la piscine des cinq galeries, était un point d'ennui. Il semblait que ce fût un sinistre lavoir, toujours accablé de la pluie et moisi [1]; et les mendiants s'agitant sur les marches intérieures blêmies par ces lueurs d'orages précurseurs des éclairs d'enfer, en plaisantant sur leurs yeux bleus aveugles, sur les linges blancs ou bleus dont s'entouraient leurs moignons. Ô buanderie militaire, ô bain populaire. L'eau était toujours noire, et nul infirme n'y tombait même en songe.
C'est là que Jésus fit la première action grave ; avec les infâmes infirmes. Il y avait un jour, de février, mars ou avril, où le soleil de deux heures après midi, laissait s'étaler une grande faux de lumière sur l'eau ensevelie ; et comme, là-bas, loin derrière les infirmes, j'aurais pu voir tout ce que ce rayon seul éveillait de bourgeons et de cristaux et de vers, dans ce reflet, pareil à un ange blanc couché sur le côté, tous les reflets infiniment pâles remuaient.
Alors tous les péchés, fils légers et tenaces du démon, qui pour les cœurs un peu sensibles, rendaient ces hommes plus effrayants que les monstres, voulaient se jeter à cette eau. Les infirmes descendaient, ne raillant plus ; mais avec envie.
Les premiers entrés sortaient guéris, disait-on. Non. Les péchés les rejetaient sur les marches, et les forçaient de chercher d'autres postes : car leur Démon ne peut rester qu'aux lieux où l'aumône est sûre.
Jésus entra aussitôt après l'heure de midi. Personne ne lavait ni ne descendait de bêtes. La lumière dans la piscine était jaune comme les dernières feuilles des vignes. Le divin maître se tenait contre une colonne : il regardait les fils du Péché ; le démon tirait sa langue en leur langue ; et riait au monde [2]
Le Paralytique se leva, qui était resté couché sur le flanc, franchit la galerie et ce fut d'un pas singulièrement assuré qu'ils le virent franchir la galerie et disparaître dans la ville, les Damnés.

 

[1] j'ai choisi « moisi » plutôt que noir ou noirci, puisque que le moisi s'accocie bien avec l'humidité. De plus on trouve le mot noir plus bas.

[2] Plutôt que « niait » j'ai choisi « riait » qui est le choix de l'édition de la Pléiade. Mais j'y ajoute les deux mots qui peuvent se lire à la suite, raccrochés: « au mond »

 

 

Tentative de pénétration des Proses évangéliques

 

 

1 - à Samarie plusieurs ont manifesté sa foi en lui...

 

à Samarie plusieurs ont manifesté sa foi en lui. Il ne les a pas vus.

 

Référence à la ville de Samarie du « royaume du Nord » qui au temps des rois était rivale de Jérusalem , (II Chroniques 25:5-13; 2 Rois 14:8-14) et adversaire de Juda. Pour replacer le contexte historique, selon la Bible, à la mort du roi Salomon au IXè siècle avant J-C, le royaume de David éclate en deux parties: au sud, le royaume de Juda avec pour capitale Jérusalem, et au nord, le royaume d'Israël avec pour capitale la ville de Samarie. Ce second royaume prit fin avec la prise de Samarie par les Assyriens en -721 et l'exil d'une partie de la population.

Mais l'époque du texte de Rimbaud est située au temps des Apôtres, après la mort de Jésus qui n'a pas vu de nombreux samaritains épouser le christianisme naissant avec joie (Actes 8:1-7).

 

Samarie [s'enorgueillissait] la parvenue, [la perfide], l'égoïste, plus rigide observatrice de sa loi protestante que Juda des tables antiques.

 

Qu'il y ait avec « la loi protestante » une allusion au protestantisme en Angleterre, n'enlève rien à la pertinence du propos vis à vis de Samarie: la religion samaritaine étant différente de celle des juifs.

Les samaritains avaient leur propre pentateuque et ce peuple idôlatre qui avait restauré le culte du veau d'or avaient fait construire un temple sur le mont Guérizim pour rivaliser avec celui de Jérusalem; enfin, leur « loi protestante », leur pentateuque, prétend que ce mont est celui où Moïse reçut les lois.

 



Là la richesse universelle permettait bien peu de discussion éclairée. Le sophisme, esclave et soldat de la routine, y avait déjà après les avoir flattés, égorgés plusieurs prophètes

 

Par « richesse universelle, il faut entendre l'argent, la richesse matérielle qui domine la richesse spirituelle. Hébreux 11: 32-38. Mais l'expression peut être utilisé ironiquement pour parler du faste dont s'entourait la cour de Samarie: « la maison aux ivoires » (I Rois 22:39; Amos: 3-12, 15; 6: 1, 4) retrouvée lors de fouilles archéologiques en témoigne et rendent tangible les inégalités sociales dénoncées par les prophètes Amos et Osée. C'était encore une histoire d'or et d'argent qui avaient opposés Juda et Samarie (II rois 14:8-14; 2 Chroniques 25:17-24) Les mots « sophisme », « esclave », « soldat » nous replonge dans la Palestine sous le joug romain. L'apôtre Paul (Colossiens 2:8) avait mis en garde contre ceux qui voudraient entraîner les chrétiens « au moyen de la philosophie et d'une vaine tromperie », «vaine tromperieé » étant une définition assez juste du sophisme. Le sophisme grec était bien vivant à cette époque. La « discussion éclairée » fait songer à la maïeutique de Socrate, qui pleine de sagesse s'oppose au sophisme. Enfin, la Lettre aux Hébreux de Paul évoque tous les prophètes persécutés, tués par le passé, notamment par la reine Jézabel, adoratrice comme les samaritains du dieu Baal (I Rois 19: 10)

 

C'était un mot sinistre, celui de la femme à la fontaine: « Vous êtes prophètes, vous savez ce que j'ai fait. »

 

Rimbaud évoque l'épisode de la samaritaine puisant de l'eau pour Jésus (Jean 4: 1-26); mais dans l'évangile la femme dit: « Monsieur, je vois que vous êtes prophète. Nos ancêtres ont adoré dans cette montagne (le mont Guérizim); mais vous dites que c'est à Jérusalem qu'est l'endroit où on doit adorer. » Aussi, Rimbaud transforme les paroles de la samaritaine pour éclairer les mots précédants relatifs aux prophètes égorgés. Elle est là en tant que représentante de tout son peuple qui le reconnaît comme du royaume des prophètes: « vous êtes prophètes », sous-entendu «vous, judéens ». D'ailleurs les samaritains croyaient en la venue du Messie, et la samaritaine va bientôt découvrir qu'elle est en train de lui parler. En disant: « Vous savez ce que j'ai fait », elle porte toute l'identité de Samarie, toute sa culpabilité.

 

Les femmes et les hommes croyaient aux prophètes. Maintenant on croit à l'homme d'état.

 

C'est encore une vérité: certains juifs voudront voir en Jésus politique, celui qui les délivrera du joug des romains.

 

À deux pas de la ville étrangère, incapable de la menacer matériellement, s'il était pris comme prophète, puisqu'il s'était montré là si bizarre, qu'aurait-il fait?

Jésus n'a rien pu dire à Samarie.

 

L'épisode de la samaritaine se situait à Sychar (en Galilée) près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph.

La «ville étrangère » « à deux pas », c'est Samarie. La construction de la phrase est complexe et l'accord des temps pas cohérent. Il faut lire: Qu'aurait fait Jésus, incapable de menacer Samarie matériellement, s'il avait été pris pour un prophète, puisqu'il s'était montré si bizarre au puits avec la samaritaine?

Rimbaud veut dire qu'il est incapable de pouvoir spirituel sur Samarie tout comme il est n'en a aucun pouvoir matériel sur elle, et même en raison même de ce fait. Au final, Jésus ne ferait que décevoir les attentes de Samarie comme il a déçu celles de juifs.

Aussi, Jésus s'est trouvé sans voix devant Samarie.

Prophète, Jésus se trouve damné, et c'est Rimbaud qui se peint face à la société en tant que poète-prophète (« TU VATES ERIS » comme il l'avait écrit dans un devoir de collège) et son sentiment d'échec est perceptible dans ce passage des brouillons d'Une Saison en enfer: où il dit qu'il a été berné par Satan qui lui a soufflé à l'oreille les « magies, les mysticismes, les parfums faux, les musiques naïves » qui ont menaçé sa santé à travers sa recherche poétique de dérèglement de tous les sens: « Alors les poètes sont damnés » conclut-il. » pour se reprendre: « Non ce n'est pas encore cela. » et il se prend à regretter comme un prophète qui a échoué dans sa mission de changer le monde: « Et dire que je détiens la vérité ».

 

2 - L'air léger et charmant de la Galilée...



L'air léger et charmant de la Galilée : les habitants le reçurent avec une joie curieuse : ils l'avaient vu, secoué par la sainte colère, fouetter les changeurs et les marchands de gibier du temple. Miracle de la jeunesse pâle et furieuse, croyaient-ils.

Changement de scène. Rimbaud passe à l'épisode suivant celui de la Samaritaine dans l'évangile de Jean: (4:1-26) donc de la Samarie à la Galilée (Samarie située à environ 50 km au nord de Jérusalem est à mi-chemin entre cette dernière et la Galilée). Là, Jean dit que Jésus avait « témoigné qu'un prophète n'est pas honoré dans son propre pays », parole rapportée en des termes similaires dans les autres évangiles. Jésus sera prophète en Galilée: « les Galiléens l'acceuillirent, parce qu'ils avaient vu toutes les choses qu'il avait faite à Jérusalem pendant la fête. » Il s'agit de Pâques. Rimbaud évoque quant à lui un épisode du chapitre 2 (13-17) qui celui de la colère de Jésus au temple contre les marchands.


Il sentit sa main aux mains chargées de bagues et à la bouche d'un officier.L'officier était à genoux dans la poudre : et sa tête était assez plaisante, quoique à demi chauve.
Les voitures filaient dans les étroites rue de la ville ; un mouvement, assez fort pour ce bourg ; tout semblait devoir être trop content ce soir-là.
Jésus retira sa main : il eut un mouvement d'orgueil enfantin et féminin : "Vous autres, si vous ne voyez point des miracles, vous ne croyez point."

L'officier est celui de Jean 4:46. Jésus guérit son fils mourant. Il avait dit aux incrédules: « Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne me croirez pas. » Rimbaud semble prêter le pouvoir de Jésus par une action sur les mains et la bouche de l'officier. La formule paraît lourde: « il sentit sa main aux mains... » Dans le manuscrit, Rimbaud avait écrit d'abord « la ». Il s'agit de la main guérisseuse que lui confère le pouvoir de Dieu son Père. On peut lire aussi « il sentit la main de son Père ». Mais l'évangile ne mentionne aucun toucher, Jésus dit à l'officier qui lui demande de venir: « va, ton fils vit. » Confusion avec un autre épisode? On voit en tout cas que Rimbaud arrange la scène à sa fantaisie; la rend vivante par des détails physiques ou le déplacement des voitures.
Jésus n'avait point encor fait de miracle. Il avait, dans une noce, dans une salle à manger verte et rose, parlé un peu hautement à la Sainte Vierge. Et personne n'avait parlé du vin de Cana à Capharnaüm, ni sur le marché, ni sur les quais. Les bourgeois peut-être.
Jésus dit : "Allez, votre fils se porte bien." L'officier s'en alla, comme on porte quelque pharmacie légère, et Jésus continua par les rues moins fréquentées. Des liserons, des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavés. Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grâce au jour.

 

Par un flash-back faisant retarder le miracle attendu et que Jésus lui même avec un malin plaisir semble suspendre (« Jésus n'avait point fait encore de miracle », Rimbaud évoque les noces de Cana (Jean chap 2: 1-12) où il changea l'eau en vin et où il rembarra sa mère ici dénommée ironiquement « Sainte Vierge », alors qu'il lui parlait, lui son fils, en chair et en os. C'est encore par ironie que seuls les bourgeois, peut-être, ont parlé de ce prodige.

Enfin Rimbaud cite les paroles de Jésus à l'officier: « Allez, votre fils se porte bien. » Jésus s'isole ensuite et semble s'immerger dans la nature, comme Rimbaud écrivant ces pages à Roche (voir la lettre de Laïtou, mai 1873).

 

3 - Bethsaïda, la piscine des cinq galeries...

 

Bethsaïda, la piscine des cinq galeries, était un point d'ennui. Il semblait que ce fût un sinistre lavoir, toujours accablé de la pluie et moisi, et les mendiants s'agitaient sur les marches intérieures blêmies par ces lueurs d'orages précurseurs des éclairs d'enfer, en plaisantant sur leurs yeux bleus aveugles, sur les linges blancs ou bleus dont s'entouraient leurs moignons. O buanderie militaire, ô bain populaire. L'eau était toujours noire, et nul infirme n'y tombait même en songe.

Rimbaud reprend à sa sauce le texte de Jean au chapitre 5, en particulier huit premiers versets. Jean dit qu'à Jérusalem, près de la porte des moutons, il y avait une piscine appelée en hébreu Bethsaïda , avec cinq colonnades.

Tandis que le paralytique se plaignait à Jésus de ne pouvoir se mettre dans la piscine (ou « lavoir ») « quand l'eau est agitée », un autre descendant avant lui, Rimbaud en fait un lieu insalubre où « nul infirme n'y tombait même en songe. »

C'est là que Jésus fit la première action grave ; avec les infâmes infirmes. Il y avait un jour, de février, mars ou avril, où le soleil de 2 h ap. midi, laissait s'étaler une grande faux de lumière sur l'eau ensevelie, et comme, là-bas, loin derrière les infirmes, j'aurais pu voir tout ce que ce rayon seul éveillait de bourgeons et de cristaux, et de vers, dans ce reflet, pareil à un ange blanc couché sur le côté, tous les reflets infiniment pâles remuaient.

Les infirmes avaient alors le desir de sillonner l'eau de la piscine.

Alors tous les péchés, fils légers et tenaces du démon, qui pour les coeurs un peu sensibles, rendaient ces hommes plus effrayants que les monstres, voulaient se jeter à cette eau. Les infirmes descendaient, ne raillant plus ; mais avec envie.


Ce fut en effet la première action grave de Jésus, puisqu'il guérit un paralytique depuis 38 ans et lui dit de prendre sa couchette et de marcher... le jour du sabbat. Cela était considéré comme un travail et on ne pouvait travailler ce jour-là. On reprocha cette action à Jésus et fera partie des accusations des pharisiens. Mais à un jour et à une heure précise de l'année il semble que la piscine est purifiée par une « faux de lumière ». La faux fait penser autant à la moisson qu'à la mort qui « fauche » indifféremment parmi les hommes. Celle-ci est bénéfique, angélique au point de donner aux infirmes « le désir de sillonner l'eau de la piscine », selon une phrase barrée par la suite, pour s'y laver de leurs péchés, ici personnifiés:  tous les péchés voulaient se jeter à l'eau.





Les premiers entrés sortaient guéris, disait-on. Non. Les péchés les rejetaient sur les marches ; et les forçaient de chercher d'autres postes : car leur Démon ne peut rester qu'aux lieux où l'aumône est sûre.

Un signe de vous, ô volonté divine et toute obéissance est prévue presque avant vos signes.
Jésus entra aussitôt après l'heure de midi. Personne ne lavait ni ne descendait de bêtes. La lumière dans la piscine était jaune comme les dernières feuilles des vignes. Le divin maître se tenait contre une colonne : il regardait les fils du Péché ; le démon tirait sa langue en leur langue ; et riait ou niait.

Le Paralytique se leva, qui était resté couché sur le flanc. et ce fut d'un pas singulièrement assuré qu'ils le virent franchir la galerie et disparaître dans la ville, les Damnés.

 

La multitude de malades pensait que ce jour-là de l'année, à 2 heures de l'après-midi les premiers entrés dans l'eau sortaient guéris. Mais leurs péchés les rejettent sur les marches et ils cherchent d'autres postes où ils peuvent faire l'aumône rentablement.

C'est là, après l'heure de midi qu'intervient Jésus. Il vient donc avant l'heure dite. Il contemple la cohue démoniaque. Le paralytique se lève alors, sans une quelconque action visible de Jésus. Reconnu comme prophète, sa présence suffit. Les autres, appelés « les Damnés » le regardent partir et disparaître dans la ville.

 

***

 

Ces proses ont des correspondances avec Une Saison en enfer par les mots « enfer », « démon » et « damné ». La section « Bonr » des brouillons fait écho au texte symbolique des Proses évangéliques: « Si faible, je ne me crus plus supportable dans la société, qu'à force de [pitié] Quel malheur. Quel cloître possible pour ce beau dégoût. » Mais la guérison de Rimbaud est plus lente que celle du paralytique: « Cela s'est passé peu à peu ». Il faudra traverser une saison en enfer, toute la composition de sa Saison en enfer pour le délivrer. Mais tandis que le paralytique quitte son horizontalité (la matière) pour trouver sa verticalité (l'esprit), Rimbaud semble quitter l'esprit (qui n'est que son idéal de poète déçu) pour, rendu au sol, assumer sa matérialité, «avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre! Paysan! » Il se rend à la société, au travail humain. Mais dans une perspective plus grande, spirituelle: « la charité est cette clé », autrement dit l'amour.

 

 

 ICONOGRAPHIE POUR LES PROSES EVANGELIQUES

 

 

 

Faisons un petit tour dans l'art. Sur un site de référence sur Rimbaud, les textes sont accompagnés de peintures du danois Carl Heinrich Bloch (23 mai 1834 - 22 février 1890), mais vouloir illustrer à tout prix par des oeuvres contemporaines de Rimbaud me paraît une démarche judicieuse, surtout si ces peintures manquent de force et de grandeur artistique à mon goût. À vrai dire, elle me font penser à des imagesde propagande religieuse plus qu'à des oeuvres d'artistes, c'est à dire authentiques.

J'ai évité les représentation avec la main levée de Jésus, doigt pointé vers le ciel, si commune.

La samaritaine ci-dessous, je l'imagine bien dire: « Vous êtes prophètes, vous savez ce que j'ai fait. »

 

 

Jésus et la femme de Samarie de Michelangelo Anselmi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Celle-là est plutôt osée, et pourtant il y a beaucoup de grâce, de naturel et de pudeur. Il y a ici comme une complicité qui s'instaure ou plutôt un moment de tension qui n'a rien de lourd , dans l'attente, le suspens. Un silence. Un vide comme le puits qui les sépare. L'intimité est d'autant plus renforcée qu'ils se trouvent près d'un arbre, qu'au loin on voit la ville, Samarie, entourée de collines, et que dans l'entre-deux, trois personnes se promènent et qu'on imagine volubiles.

 

 

 

 

 

Le christ et la samaritaine, 1828, George Richmond

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre chef-d'oeuvre de l'art avec ces corps comme distendus et ce mouvement soudain dans uen valse de couleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une des rares représentations où Jésus et sa mère sont en interraction. Ne parle t-il pas « hautement à la Sainte-Vierge »?

 

 

 

 

 

 

 

Les noces de Cana,DIEPENBEEK Abraham van; 1ère moitié 17e siècle ; 3e quart 17e siècle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Miracles de la vie de Jésus-Christ (Planche 30) : Jésus Christ guérit le serviteur d'un centenier, PARROCEL Joseph (peintre, graveur) 2e moitié 17e siècle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces deux peintures sont très proches, et pour cause: elles sont toutes les deux du XVIIIème siècle.

 

 

 

 

 

Guérison d'un infirme à la piscine de Bethesda, Joseph-Marie VIEN, 1759

 

 

 

La Guérison du paralytique à la piscine de Bethsaïda, Restout, 1725

 

 

 

Voici une vision étonnante de cette épisode, datant de la fin du XIXème siècle:

 

 

La Piscine de Bethsaïda Many BENNER, 1898

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais il a été retrouvé la peinture dont Rimbaud, d'après des recherches de spécialistes, se serait inspiré. Elle date de 1873, l'année de composition des proses évangéliques. Dommage que je n'ai pas trouvé de représentation plus grande et en couleur.

 

 

Tableau de Jean-Paul Laurens, « La Piscine de Beth-Saïda », 1873

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre toutes mon coeur penche vers cette image. Je trouve que cette eau-forte de Rembrandt est un chef-d'oeuvre inspirant même si elle ne représente pas une guérison particulière. Il y a un grand pouvoir d'attraction, d'évocation, d'émotion. Il y a inondation de lumière immanente et d'humanité, d'humilité, d'amour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On a commencé ce parcours par Jésus et la Samaritaine, on l'a achevé avec Jésus guérissant un paralytique à Bethseïda, suivant les Proses évangéliques de Rimbaud. Et voilà que ce parcours se trouve étonnament synthétisé par une peinture d'Ethiopie...

 

 

 

 

 

 

 

Jésus et le paralytique / Jésus et la Samaritaine au puits
Peinture murale, l'église de Sainte-Marie, au 13ème siècle, l'Éthiopie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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