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Rimbaud passion

2 juillet 2023

Le nouveau portrait de Rimbaud d'août 1873

Surprise, après avoir découvert les bluffantes créations de Luc Loiseaux grâce à l'Intelligence Artificielle, fausses photos qui ont fait sensation, controverse et débat sur Ia toile et qui aurait sans doute amusé Arthur lui-même à l'instar de la directrice du Musée Rimbaud à Charleville-Mézières y voyant justement résonance avec le célèbre "il faut être absolument moderne" du poète, je tombe sur une autre photo dont je n'avais pas connaissance - décidément je ne suis pas à la page! Il s'agit de celle de Rimbaud photographié par un autre photographe qu'Etienne Carjat dont on connait le cliché icônique, mythique datant de septembre 1871, qui est aussi une création mais sur la base d'une photo authentique... du poète "voyant"  et qui a contribué largement à son aura planétaire. Cette autre photo "oubliée" ainsi que l'indique le titre du livre Rimbaud, la photographie oubliée de Gérard Dôle que je n'ai pas lu et qui raconte son histoire a été prise par un photographe moins connu que Carjat ou Nadar, un nommé Pierre Petit (je le découvre en même temps) qui a tout de même rendu plus proche de nous Delacroix que Nadar. Est-ce une photo authentique? Est-ce Arthur Rimbaud? Voir un nouveau portrait de Rimbaud est toujours assez déroutant, car il bouscule nos représentations connues. Les photos de 1870, c'est un gamin boudeur, une tête à claques, que Carjat a su magnifier avec un génie égal au poète dans son célèbre portrait en septembre 1871, peu de temps après sa rencontre de Verlaine qui a été photographié par le même, mais sans trucage. Là ce serait un témoignage saisissant, qui fait écho à la toile montrant Rimbaud alité à l'hôpital Saint-Jean à Bruxelles, qui serait alors la dernière pièce iconographique avant celle-ci révélée par Gérard Dôle, séparée d'elle par peut-être moins d'un mois, peut-être plus. Rappelons que Rimbaud donne la date de rédaction à la fin de Une Saison en enfer: avril-août, et que la nouvelle photo date précisément du mois d'août, mais on ne sait pas quand précisément. En tout cas cela prouverait qu'Arthur Rimbaud se rendit à Paris pour se faire tirer le portrait.  En vue de la promotion d'Une Saison en enfer? Pas impossible, même si Jacques Bienvenu trouverait plus cohérent qu'il l'ait fait en octobre. Pour ma part je vois bien Rimbaud le faire dans un élan, quand il est emballé par son projet de publication, donc aussitôt achevé son chef-d'oeuvre, et non pas quand l'enthousiasme est retombé... et ça se passe comme ça chez Arthur Rimbaud!...

Arthur Rimbaud - LAROUSSE

Arthur Rimbaud blessé par Jef Rosman, entre le 10 et 20 juillet 1873.

 

Portrait d'Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud? Août 1873. On remarque qu'une partie de sa chevelure, à droite est invisible sous l'éclairage et qu'il a une barbe naissante, un collier.

Je suis convaincu. On pas de mal à le croire lorsqu'il dit dans Une Saison en enfer ("Alchimie du Verbe"): "Ma santé fut menacée [...] j'étais mûr pour le trépas". Ce que l'on voit, c'est un survivant. Le regard est intérieur, mais les visions chassées. Derrière lui. Le voilà le "bateau perdu... jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau" du Bateau ivre datant de l'été 1871 (août-septembre), tandis que la photo de Carjat incarnait plutôt le poète plongé dans ses visions, bien qu'il semblait déjà miné par la tristesse, rempli de désillusion comme il l'exprima quelque temps après dans "Bannière de mai" en 1872: "rien de rien ne m'illusionne". La photo de Carjat fixait autant le visionnaire que cette désillusion, que l'enfant triste qui lâche un papillon de mai (Bateau ivre), Rimbaud qui comptait conquérir Paris avec son Bateau ivre avait été déçu par la réception qu'on lui fit, sa meurtrissure l'avait sans doute poussé à faire scandale lors d'une fameuse soirée qui a marqué les Vilains-Bonhommes et dont le tableau de Fantin-Latour portait les traces, avec un poète effacé comme le fut Jeanne Duval dans L'Atelier de Courbet. Là, avec cette nouvelle photo datant peut-être d'un mois après le drame de Bruxelles, le coup est accusé. L'abandon de la poésie est pour ainsi dire fixé, même si les Illuminations seront un magnifique sursis, un chant du Cygne inespéré qu'on croyait, et lui-même alors, être Une Saison en enfer, modeste ouvrage imprimé en octobre 1873 dont il se désintéressa presque aussitôt, tout juste le temps d'envoyer des exemplaires aux amis, surtout à Verlaine en prison, qui dut le prendre comme un coup de massue en même temps qu'être ébloui par la force inouïe de ce récit qu'on peut qualifier d'autobiographie poétique à l'instar d'Aurélia (1855) de Gérard de Nerval dont j'ai souligné la parenté avec Une Saison en enfer dans mon roman Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur (à lire sur ce blog). On a dit aussi combien les photos connues d'Arthur Rimbaud en Arabie et Afrique nous le montrait étonnament sous un jour différent, chacune dissemblables, comme la célèbre découverte en 2010 prise à l'Hôlel de l'Univers à Aden, mais ici l'on dira que le portrait le plus proche du nouveau portrait parmi les trois envoyés aux siens et abîmés par mauvaise maîtrise du développement par ses mains est assurément celui-ci.

L'explorateur : épisode • 4/5 du podcast Arthur Rimbaud en mille morceaux

Et dans le vis à vis de ces deux clichés on entre en résonance avec en particulier ce passage d'Une Saison en enfer:

"Je reviendrais avec des membres de fer, la peau sombre, l'oeil furieux: sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or: je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.

"Maintenant je suis maudit, j'ai horreur de la patrie. Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre, sur la grève."

C'est dans cette photo présumée authentique datant d'août 1873 qu'on voit le plus le paysan raté, mais paysan quand même.  "Paysan!" se jugera t-il dans le l'épilogue d'Une Saison en enfer ("Adieu"), expliquant d'autant plus qu'il se rendit à la terre "avec un devoir à étreindre et la réalité rugueuse à chercher", lui qui ne participa pas aux travaux agricoles de sa famille à Roche, comme le nota superbement sa soeur Vitalie: "la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu'elle ne lui permit pas de se mêler aux travaux manuels" (Journal de Vitalie), cela faisant écho avec ce qu'il écrivait alors comme magistrale justification: "la main à plume vaut la main à charrue." ("Mauvais sang" dans Une Saison en enfer).

Dans cette photo d'août 1873, on perçoit aussi aux commissures des lèvres l'ironie et le sarcasme pas loin, jamais loin, celui des poèmes de première jeunesse du Cahier de Douai comme Vénus Anadyomène ou Le bal des pendus, celui qui s'entend dans plusieurs lettres, notamment à des associés en Afrique (à Ilg, le 1er février 1888, 4ème paragraphe, au même 29 mars 1888, 3ème paragraphe par exemple), le premier "rire moderne" relevé par Alain Borer lorsque Rimbaud éclate de rire en voyant lors de son retour à Roche en train en 1891 un jardinier soigner des plates-bandes - d'amarantes? (poème Bruxelles, 1872), anecdote saisissante rapportée par sa soeur Isabelle dans Le dernier voyage de Rimbaud.

On peut aussi rapprocher la nouvelle photo des premiers portraits de Rimbaud par Carjat. Je me suis amusé à faire ce montage. 

 

 

 

Rimbaud montage avec photos Carjat et photo Petit

Montage Rimbaud en photo 1870-1873, la troisième sous réserve. 

 

Jacques Bienvenu a émis des doutes à propos de Rimbaud qui aurait été au mois d'août se faire photographier alors qu'il était sorti depuis peu de l'hôpital, mais il en est sorti le 20 juillet, Arthur était d'une santé robuste et s'écoutait peu, on en a eu la preuve en Afrique... Du reste, ce n'est pas à cause de son poignet blessé qu'il ne partagea pas les travaux agricoles de sa famille comme le note sa soeur Vitalie, mais parce qu'il avait mieux à faire..., on connaît la suite que j'ai cité. Or il est sorti de l'hôpital Saint-Jean à Bruxelles pour rentrer à Roche le 20 juillet. On imagine bien qu'au moins les onze jours suivants étaient des jours de moisson qui commençaient ou se poursuivaient. D'après Gérard Dôle, Rimbaud serait allé à Paris début août, au plus tard le 15, donc Une Saison en enfer a été achevé dans la première quinzaine. Une douzaine de jours lui a largement suffit à achever son chef-d'oeuvre commencée au printemps. Sa motivation se trouvait à son comble pour le publier. Il a sans doute pensé qu'une photo de lui servirait à la promotion de cette oeuvre, et celle devenue célèbre de Carjat ne pouvait faire office, elle incarnait le passé avec Verlaine en plus de dater de deux ans. Il lui fallait un nouveau portrait, si possible par un autre photographe, on connait le différent qu'il eut avec Carjat... Apparemment il avait des amis qui surent le conseiller sur un photographe, Pierre Petit était tout indiqué. Notons aussi que lors de son séjour à Bruxelles entre le 8 et 10 juillet, Rimbaud a pu trouver un éditeur pour son futur livre. Qui sait si il est allé à Bruxelles seulement pour rejoindre Verlaine ou si le "hasard" ne l'a pas poussé sur son chemin? Mais, il pouvait aussi connaître son futur éditeur depuis longtemps, il n'en est pas à son premier voyage à Bruxelles. Pour que la publication soit faite en octobre il a fallu qu'il envoie ou donne en main propre son manuscrit des mois à l'avance. Donc on peut considérer que dans la foulée il alla à Bruxelles, photo et manuscrit en main après s'être photographié à Paris, à moins qu'il ne soit revenu de Paris à Charleville pour prendre son manuscrit avant de se rendre à Bruxelles. Notons encore qu'on ne sait rien des activités de Rimbaud entre août et fin octobre 1873, à part ces indications: en août il achève Une Saison en enfer et en octobre il est achevé d'imprimer et qu'il se rend alors à Bruxelles. Avec cette photo on en sait un peu plus, si elle est authentique. On peut dire qu'Une Saison en enfer est la photographie de lui-même par lui-même la plus réussie. Un instantané d'une saison (en fait deux, mais il faut comprendre "période": avril-août), il lui fallait aussi une photo qui le représente, qui incarne par son visage ce qu'il a traversé. Ce sera la photo de Pierre Petit. D'ailleurs, j'apprends par Wikipédia que "C'est chez lui qu'Étienne Carjat, jusque là caricaturiste de presse apprend la photographie." De plus, "il contribue au siège de Paris et à la Commune par son témoignage photographique en prenant des clichés comme ceux de la rue de Rivoli éventrée par les bombes ou des scènes du champ de bataille d'Ivry." Que Rimbaud ait sympathisé avec les Communards au minimum il n'y a pas de doute là-dessus, donc Petit était d'autant plus indiqué pour le prendre en photo. Par contre je ne peux me prononcer plus pour l'instant sur la question de Rimbaud Communard qui occupe si j'ai bien compris la majeure partie du livre de Gérard Dôle. Jacques Bienvenu a par ailleurs fourni sur son site du matériau de valeur sur cette question avec l'inscription d'un certain Rimbaud Communard à mon souvenir. On a parlé de photo de promotion qu'il verrait plus logique en octobre, mais en fait, il ne s'agit peut-être pas d'une photo de promotion, mais pour se faire connaître en tant qu'auteur à l'éditeur, et surtout peut-être Rimbaud espère t-il - un  peu naïvement - que cette photo sera placée à la fin de son livre (cela ne se faisait peut-être pas encore en quatrième de couverture), comme on le voit par exemple pour le roman Paul et Virginie dans une réédition de 1838. 

 

Une Saison en enfer d'Arthur Rimbaud ©AFP - BERTRAND GUAY

 Ce qu'on voit à droite de la couverture de l'édition originale de Une Saison en enfer est l'illustration pour la section consacrée à Arthur Rimbaud dans l'édition originale de Les Poètes maudits par Paul Verlaine, paru en 1884. Rimbaud en rêvait pour Une Saison en enfer, mais avec le nouveau portrait par Pierre Petit plus parlant à ses yeux, plus à la page... Sur l'édition originale d'Une Saison en enfer (1873) qui ne comporte aucune illustration, voir les renseignements donnés dans le lien ci-dessous:

https://www.edition-originale.com/fr/litterature/editions-originales/rimbaud-une-saison-en-enfer-1873-43745

 

 Les photos de Carjat inaugurent la relation Rimbaud-Verlaine, celle de Petit scelle sa fin - d'où l'importance capitale d'une telle photo qui manquait à l'iconographie. Photographiquement et chronologiquement, il renaîtra sous nos yeux par ses zigues grâce à trois photos envoyées aux siens en mai 1883, mais elles sont si détériorées qu'on peine réellement à voir son visage, brouillé qu'il est, et à voir le même visage dans les trois, - on l'a déjà dit. Ces trois "autoportraits" ne valent guère mieux en ressemblance que le seul "autoportrait" qu'il ait fait de lui à la plume dans la lettre de mai 1873 dite de "Laïtou", celle des trois photos envoyées aux siens où on le reconnaît le plus étant la troisième à droite. 

 

Arthur RimbaudArthur Rimbaud – Départ | BEAUTY WILL SAVE THE WORLDDans le salon d 'Arthur Rimbaud - 5ème Tableau du 16 avril 2013 ...Arthur Rimbaud par Georges Rodenbach (1898) - La Revue des Ressources

 

Voici maintenant en vis à vis les trois photos controversées des treize dernières années, dans l'ordre de gauche à droite: fin 2022, 2015, 2010.

Rimbaud - trois photos controversées

 

D'emblée celle du milieu est à éliminer. Personnellement je l'élimine, sa netteté ne laisse aucun doute, aucune ressemblance globale. En revanche je n'élimine pas celle d'Aden. Pour plusieurs raisons: primo, son manque de netteté laisse une grande marge de possibilité; deuxio on ne voit pas qui cela pourrait être à part Rimbaud qui fait tache parmi les autres, qui aimante comme dans Un coin de table de Fantin-Latour (le Commissaire Belpomme l'avait dit!); troisio, il y a une filiation spirituelle ou autrement dit une cohérence dans l'évolution des expressions de visage conformément au contexte entre la première et la troisième, ou entre celles connues de 1871, celle de 1873 et celle d'Aden, ce n'est pas le cas pour celle du milieu; quatro, les expertises scientifiques ont montré qu'il était ressemblant à 92 %, et qu'il le soit à 92% alors qu'elle est postérieure de dix à quinze ans après celles de Carjat, cela renforce à mon avis l'authentification (voir https://www.lexpress.fr/culture/livre/sur-la-photo-c-etait-bien-rimbaud_1507318.html . Voir aussi mes articles à ces sujets, en particulier: http://rimbaudpassion.canalblog.com/archives/2022/09/09/39623965.html

Le plus étonnant, c'est qu'une photo créée par Luc Loiseaux via l'Intelligence Artificielle ait fait sensation sur le Net lors de sa publication le 7 juin 2023, alors que celle-ci de Pierre Petit (au moins authentique là-desus) pas du tout. Jacques Bienvenu attribue ce fait à la controverse d'un Rimbaud Communard clairement affiché par Gérard Dôle. Le créateur pour qui il était insupportable de ne pas avoir plus de photos de Rimbaud aurait dû être comblé par celle-ci découverte un an avant, sans remettre en question son talent de créateur et d'illusionniste avec comme associé l'IA et l'intérêt d'une telle démarche artistique. Cela est d'autant plus surprenant que cette nouvelle photo datée d'août 1873 est argumentée par un livre, Rimbaud la photographie oubliée (de Gérard Dôle, éditions Terre de brume, novembre 2022). Finalement l'artifice prévaudrait-il sur l'authentique? On ne cherche plus à se documenter, et les réseaux sociaux fonctionnant par buzz ont très peu valeur de documents hélas. Or c'est là qu'on situe la vérité!... C'est là qu'on vient chercher l'information que l'on tiendra pour vraie.

Et le plus drôle c'est quand même de mettre les deux en vis à vis, voir ce que ça donne!

Rimbaud par Pierre Petit en août 1873 et par Luc Loiseaux - création - datée du 1er nov 1873

 

Franchement, vous ne trouvez pas, apparat mis à part, que je lui ressemble pas plus au mec de droite?

 

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Moi vers 1993, quand j'étais encore dans la secte... à peu près à l'âge de Rimbaud en 1873.

Voilà. J'avoue ne pas avoir envie de m'investir plus que ça pour le moment à ce sujet, j'ai d'autres chats à fouetter comme on dit et je reviendrai probablement dessus ultérieurement, quand j'en aurai envie et quand j'aurai lu Rimbaud, la photographie oubliée, ce qui peut advenir tardivement. Et puis il me faut du temps pour intégrer éventuellement cette nouvelle photo dans l'iconographie rimbaldienne personnelle et dans mon paysage mental concernant Rimbaud. On remarquera que la netteté telle qu'on en a pas d'équivalente à part sur la première de Carjat est assez troublante. Si c'est lui, il nous parait encore plus vivant, plus proche tout en étant lointain, il est clairement plus familier dans un sens - parce qu'on se dit que ce pourrait être frérot - que celle intemporelle de Carjat qui paradoxalement nous est réellement plus familière juste parce qu'emblème du poète, mythique. Là on est singulièrement plus proche de la première photo de Carjat donc, celle d'un Rimbaud qui fait tout de même moins rêver, car plus réaliste, on devine le Rimbaud voyant et voyou (du moins dans son passé). Le flou permet davantage le rêve. Tout ce qu'on a de Rimbaud en photographie après la première photo de Carjat, c'est flou, et celle-ci bouscule ce fait, s'il s'agit bien d'Arthur Rimbaud et non d'un sosie ou apparenté contemporain. Mais difficile de ne pas voir - en mettant notre dérangement de côté, en cherchant à être objectif -  que ce jeune homme entre en cohérence et résonance avec l'iconographie rimbaldienne et qu'il est celui qui vient de traverser l'enfer raconté dans Une Saison - ou du moins on a pas de candidat plus crédible jusqu'à maintenant pour occuper cette place difficile. Qu'il interpelle! C'est lui qui dit dans le brouillon d'Une Saison en enfer: "L'art est une sottise". Jugement qu'il corrigera, absent du texte imprimé. Les Illuminations prouvent malgré lui qu'il avait tort (mais il parlait à un certain niveau de réalité), si on en juge par la postérité qu'ont eu ces proses. En somme il faut relire les Poésies (1870-1871), en particulier Le Bateau ivre avec la célèbre photo de Carjat sous les yeux, mais aussi avec sa première (enfant boudeur), et il faut relire Une Saison en enfer avec la nouvelle photo de Rimbaud en août 1873 par Pierre Petit sous les yeux. C'est émouvant. Cette lecture je la tiens comme test de vérification de l'hypothèse. Ce n'est pas qu'émouvant, ça crève le coeur, et avec ça, ça crève les yeux que c'est lui. Le prologue me fend le coeur. Cela prend voix, corps, un relief singulier comme son visage. J'arrive à "Mauvais sang", je trouve drôle qu'il dise en son début: "Mais je ne beurre pas ma chevelure". Là, éprouvé, rescapé, transformé, il semble se l'être beurré, on dirait aujourd'hui mettre du gel (je l'ai fait souvent dans mon adolescence...)

Arthur Rimbaud | Festival Photo La Gacilly

Un artisan au Harar, Photo par Arthur Rimbaud, 1883.

J'avoue avoir été depuis longtemps hanté par cette photo, une des rares photographies qu'il ait prise, je me suis posé la question si ce n'était pas Rimbaud lui-même qui se mettait en scène, j'y vois une similitude avec le portrait de la "tronche à machin" dessiné par son ami Ernest Delahaye, en tout cas elle résonne là avec ma relecture d'Une Saison en enfer: "Je suis assis, lépreux, sur les pots cassés et les orties, au pied d'un mur rongé par le soleil". Bon, les orties, on peut les chercher longtemps, la lèpre n'est pas évidente, mais on imagine un lépreux ainsi, les pustules en plus, en tout cas moi tel que j'en vis dans les péplums bibliques. Si ce n'est pas lui - le plus probable, en tout cas le plus admissible - n'a t-il pas pensé alors à lui écrivant Une Saison en enfer, à lui qui s'était rasé la tête en signe de deuil après la mort de sa soeur de Vitalie Rimbaud le 18 décembre 1875? De fait, il n'écrivit à notre connaissance plus un poème après cette mort de celle qui dans son précieux journal donna l'unique témoignage sur la période de Rimbaud écrivant à Roche, puis de Rimbaud en Angleterre en 1874, pendant qu'il poursuit de composer avec Germain Nouveau à ses côtés des proses qui seront rassemblées sous le titre Illuminations. C'est aussi avec le nouveau portrait d'août 1873 qu'il faut relire ce recueil, celui-ci d'ailleurs comportant des pièces datant de 1873. On peut relire même avec sous les yeux le célèbre portrait de Carjat puis le nouveau portrait  les lettres dites "du Voyant", pour comparer.

 

Fichier:La tronche à machin par Ernest Delahaye.jpg — Wikipédia

 

Arthur Rimbaud se sentait très proche de sa sa soeur Vitalie, et on comprend pourquoi lorsque l'on lit l'expression poétique de son amour pour la nature. Elle est une poétesse en prose morte trop tôt pour développer un goût pour la poésie qu'on lit à plusieurs endroits de son Journal, par exemple juste après son témoignage sur son frère écrivant: "Combien de fois ne suis-je pas allée, dans ces délicieuses soirées de juillet, quand tout, après avoir joui de la chaleur du jour, reposait dans la solitude de la nuit, m'asseoir sur le petit banc de pierre situé sous une charmille dans notre jardinet, et là, pensive et abandonnée, je me laissais aller aux douces émotions que me procuraient toutes les beautés de la nature." Plus loin:  "...c'est ainsi que j'entends ces grands arbres parler à mon oreille maintenant; ils me rappellent tout doucement, presque tout bas, les battements de mon coeur quand je traversais le pont du canal pour me rendre chez ma tante alors que je n'avais dans ce temps que le désir de demeurer dans ces lieux réellement charmant." L'auteur de Sensation ne pouvait qu'affectionner une telle âme, à ce point sensible à la nature, une proche de l'auteur des Rêveries d'un promeneur solitaire...

Vitalie Rimbaud', in Enid Starkie, Arthur Rimbaud, London, 1947... | Download Scientific Diagram

Vitalie Rimbaud, soeur d'Arthur, ou l'âme d'une poétesse. Voir aussi https://lequichotte.com/2013/02/13/poeme-de-vitalie-rimbaud/ (contenant le poème "La fleur" que je viens de découvrir en lisant l'article de Wikipédia sur Vitalie Rimbaud, soeur d'Arthur). On remarquera du reste l'étrangeté de cette photo due à une tête qui paraît disproportionnée par rapport au corps, ainsi que les mains, surtout la droite. Ses yeux et ses sourcils, son regard nous interrogeant sont tout autant étranges.

 

J'arrête là, vraiment cette fois-ci, après avoir un peu dévié de mon sujet (mais pas tant). Je suspens pour l'instant aussi ma lecture de Une Saison en enfer et cette étude, de toute façon intimement convaincu pour l'instant que la photo de Pierre Petit est bien un nouveau portrait de Rimbaud. Peut-être suis-je naïf, Rimbaud l'était (Roman...), alors on ne peut m'en blâmer. Je sais combien on peut se tromper par rapport à Rimbaud, j'ai cru voir Rimbaud barbu alors qu'il s'agissait d'Ilg! (voir mon article "Rimbaud barbu", je sais enfin combien on peut facilement projeter et se convaincre. Alors je suis d'autant plus prudent. Mais là je vois davantage de sérieux à cette hypothèse. En tout cas, comme je l'ai dit pour "Rimbaud barbu"  ICI, on ne fait pas une étude sérieusement (au moins), si elle n'est sérieuse dans ses conclusions, en vain, on (re)découvre toujours des choses intéressantes en chemin, et puis cette possibilité grande d'un nouveau portrait trouvé mine de rien fait rêver, oui maintenant même celle-ci qui me perturbait! Rimbaud passion toujours!

 

02-04 Juillet 2023

 

 

Liens:

Sur la fausse photo d'Arthur Rimbaud par Luc Loiseau, soi-disant prise par un certain Balthazar le 1er novembre 1873:

.20minutes.fr/culture/4041433-20230615-intelligence-artificielle-raconte-histoire-fausse-photo-arthur-rimbaud-suscite-emoi

"TV5 Monde vrai fausse photo de Rimbaud" https://www.youtube.com/watch?v=lW_2Wla6SzE&ab_channel=TV5MONDEInfo

Sur la vraie photo de Pierre Petit datant d'août 1873 et qui représenterait Arthur Rimbaud:

https://laregledujeu.org/2023/06/25/39436/une-nouvelle-photo-darthur-rimbaud/

http://rimbaudivre.blogspot.com/2022/11/un-nouveau-portrait-de-rimbaud.html

On lira avec intérêt les commentaires laissés par Gérard Dôle révélant des choses qu'il a tu dans son livre. Cette histoire est complexe à comprendre, demande à lire le livre (Rimbaud, la photographie oubliée).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Petit_(photographe)

 

 

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16 mai 2023

Bel hommage de Circeto (vu trop tard)?

Nous sommes le 16 mai 2023 et je découvre avec bonheur ce beau commentaire de Circeto publié après le décès de Jean-Michel Le Cornu de Lenclos, le 7 avril 2018:

A propos de la disparition de M. Jean-Michel Cornu de Lenclos, je me dois de vous signaler un amical témoignage le concernant mis en ligne sur le site Rimbaud Passion.

Dans son roman (Paul au pays de Rimbaud et de Juliette, chapitre XXIII), l’auteur y décrit la rencontre de son personnage principal (un autre lui-même), Paul Delaroche, parti mediator au vent sur les traces ardennaises de Rimbaud, avec « Jean-Michel » au beau milieu de la courette de la Maison des Ailleurs pour un prosaïque mais étrange déjeuner hors du temps.
Rêve, réalité ou un subtil breuvage mêlant les 2 ?

 

Poétique! Rimbaud aurait été content de lire ça! Je laisserai ici le mystère sur la belle question, après tout c'est un roman. Merci Circeto. 

 

Source:

https://www.africantrain.org/en-route-to-aphinar

 

 

9 avril 2023

A comme ART, R comme RELIGION, DU ENOC DANS ARTHUR RIMBAUD

 En tant que tel l'Art procède d'un ENOC (Etat Non Ordinaire de Conscience), puisqu'outil de connaissance. Déjà la poésie peut être définie globalement comme l'usage d'un langage non ordinaire, et donc est créé dans un enoc. Aussi la poésie datant de la Nuit des Temps était portée par la musique mettant dans un état de transe. Musique comme outil de communication permettant notamment des communions jusqu'à la transe. Sans aller forcément jusque-là, la peinture et la sculpture peuvent être vus aussi comme des énocs de premier niveau, certains de seconds niveaux lorsqu'ils mettent en transe.

On peut quelque part, même si à degré autre, voir un lien entre Estelle qui dans un Enoc est un tournesol et un artiste, Stéphane Gentilhomme, qui par exemple dit avoir poussé des  barrissements d'éléphants en dessinant un troupeau d'éléphantsICI

Il semble que l'absorption méditative dans l'instant présent pleinement vécu dans l'oubli de soi nous déconnectant du mental soit commun à tous les arts, il nous met en lien avec une réalité intuitive où notre perception du monde est modifiée par le geste et par la projection concrète (sur support) d'un état intérieur pouvant aller jusqu'à une sorte de transe où se lit la racine de transcendance commune à l'Art et à la spiritualité proprement dite, car l'art est par essence spirituel, où on peut lire aussi "transe en danse" liée à la musique.. Aussi la perception du monde et par-delà le monde, par communication de l'Art, est modifiée par un Van Gogh ou un Gauguin ou un Monet, le fauvisme donne des couleurs autres que réelles aux choses, aux êtres. Baudelaire, influencé par Hoffmann entre autres écrira dans Correspondances: "Les parfums, les couleurs et les sons se répondent", Rimbaud dans ses expériences poétiques, se revendiquant un poète "Voyant" (voir lettres dites "du voyant" à Paul Izambard et Paul Démeny en mai 1871 durant la Commune) écrira par exemple Voyelles  en donnant des couleurs à celles-ci. Avant cela il précède le fauvisme et l'expressionnisme en parlant de "forêts violettes" dans Le Bal des pendus  (1870), de "l'herbe bleue"  dans Les Réparties de Nina (1870) tandis que Le Bateau ivre (1871) incarne le dérèglement de tous les sens voulu par son programme poétique, dans sa crise spirituelle après un coup de révolver donné par Verlaine en 1873, il écrira dans l'urgence et la souffrance Une Saison en enfer  son expérience qui l'a transformé jusqu'à le mettre sa santé en danger, frisant la folie, sans doute parce qu'il ne bénéficia d'aucun guide, d'aucune boussole, dans  l'autre monde avec lequel il communiqua. Lui qui avait dit "Je est un Autre" vit son identité menacée, il quitta le monde  littéraire après un ultime chef-d'oeuvre qu'il laissa à d'autres mains son destin, Les Illuminations, proses allant de visions mystiques (Aube, Mystique) à une communion avec le monde réel, ou plutôt rationnel (Villes, Ponts), mais dans un langage chatoyant, musical, chaviré par les images et sibyllin, et qui dans leur nouveauté avant-gardiste et leur postérité peuvent être comparées aux dernières sonates de Beethoven.  Il aurait pu finir comme avant lui le poète Gérard de Nerval qui se pendit alors qu'il n'avait pas mis son point final à son chef-d'oeuvre Aurélia  (1855) qui peut être considéré comme la première expérience clinique d'une folie "mystique"  qu'il décrit comme une "descente en enfer", où il est là encore en proie à l'inconscient sans guide pour le sauver. Tout les XIXème siècle est traversé par un courant artistique "fantastique" ou "visionnaire" ("les portes de la perception chez William Blake) mettant l'homme aux portes de l'inconscient personnel et collectif qu'il ignore mais pressent puissamment. L'inconscient (l'irrationnel), est là comme une compensation à l'hyper rationalité qui voit le jour avec l'ère industrielle jusqu'à des plongées dangereuses dans le spiritisme devenue mode, Victor Hugo en fera l'expérience, mais si le danger était réel, peut-être fut-il protégé par l'Au-delà qui lui dit juste (par la voix d'un esprit) de poursuivre l'écriture des Misérables. On peut citer aussi l'expérience du Dr Schreber dans Mémoires d'un névropathe (1911) où est raconté en mode autobiographique ses délires mais aussi ses hallucinations, ses expériences qu'on peut qualifier de mystiques. Par la force de sa volonté et son ouvrage il parviendra à sortir d'asile. On sort tout juste de la période Charcot avec ses travaux sur l'hystérie, l'hypnose, Freud prend le relais en approfondissant, il a sorti son premier livre parlant de l'inconscient, L'interprétation des rêves, en 1900 et analysera le cas Schreber. Dans la «première topique» freudienne la distinction majeure se fait entre Inconscient, Préconscient et Conscient (Wikipédia). La psychanalyse est née. Suivront Lacan puis le disciple rebelle à Freud: Jung, selon une ascendance sexe, langage, spiritualité (notamment par les symboles), ce dernier étendant l'inconscient au collectif. 

Pour revenir à l'Art (auquel on met un grand A parce qu'utile et non utilitaire, parce que non artisanat ou art culinaire par exemple, parce que nourrissant spirituellement le monde et le transformant, et par là essentiel), le surréalisme fut le successeur du courant symboliste, nourri par la psychanalyse. Les Arts dit Premiers connus alors sous le nom "Arts primitifs" seront redécouverts par un Picasso au même titre que l'art pariétal préhistorique, tout cela remet l'Art en contact avec sa source, le chamanisme, la transe, qui fut au coeur de l'expérience poétique d'Antonin Artaud nourri notamment par son voyage au Mexique chez les Tarahumaras. Ce "poète-chaman" comme Rimbaud ou William Blake (aussi poète) eu des héritiers en musique: Jim Morrison (The Doors), Patti Smith, etc. Même l'influence de la musique indienne sur des morceaux des Beatles ou des Rolling Stones dénotent recherche d'une spiritualité et de la transe chamanique (les Beatles furent profondément marqués par leur voyage en Inde). Depuis longtemps, surtout depuis le XIXème siècle, drogues et alcool servent de déclencheur d'états modifiés de conscience, d'énoch, et de source d'inspiration, mais on peut les qualifier de "non intégrés" par le corps et la conscience, et de particulièrement nocives lorsqu'elles interagissent avec un état d'être négatif, une grande souffrance intérieure, cela peut aller jusqu'à l'overdose fatale ou le suicide ou de commettre l'irréparable... Aussi la sortie par le haut d'une situation périlleuse où l'Art se trouve (et profitant surtout aux marchés mafieux) se trouve être dans le chamanisme avec tambour comme outil, et non l'Ayahusca, qui ne peut être pris qu'avec un guide, comme toute drogue hallucinogène. Cette voie de sortie par le haut, Rimbaud l'a pressenti, inconsciemment il l'a rechercha, c'est ce qui explique son itinéraire apparemment insensé qui le mena en Afrique, précisément à Harar, la ville sainte des soufis accédant à une authentique spiritualité par la transe notamment à travers les "derviches tourneurs" qu'il a pu voir lors de son voyage au Caire (Nerval parla de ceux-ci dans son Voyage en Orient), qui le mena aussi lors d'une expédition dans une contrée inconnue, à rencontrer ce qu'il appelle des "poètes improvisateurs" (Rapport sur l'Ogadine, Harar, 10 décembre 1883). Certainement avec comme support la musique. Il a certainement connu aussi cette lyre sacrée des orthodoxes d'Abyssinie (Ethiopie), le begena, aux sonorités graves et profondes, méditatives, utilisée pour la prière qui n'est autre qu'une forme de méditation intentionnelle à destination du divin. Sa soeur Isabelle le représenta d'ailleurs par un dessin en train d'en jouer, et si, certes elle reprend une illustration de la Revue des deux mondes  en y transférant son frère, peut-être est-ce aussi une intuition "féminine"... Par ailleurs, cela aurait un lointain écho avec son oeuvre poétique et surtout à un texte en prose, Un coeur sous une soutane (1869-1870) où la lyre (d'Orphée cette fois-ci), le luth ou la cithare ont une grande importance, jouent un grand rôle dans son amour pour une Thimothina: "J'ai pris ma lyre et j'ai chanté: Approchez-vous Grande Marie! Mère chérie...", "que ma lyre frissonne", "laisse-moi chanter sur mon luth, comme le divin Psalmiste sur son Psaltérion, comment je t'ai vue, et comment mon coeur a sauté sur le tien pour un éternel amour". Il approfondit aussi là-bas (notamment à Aden en Arabie) une lecture du Coran qu'il avait effectué dans sa jeunesse, il commanda aux siens "des Corans", là-bas il aurait même donné des conférences. La religion dans son essence spirituelle et non dogmatique est entrée dans sa vie d'adulte tandis qu'il avait rejeté adolescent la Bible, "le livre du devoir" (Les poètes de sept ans) et s'était montré très anticlérical (Un coeur dans une soutane, Le châtiment de Tartuffe) après s'être montré au contraire très pieux enfant. Les soufis, par l'intermédiaire de son serviteur et ami Djami, un harari, lui en ont permis une lecture plus subtile du livre sacré des musulmans et par là peut-être eut-il un autre regard sur la Bible. Il mourut enfin d'un cancer en appelant Djami et en disant des Allah kérim ("que la volonté de Dieu soit faite"), rejoignant en cela un certain fatalisme musulman, je dirais quant à moi que ce qu'on nomme fatalisme n'est souvent que le résultat d'équations faites de croyances, d'émotions, de circonstances, de contexte en l'absence de Conscience.

 La religion dans cette dimension-là de reliance liée à son étymologie, "relié", est donc bien la voie de connaissance globale (mise en valeur sur le blog de Marie Duval) dont manque notre monde mais qui revient en force à travers des pratiques diverses non conventionnelles, chamanisme, tantra..., mais surtout il me semble le premier, le plus prometteur et fondamental puisqu'il représente un retour aux sources tout en le réinventant. Le chaman/la chamane (puisqu'il y a un grand nombre de femmes appelées par cette voie "religieuse", relie-gens, ne serait plus au ban du groupe, on en aurait plus peur, les peurs ancestrales dépassées. Ce serait un chamanisme qui serait adapté à notre monde, un néo-chamanisme, comme on  l'appelle, qui demande toutefois du discernement car dérives possibles (il y a des charlatans partout...)

 

 

2 mars 2023

Les « Corans » de Rimbaud

                                                                                                           Les « Corans » de Rimbaud

 

Rimbaud du Harar, 15 février 1881, demande aux siens (sa mère et sa soeur Isabelle) de dire à son frère Frédéric de « chercher dans les papiers arabes un cahier intitulé : « Plaisanteries, jeux de mots, etc., en arabe ; et il doit y avoir aussi une collection de dialogues, de chansons ou je ne sais quoi, utile à ceux qui apprennent la langue. Si il y a un ouvrage en arabe, envoyez. » (entre parenthèses, « s'il vous plaît » et « merci » ne font pas partie de son vocabulaire...).

Cette lettre indique qu'Arthur Rimbaud connaissait le fond bibliographique de son père arabophile dont peut-être des travaux personnels. La bibliographie du Capitaine Rimbaud mort en 1878, sa soeur Isabelle en donne deux titres au début d'une lettre écrite après février 1892* (donc après la mort d''Arthur Rimbaud fin 1891)  à Charles Houin et Jean Bourguignon. Il s'agit de L'Eloquence militaire et de Correspondance militaire, plus un troisième non titré sur l'art de la guerre. Le tout doit faire plus de mille pages. Elle parle de «travaux énormes», avant de parler de la Correspondance militaire de 700 pages. Tout a disparu dans les oubliettes. Mais ce qui nous intéresse pour notre étude c'est ce qu'elle dit plus loin:

* p 813-814 des Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud, dans la collection de la Pléiade des éditions Gallimard, 1972, notre édition de référence)

« Mon père […] était un linguiste arabe distingué. Il y a de lui à la maison une grammaire revue et corrigée entièrement ; une quantité de documents français-arabes se rapportant aux guerres d'Algérie, des anecdotes, des contes, etc. Il y avait aussi une traduction du Coran (texte arabe en regard) égarée aujourd'hui. Et cela en manuscrit et très soigné. »

Tout cela a disparu aussi. Tout le problème est dans le sens de « de lui ». Veut-elle dire traduction ? Livres en arabe de lui qui impliqueraient une traduction du Coran ? Sa soeur peut tout autant vouloir dire : « ce qu'on a hérité de lui ».

C'est là que l'enquête commence à être vraiment passionnante. On notera que la lettre d'Arthur Rimbaud du 15 février 1881 recoupe grosso modo les « papiers arabes » de Frédéric Rimbaud père.

Du Harar, dans sa lettre aux siens du 7 octobre 1883, Arthur Rimbaud joint un mot pour la librairie Hachette lui demandant de lui envoyer « La meilleure traduction française du Coran (avec le texte arabe en regard, s'il en existe ainsi) – et même sans le texte ».

Si son père a traduit le Coran comme on en déduit hâtivement des propos d'Isabelle, peut-être par malentendu linguistique, pourquoi Arthur qui a dû le lire adolescent pour pouvoir parler de la « sagesse bâtarde du Coran » (Une Saison en enfer) ne demande t-il pas de lui envoyer l'exemplaire qu'il sait être dans la bibliothèque familiale, peut-être remisée dans le grenier de Roche où il a écrit Une Saison en enfer ? Peut-être qu'il respecte trop le travail de son père, sa traduction du Coran s'il l'a bel et bien faite, ou du moins le Coran qui lui a appartenu, pour la leur demander. Or plusieurs indices montrent cette possibilité accréditant une traduction de son père, qui rendrait cette relique familiale sacrée et justifierait sa non demande par peur de l'égarer, ou même avant cela considérant indécent, outrée une telle demande : « Pouvez-vous m'envoyer le Coran des papiers arabes ?... » S'il s'était exprimé ainsi, sa sœur et sa mère auraient compris de quoi il s'agissait.  Autre possibilité, Arthur Rimbaud ferait une demande indirecte, avec l'espoir qu'on devine son souhait : « si vous avez un ouvrage en arabe »... Il feindrait de ne pas savoir que parmi ces «papiers arabes » il y a le Coran tant désiré. 

Le premier indice se trouve dans la lettre cité d'Isabelle : « égarée aujourd'hui », parlant de la traduction du Coran de leur père (traduit par lui ou non). Finalement, lui auraient-ils fait cadeau de ce livre précieux ? Lui auraient-ils envoyé ? C'est ce que semble rendre possible la lettre d'Arthur Rimbaud envoyée au siens d'Aden le 15 janvier 1885, donnant réponse à une question qu'elles lui ont posé (par déduction):

« Pour les Corans, je les ai reçus il y a longtemps, il y a juste un an, au Harar même. » répond Arthur.

L'expression peut paraître bizarre, mais le Coran peut se plurielliser ainsi pour désigner plusieurs exemplaires, en plusieurs traductions. Sa sœur et sa mère auraient donc envoyé deux traductions du Coran (on imagine guère plus), une censée être de chez Hachette* et celle appartenant à son père? S'il n'a été traducteur du Coran (ce sur quoi on peut avoir un doute), quelle traduction aurait-il possédé? Celle demandée chez Hachette est sans doute la traduction française la plus populaire et la plus récente d'alors, à savoir celle que j'ai depuis vingt ans (sans que je sache que Rimbaud l'ai lu), celle de Kasimirski qui a bénéficié de trois éditions au XIXème siècle (1841, 1842, 1844). Mais à ces deux « Corans» de Rimbaud, il en a été découvert un troisième dont sa correspondance ne donne nulle trace.

*Voir ICI

On l'a découvert récemment à l’occasion des Journées du patrimoine. La bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe à Paris a présenté au public le 20 septembre un Coran qui aurait « appartenu à Arthur Rimbaud durant son séjour en Abyssinie », selon une petite carte collée sur la garde de papier au plat trois de la couverture (reliure en peau rouge). D’après le collophon, ce Coran a été imprimé par lithographie en Inde en 1865. Il a été présenté comme un don de la famille Bardey (descendant d’Alfred Bardey, l’employeur de Rimbaud à Aden), ce dont témoigne une carte de visite contenue dans le volume. 

Mais il s'agit du Coran uniquement en arabe, sans traduction. Bardey le lui aurait offert à Aden, sans doute peu de temps après son embauche en août 1880. Ce serait logique que son employé veuille en avoir une traduction. Son vœu fut exaucé un an après sa demande nous apprend sa lettre de 1883, c'est à dire en octobre 1884. Arthur Rimbaud doit alors déjà parler et écrire couramment l'arabe, vu les capacités exceptionnelles qu'on lui connaît et que son employeur entre autres lui reconnut.

Donc Arthur Rimbaud aurait eu cet autre exemplaire du Coran par une autre main (celle de son employeur). Malgré sa beauté et un mot en arabe qui lui était associé, adressé par un abban à Rimbaud, on regrette de ne pouvoir être en mesure d'éclairer ce mystère. Tout au plus peut-on ne pas totalement écarter qu'il ait eu la surprise de voir qu'on lui avait envoyé le Coran de son père. Après tout, Arthur pouvait représenter pour sa mère une continuité de son mari, il en était le digne héritier. Plutôt cette seconde vie que de stagner dans la poussière... Et si il avait offert ce qu'il avait de plus précieux sur lui à son serviteur et ami Djami, harari vraissemblablement soufi avant de revenir en France pour y mourir?

Etudier sérieusement n'empêche pas de fantasmer, de rêver.

 

 

Sources :

Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la Collection de la Pléiade (édition Gallimard, 1972)

https://rimbaudphotographe.eu/un-coran-qui-aurait-appartenu-a-arthur-rimbaud/

https://rimbaudphotographe.eu/tag/coran/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Rimbaud

https://www.romanischestudien.de/index.php/rst/article/view/253/831

 

 

voir d'autres photos sur:

https://rimbaudphotographe.eu/tag/coran/

Merci au travail de Hugues Fontaine.

24 janvier 2023

Lettre à B F

Bonjour F,

Merci pour la qualité de votre travail. Je voulais vous partager par exemple Le Bateau ivre ( https://youtu.be/_WuGPmvHxng ) interprété par un auteur-compositeur-interprète, Aube de l'Etoile, dans la chanson le seul représentant actuel de ce poème qu'on peut qualifier la première de ses illuminations, sauf qu'en alexandrins, – ceci en réponse à vos propos.

Les Illuminations, oui, oui, oui, c'est un peu à Rimbaud ce que l'Hammerklavier est à Beethoven, mais doit-on pour autant dénigrer l'éclatante 5ème Symphonie et donc Le Bateau ivre? Et puis ce que vous désignez scolarités rabattues c'est de la manne pour le troubadour des temps modernes, les Illuminations pas. Ce hors-champs scolaire se situe hors chant malgré la belle tentative de Benjamin Britten, ses compositions chantées, aux mots pour la plupart inaudibles, indécodables par l'oreille, le chant opératique étant à peu près au chant (niveau compéhension uniquement– heureusement!) ce qu'aux médecins sont les ordonnances..., mais des pairs bien plus connus qu'Aube de l'Etoile font guère mieux en matière d'audibilité... non pas tant par prononciation glougloutesque, – par couverture des instruments. Être au service du texte, montrer (encore une fois, et on espère mieux que jamais) que Rimbaud ça se chante (même à capella) ou se déclame aussi en musique, donnant au poème assimilé par l'apprentissage « par coeur », en le cœur, l'esprit, le corps, la voix enfin, une autre dimension propre à faire chatoyer l'âme, en orbite des origines de la poésie, qui comme vous le savez était chantée, la musique tour à tour précédant les mots, ou les mots précédant la musique, mais en tout rejoignant les  «poètes improvisateurs » de Rimbaud qui nota cela à propos des Ogadines en son rapport (en fait d'un autre, mais plausible que superviseur il ait ajouté cela, sa patte par cette touche au moins), – bref ! voilà ce qu'a voulu l'artiste que j'ose vous présenter ici.

Et pour finir, voici Le Bateau ivre mis en prose qui reste versifiante malgré tout. Première de ses Illuminations, l'y arrimant par ses images charriées à grand voile sur la grève, délirantes, pleines de visions, par l'ivresse du verbe pas bateau mais tanguant comme lui, le Bateau, – celui du Voyage de Baudelaire génialement alchimisé par ses lectures (d'un Vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne entre autres, d'un poème source de Nodier ou tel d'Hugo), mais bateau qui raconte et qui donne voix au poète, les deux voix se confondant pour chanter le « poème de la mer », mais qui fait naufrage dans une triste flache ardennaise..., réduit à un bateau frêle d'enfant – en papier, – « flache » toujours là en face de la maison de Roche – une mare – où il écrit sa Saison en enfer à laquelle certaines pièces des Illuminations s'affilient, écrites dans le même temps, – donc Le Bateau ivre, poème source, qui conduit aux poèmes désillusionnés en vers libres de 1872 et qui s'achève par deux chefs-d'oeuvre de proses poétiques, Une Saison en enfer (1873) et Les Illuminations (dont les dernières pièces dateraient de 1875, 1877 au plus tard) – clôturant le bal littéraire par le silence. On égrène sans cesse notre chapelet Rimbaud, notre « chapelet d'amour » sur ses « pâles vertèbres » (humoriserait-il un peu noir, mais bon enfant), enfin sa légende personnelle comme dirait l'autre, – mais voici :

 

Le Bateau ivre

 

Comme je descendais des fleuves impassibles, je ne me sentis plus guidé par les haleurs. Des peaux rouges criards les avaient pris pour cible, les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J'étais insoucieux de tous les équipages, porteurs de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées, moi l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, je courus ! Et les Péninsules démarrées n'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots !

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres, l’eau verte pénétra ma coque de sapin, et des taches de vins bleus et des vomissures me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème de la Mer, infusé d’astres, et lactescent, dévorant les azurs verts où, flottaison blême et ravie, un noyé pensif parfois descend, où, teignant tout à coup les bleuités, délires et rhythmes lents sous les rutilements du jour, plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, fermentent les rousseurs amères de l’amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes, et les ressacs et les courants : je sais le soir, l’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques, illuminant de longs figements violets, pareils à des acteurs de drames très antiques, les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, baisers montant aux yeux des mers avec lenteurs, la circulation des sèves inouïes, et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries hystériques, la houle à l’assaut des récifs, sans songer que les pieds lumineux des Maries pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux d’hommes ! des arcs-en-ciel tendus comme des brides, sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses où pourrit dans les joncs tout un léviathan ! des écroulements d’eaux au milieu des bonaces, et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises ! échouages hideux au fond des golfes bruns où les serpents géants dévorés des punaises choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants. – Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, la mer dont le sanglot faisait mon roulis doux montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes, et je restais, ainsi qu’une femme à genoux… , presque île, ballottant sur mes bords les querelles et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, – moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses n’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau, – libre, fumant, monté de brumes violettes, – moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur qui porte, confiture exquise aux bons poètes, des lichens de soleil et des morves d’azur, – qui courais, taché de lunules électriques, planche folle, escorté des hippocampes noirs, quand les juillets faisaient crouler à coups de triques les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs, – moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, fileur éternel des immobilités bleues, – je regrette l’Europe aux anciens parapets !

J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : – Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles, million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Toute lune est atroce et tout soleil amer : l’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes. Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache noire et froide où vers le crépuscule embaumé un enfant accroupi plein de tristesse, lâche un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, enlever leur sillage aux porteurs de cotons, ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes, ni nager sous les yeux horribles des pontons.

 

 Mais qui soupçonnerait qu'à la guitare, à la voix et à l'harmonica, faisant par celui-ci et pour la première fois honneur aux « soupir d'harmonica qui pourrait délirer » (Les Chercheuses de poux), ce poème prenne cette dimension encore autre que toutes celles connues dans le domaine de la chanson (et elles sont peu nombreuses par rapport aux lectures ou « ditures » – car dire est autre chose que lire). On pense à celle de Léo Ferré. Insurpassable ? Ce n'est pas le but, celui-ci est de faire du Bateau ivre une autre lecture (notamment par les images de la vidéo), et si l'on en croit un commentaire, celle de Aube de l'Etoile est magistralement rimbaldienne. En tout cas elle est objectivement plus proche de l'original, ne prenant pas comme Léo Ferré le premier quatrain comme leitmotiv. Aube de l'Etoile réincarnation d'Arthur Rimbaud ? En tout cas, tel il fut appelé par des Carolos en 2010, lorsqu'il alla sur les traces du poète et qui suffit pour titrer un double album de chansons sur 22 poèmes de Rimbaud « Rimbaud par « Rimbaud » ». En ce temps là, il n'avait pas pris ce nom de scène, mais il ramena de la matière qui devint son roman Paul au pays de Rimbaud et Juliette, racontant comment il se crut la réincarnation du poète, comme une révélation dans ses longs pleurs sur sa tombe. Le ridicule ne tue pas (la preuve!), et quand il produit quelque chose comme ça, que dire autre que : « Merci Ridicule ! » ? Et si ce ridicule couvre quelque prétention, alors : « Merci Prétention ! »

Ce projet né en 2010 a été achevé en 2021 grâce au confinement. Alors surtout – pas merci Covid, on ne peut aller jusque-là (quoiqu'on dise « un mal pour un bien », la postérité avec recul le verra un jour peut-être mieux que nous), mais puisqu'il a profité à maints artistes, dont Aube de l'Etoile : – Merci Confinement !

 Bel et bien bonnement à vous. 

 

                                                                                                                                                      S Gentil

 

 

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27 septembre 2022

Témoignage inédit exceptionnel de Armand Savouré sur Arthur Rimbaud

De fait, j'ai déniché ce témoignage inédit et exceptionnel d' Armand Savouré sur Atthur Rimbaud, trouvé sauf erreur de ma part nulle part sur la Toile, dans Autographes et manuscrits - ventes publiques 1882-1985 par O. Martellin (éditions Mayer, 1985) que j'acquis il y a une dixaine d'années dans un magasin appelé Souk et Stock.

On rappelle qu'Armand Savouré était associé d'Arthur Rimbaud depuis 1886 et qu'il y eut entre eux une correspondance prolifique et soutenue entre le 27 janvier 1888 et avril 1890. Savouré lui écrira une dernière fois du Harar le 15 août 1891.

C'est Savouré qui est l'auteur du célèbre "Rimbaud ou la terreur des chiens".

Enfin, voici ce témoignage:

 

Savoure (Armand), commerçant au Harar.

L.a.s (lettre autographiée signée) à Isabelle Rimbaud. Abdis-Ababa, le 12 avril 1897, 4 pp.in-8 à son cachet encre (plis renforcés).

Il aurait volontiers remis les lettres à Rimbaud: "j'en avais en effet un volumineux dossier, mais lorsque je suis rentré, j'avais tout laissé au siège de Djibouti de Compagnie franco-africaine, que je représentais ici. Depuis 2 ans que je suis de retour dans le Choa, la dite Compagnie a liquidé. Je n'ai rien pu retrouver (...) je crains fort que cela n'ait été détruit."

Il conseille de s'adresser à MM. Pilliet, Tiau et Riès. "Je sais que ces messieurs avaient la plus grande estime pour M.votre frère, que même ses lettres du Harar à cette maison, étaient souvent relues en raison de leur caractère original, choix d'expressions curieuses et disant beaucoup, et tournant tout au plus ridicule comique, dit le plus sérieusement du monde."

J'ai beaucoup fréquenté votre frère au Harar et ici. Je ne l'ai presque jamais vu rire, alors que lui nous faisait tous rire aux larmes avec ses façons d'un des plus charmants conteurs que j'ai jamais rencontrés.

Je puis vous assurer en outre qu'il était fort sérieux et entendu en affaires, de très bon conseil et très estimé des autorités Abyssines au Harar, et particulièrement du Ras Makonnen. Même Monseigneur Taurin (évêque du Harar) qui certes blâmait ses théories, j'en suis convaincu, avait la plus grande estime pour lui. (...) tous ceux qui l'ont connu dans cette région, ont grandement déploré sa fin si prématurée. Il était bien q.q.fois un peu bourru dans ses rapports, mais cela de telle façon que je ne crois pas qu'il y ait eu quelqu'un qui lui en ait gardé rancune."

MM Bardey frères d'Aden "avaient à une époque q.q. poésies de lui. C'est chez eux qu'il est d'abord entré en arrivant à la Côté. Il a été longtemps leur agent au Harar..." (V.M., 16 nov.83)

                                                              F 3.000 

 

Ainsi ce manuscrit aurait été vendu pour la relative modique somme de 3000 francs 

Sur Taurin-Cahagne, on sait par exemple par son journal qu'Arthur Rimbaud est venu lui faire une visite entre le 1er et le samedi 1887 à Jeldessa (Gueldessa), et que Rimbaud lui écrivit une longue lettre d'Aden le 4 novembre 1887.

Ce que dit Savouré du "conteur" nous fait penser à ces mots de Rimbaud dans Une Saison en enfer: "une belle gloire d'artiste et de conteur emportées". 

On peut aussi confronter ces mots de Savouré avec ceux d'Isabelle Rimbaud dans une lettre à Paterne Berrichon à propos d'Ernest Delahaye, l' ami d'enfance d'Arthur, lettre datée du 21 août 1896: "Je veux croire pour l'excuser, que M. Delahaye s'est laissé colossalement mystifié par Rimbaud, lequel aimait à étonner et à épouvanter les gens d'air crédule en leur faisant, avec le plus grand sérieux, des récits fantastiques sur son compte; - quitte à rire ensuite des badauds qui l'avaient écouté béants de surprise et de terreur."

Enfin, par le témoignage d'Armand Savouré il apparait qu'Arthur Rimbaud n'était pas un grand rieur mais qu'il  avait un sacré talent d'humoriste. Et pour finir sur une note d'humour, il devait y avoir en lui du Albert Meslay et du Blanche Gardin...

 

 

9 septembre 2022

C'est bien Rimbaud dans la photo de l'Hôtel de l'Univers à Aden

Je suis heureux de confirmer les intuitions du Commissaire Belpomme concernant la photo controversée de l'Hôtel de l'Univers, la science a authentifiée (je l'apprends qu'aujourd'hui) à 92 % qu'il s'agit bien d'Arthur Rimbaud.

https://www.paperblog.fr/7097877/du-nouveau-sur-rimbaud/

Autant dire qu'au vu de la qualité de la photo (expliquant que le pourcentage ne soit pas encore plus élevé) la probabilité qu'une personne ressemblant à 92% au poète, donc quasi un sosie, se trouve dans ce lieu qu'il a fréquenté en 1880 et fasse curieusement penser au tableau Un coin de table de Fantin-Latour (remportant sans surprise le taux de similitude le plus bas, mais tout de même élévé à 84 %), est quasi nulle.

Rimbaud nouveau portrait

 

 

Ce matin cependant, après nouvelles recherches, je constate que j'ai oublié que j'avais eu connaissance de l'article de Science et Avenir daté du 17 04 2014 intitulé "La police scientifique vient d'identifier formellement Arthur Rimbaud... ", je l'avais cité dans mon article: 23 05 14 "le visage d'Aden et les dernières illuminations" ICI , mais le lien "blog de Caroline Chatelain" nous dirigeait seulement sur Science et Avenir, et je n'avais pas eu la jugeotte de taper "Rimbaud" dans l'encadré "Rechercher un article" signalé par une loupe. Et là plus de 9 ans après je l'ai fait et y ai découvert l'article auquel je me suis référé plus haut.

Sinon au cas où cela vous aurait échappé, Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur se trouve en ligne ICI

Enfin, comme quoi, tant d'investigations de rimbaldiens sur cette photo dont certaines très convaincantes démontraient par A+B que ce ne pouvait être Arthur Rimbaud (l'un démontrant que Rimbaud ne pouvait être à Aden à l'époque de la photo) sont caduques. Peut-être trop le nez dans les détails ces rimbaldiens en ont oublié l'ensemble ou qu'un détail, que le Détail déterminant leur a échappé, qu'il ont fait une erreur quelque part, qu'il y avait une faille dans leur analyse qu'ils n'ont pas vu, qu'ils ont été induits en erreur par une pièce à conviction qu'ils ont cru vrai alors qu'elle était fausse, sans compter que la volonté tellement forte de vouloir contrecarrer Jean-Jacques Lefrère a pu leur jouer des tours dans leurs études du reste souvent caphernaümesques... Il doit y avoir aussi des rimbaldiens suspectant les analyses scientifiques comme il y en a qui considèrent faussent toute info "mainstream". La Rimbaldie est un peu semblable à un champ de bataille. J'en ai été témoin avec un rimbaldien que j'ai connu et qui a fait des recherches très intéressantes mais parfois douteuses, parce qu'il manquait de vision globale et qu'on se demandait parfois s'il ne projetait pas un peu trop ce qu'il était sur Rimbaud, exagérant, déformant la réalité, faisant une généralité de points de détails accumulés et interprétés. Aussi, selon lui Rimbaud se moquait bien de sa famille dans ses lettres pour les tenir à distance et les utiliser, rien de sincère, qu'ironie cachée dans ces lettres aux siens, c'est la fâcheuse conclusion qu'il laissa dans mon esprit et sa thèse à l'étude dans une vision globale ne tient pas debout. Et  ce rimbaldien charmant par ailleurs n'avait que dédain, propos caustiques pour ceux qui croyaient que c'était bien Rimbaud dans la photo de l'Hôtel de l'Univers à Aden. Et ce même dédain il l'eut pour mon roman Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur que je lui avait envoyé, étant d'accord pour le lire, il ne m'a jamais donné réponse. Je l'ai évoqué dans mon roman Paul au pays de Rimbaud et Juliette, en compagnie de sa compagne éthiopienne qui me toucha beaucoup et avec laquelle je vécus un moment extraordinaire raconté dans mon roman. N'empêche j'ai eu la chance de rencontrer ce rimbaldien (mais pas que) et grâce à lui de déjeuner dans la cour de la maison Rimbaud à Charleville-Mézières. J'ai appris il y a quelques années son décès. Paix à son âme et merci malgré des grosses erreurs pour ses recherches. Je peux bien le nommer maintenant: Jean-Michel Cornu de Lenclos dont il me reste à lire son ouvrage majeur: L'Abyssinienne de Rimbaud

Enfin, sur la photo de l'Hôtel de l'Univers je donnerai juste un lien montrant dessous le célèbre cliché celui d'une dont je n'avais pas connaissance où il y a présomption de présence de Rimbaud assis à droite (j'en vois deux, ils ont voulu dire celui au chapeau tout au bord)

http://www.espacereinedesaba.org/spip.php?article139

 

8 septembre 2022

La conversion de Rimbaud (reconsidération)

LA CONVERSION DE RIMBAUD

 

 

Il y a des rimbaldiens pour qui cela est impensable, ça les horripile, leur donne des boutons. Arthur Rimbaud converti ! Une pure invention de sa sœur Isabelle bigote comme leur mère !

Or, tout porte à croire qu'elle est vraie ! Un tel témoignage ne s'invente pas. Isabelle n'aurait pas crié sa joie si ce n'était pas le cas (« J'ai éprouvé le plus grand bonheur que je puisse avoir en ce monde », « Moi, je baisais la terre en pleurant et en riant »)... Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, c'était impensable, catastrophique de ne pas faire les sacrements (d'où le soulagement et la joie d'Isabelle : « ce n'est plus un pauvre malheureux réprouvé qui va mourir près de moi »), que la vie religieuse était beaucoup plus prégnante qu'aujourd'hui, on ne vivait pas pour le plaisir comme aujourd'hui, on attendait le paradis, la vie sur terre étant un enfer, au mieux un purgatoire. Et comme vous le dit si bien Sylvain Tesson dans Un été avec Rimbaud (2021, Equateurs parallèles) : « Que connaît-on du mystère de la rencontre jouée sur le dernier parvis? » Il n'a cependant (et on peut le regretter) pas voulu trancher, laissant le « bénéfice » du doute. Il n'avait peut-être pas le choix, sinon il aurait fallu donner des arguments, et ce n'était pas son but. Aussi lui qui se mouille tant sur d'autres sujets préfère t-il dire : « La conversion est peut-être vraie. Peut-être fut-elle inventée par Isabelle. Nul ne le sait. » et pour se dédouaner lance t-il : « un corps à l'agonie ne devrait pas être un tapis vert où lancer ses paris. » La vérité, ou s'approcher au plus près d'elle, exige recherches, analyse, investissement, sans préjugés. Des préjugés, Sylvain Tesson, n'en a pas, mais il s'abstient de la recherche de la vérité qui lui aurait fait dire : « La conversion d'Arthur Rimbaud est fort probable, rien à l'étude ne conteste le témoignage d'Isabelle, tout le concorde. » Faut-il ne pas voir par son prisme si l'on est anti-clérical, par exemple... Il faut lire et relire cette lettre avec une approche scientifique, la lire avec une vision globale tout en allant chercher les détails (« le diable est dans le détail »). Combien de rimbaldiens sont capables de cela ? La lecture de Sylvain Tesson de l'oeuvre et de la vie d'Arthur Rimbaud nous en dit davantage sur lui que sur le poète. Il oublie de dire qu'Arthur Rimbaud était prisonnier en Afrique : il rêvait d'aller à Zanzibar, ses affaires l'en retinrent, il ne pouvait revenir en France car il était poursuivi par ses obligations militaires, menacé d'arrestation, cette affaire le poursuivra durant les dix années passées à Aden et Harar; il rêvait de se reposer dans un endroit qui lui « plaise à peu près » et de fonder une famille, d'avoir un fils qu'il éduquerait dans la Science (Lettre du 6 mai 1883, et dans une lettre précédente il dit « je me marierais »), il ne le put, débordé par le travail et tracassé par lui et des ennuis de toutes sortes (réclamations d'indigènes...), il souhaitait venir à Paris pour l'Exposition universelle (18 mai 1889), il en était empêché une fois encore, comme il a été empêché de réaliser son rêve de travailler comme reporter photographe pour la Société de Géographie (l'ancêtre du National Geographic). Pour son désir de se marier, elle sera fluctuante (« je n'ai ni le temps de me marier, ni de regarder se marier », d' Harar à sa mère le 21 avril 1890, tandis que le 10 août à la même : « Pourrais-je venir me marier chez vous au printemps prochain ? »

Il faut rappeler aussi que la lettre d'Isabelle du 28 octobre, une des lettres les plus belles et émouvantes qui soient a été écrite avant la mort de son frère, et donc bien avant qu'elle ne rencontre Berrichon et que soit créé le « Rimbaud catholique » appuyé par un Paul Claudel converti..., qu'écrite alors dans l'ignorance des œuvres littéraires de son frère (raison de plus pour lui donner crédit...), cette lettre est l'apothéose d'une correspondance entre elle et Arthur depuis son rapatriement à Marseille, cinq lettres d'Isabelle, sept d'Arthur, cette dernière restée sans réponse... Après, qu'Arthur ait accepté la conversion pour faire plaisir à sa sœur, cela serait possible, il l'aimait cette sœur pour laquelle il s'inquiéta là-bas, qu'il conjura de ne pas venir en Abyssinie, – mais je ne crois pas. Quand on a vécu Une Saison en enfer, puis 40 Saisons en enfer (Arthur Rimbaud et les quarante saisons...), peut-on concevoir qu'il ait pris le risque de vivre éternellement en enfer, après un Jugement défavorable? Car telles étaient les croyances prégnantes... et sa mère était une bonne représentante de celles-ci (on peut imaginer dans cette histoire l'incidence de l'inconscient collectif, qui existe depuis la nuit des temps, bien avant qu'il soit découvert par un certain Jung...) Cette lettre d'Isabelle adressée de Marseille à sa mère alors à Roche sent la sincérité, la vérité à plein nez. Rapports bouleversants à pleurer (ex : « Les médecins le regardent dans les yeux, ces beaux yeux qui n'ont jamais été si beaux et plus intelligents, et se disent entre eux : « C'est singulier » Il y a dans le cas d'Arthur quelque chose qu'il ne comprennent pas. » Ce quelque chose qu'ils ne comprennent pas, on le voit différemment à l'oeuvre dans plusieurs passages (« les médecins […] restent muets et terrifiés devant ce cancer étrange. » Plus haut : « Quand le prêtre est sorti, il m'a dit d'un air troublé, d'un air étrange : « Votre frère a la foi mon enfant, que disiez-vous donc ? Il a la foi, et je n'ai jamais vu de foi de cette qualité. » Et là on repense au témoignage de Delahaye parlant du zèle de Rimbaud enfant, en colère comme un Jésus dans le temple... ça arrive dans le jeu de l'Oie, la loi amère : retour à la case départ ! Rimbaud s'est éloigné de sa foi en Dieu et est devenu anti-clérical après mauvaises expériences, notamment de pédosexuels (voir Un cœur sous une soutane ), après la conscience de l'hypocrisie des représentants de la religion et de leurs travers. C'est vrai aussi qu'à l'adolescence, on devient plus critique et expéditif. Pour mieux comprendre Arthur, il me suffit de repenser à ma première vie où j'ai été élevé dans une secte d'origine protestante, à mon premier poème que je jugerai «spi » plus tard, un poème plein de foi et de zèle intitulé La pêche aux hommes, cela à une époque où je n'étais pas encore sorti de la secte, j'avais dix-sept ans, âge aussi où je me fis baptiser... Ma crise d'adolescence, d'identité, spirituelle a eut lieu plus tard, à un âge où Rimbaud avait cessé toute littérature et où moi je commençais à écrire des œuvres littéraires, avec une ambition toute rimbaldienne, à l'âge de 20 ans, âge où « plein de répugnances », rebelle, je fermais « le livre du devoir », une Bible vraiment couleur «vert chou », comme dans Les Poètes de sept ans, avant de devenir noire. On m'accusa de frôler l'apostasie car je posais trop de questions gênantes, intelligentes auxquelles les Bergers ne pouvaient répondre. Aussi dans mon Har-Maguédon (1996) de la forme d'Une Saison en enfer mais d'un fond bien personnel, j'écrivis : « Apostasie : penser par soi-même. »

Je reviens à Arthur. Sa conversion sur son lit de mort est en cohérence avec sa vie là-bas, en Orient et en Afrique. Rimbaud a beaucoup changé, faut pas oublier son grand rapport au Coran traduit par son père (traduction demandée à sa mère), qu'il a côtoyé des tas de musulmans dont la foi était vivante, dont des soufis... , qu'il a eu depuis au moins 1887 pour serviteur et certainement ami confident Djami (qu'il appelait sur son lit de mort, et à qui il légua une bonne partie de sa fortune) qui était sans doute musulman et peut-être de tradition soufie (beaucoup représentée à Harar - voir doc "L'exil éthiopien d'Abdallah Rimbaud" diffusé sur Arte en 2017 sur You Tube  ICI , sachant que mon roman Rimbaud passion où les mystères d'Arthur traitant de cette question est antérieure de quelques années). Isabelle écrira ceci à son propos à Monseigneur Taurin-Cahagne : « J'ai été péniblement surpris en apprenant la mort de ce pauvre Djami que mon frère m'avait dépeint comme lui étant très attaché et très fidèle. De plus, il n'avait, je crois, qu'une vingtaine d'années. » (A la mort d'Arthur ? Ce qui veut dire qu'au moment où Djami commença à le servir il avait l'âge qu'Arthur avait lorsqu'il avait rencontré Verlaine, ce qui pousserait la mort de Djami à 22 ans...). N'oublions pas non plus qu'Arthur a vécu dans des pays où il s'est assimilé aux mœurs (Comme avant lui l'auteur de Voyage en Orient, Gérard de Nerval), où il parlait les langues des pays côtoyés, l'arabe et l'amhara, où peut-être il a enseigné le Coran si on en croit un témoignage, où il a côtoyé la religion orthodoxe (avec des souverrains se disant descendants de Salomon) ayant une autre saveur que le catholicisme, et on peut imaginer l'effet qu'a pu avoir sur Arthur d'entendre le begena... (d'ailleurs Isabelle, s'inspirant d'une illustration du Tour du Monde l'a imaginé en jouer, et qui sait?), où enfin il a rencontré des missionnaires catholiques, il a même dîné avec Monseigneur Taurin-Cahagne (journal de ce dernier). Avec eux, la religion prenait un tout autre sens, avait vraiment un sens. Et si on refuse que Rimbaud ait sur son lit de mort dit maintes fois « Allah kérim » (que la volonté de Dieu soit faite), il faut aussi refuser qu'il ait appelé sa sœur « Djami », cela étant tout deux des témoignages de celle-ci. Mais revenant à la sincérité, à la véracité du témoignage d'Isabelle, sa cohérence, à ce qu'il comporte des choses qui ne s'inventent pas, etc, sa conversion a probablement été pour avoir été  touché par la grâce . Cela expliquerait qu'il « désirait ardemment les sacrements, la communion surtout. », c'est à dire la profession de foi. Le Voyant commençait à voir au-delà du gaze (ce qu'il reprocha à Musset de n'avoir pas fait), et de même qu'un AVC ouvre l'esprit sur d'autres dimensions, une grande souffrance à un certain degré peut susciter des visions. Appelons ces visions « Illuminations nouvelles » que sa sœur Isabelle a entendu sortir de la bouche de son frère tel que dans un rêve : « Par moments, il est voyant, prophète, son ouïe acquiert une étrange acuité. Sans perdre un instant connaissance (j'en suis certaine), il a de merveilleuses visions ; il voit des colonnes d'améthystes, des anges marbre et bois, des végétations et des paysages d'une beauté inconnue, et pour dépeindre ces sensations, il emploie des expressions d'un charme pénétrant et bizarre », cette sœur qui a dit aussi « Je crois que la poésie faisait partie de la nature même de Arthur Rimbaud ; que jusqu'à sa mort et à tous les moments de sa vie le sens poétique ne l'a pas abandonné un instant. » Je le crois aussi. Mais c'est là un autre sujet.

 

Disons que, repensant à ses poèmes Mystique ou Aube où la Grande Déesse lui apparaît, il n'y a pas à douter d'une tendance mystique chez Arthur Rimbaud, qu'il a vécu plusieurs expériences mystiques depuis sa periode « Voyant » jusqu'aux Illuminations, il n'y a guère de doute. La poésie en elle-même est un mode de langage sacré et par prémonition enfant il avait écrit Tu vates eris  « Tu seras poète » (autrement dit « prophète », dans l'acception latine.) Alors il n'y a d'autant plus pas à douter sérieusement du caractère mystique et sacré qu'a revêtu pour Arthur Rimbaud, son ultime voyage. Ces derniers mots du poète participant à sa légende : « Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord. » ont été écrits par sa sœur Isabelle à qui il dictait, douze jours après sa conversion et son sacrement, derniers mots de sa dernière lettre. Je repense aux derniers vers du poème Le Voyage de Charles Baudelaire, qu'il connaissait tant, peut-être y a t-il repensé sur son lit de mort, mais pensait-il «Enfer ou Ciel qu'importe » ? L'explorateur qu'il était devenu pouvait adhérer au moins au dernier vers : « Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ». Arthur a t-il voulu faire un pied de nez à la mort, a t-il cru réellement qu'il allait pouvoir repartir en Afrique ? Il n'était sans doute pas dupe (pas plus que sa sœur pour qui cette dictée a dû être un crève-coeur tout de même), mais il aura voulu y croire, s'illusionner (lui qui avait écrit en 1872: «plus rien ne m'illusionne »), enfin s'offrir un dernier beau rêve. Ou peut-être ce rêve aura eu lieu sans sa volonté, devenu comme somnambule de la plume. En tout cas, quitte à aller en enfer, il avait élu le sien, devenu au fond (dans l'union du ciel et de l'enfer cher à William Blake) son paradis, du moins sa patrie, son pays d'âme, où peut-être, à travers Djami, il avait rencontré l'Amour.

 

J'aimerais au passage critiquer vivement le doutisme et le questionnisme qui ne valent guère mieux que le terre-platisme. Dis, maman, la Terre elle est plate ou ronde ? On ne sait pas, mon enfant.

« Répondre c'est tuer » a cité je ne sais plus qui, approuvé par l'animateur de la Big Librairie (émission de qualité, mais trop souvent rasante, avec heureusement des perles comme cette interview de Patti Smith, enfin dès qu'il part en Amérique le niveau s'élève...).

Bref, voilà pour le questionnisme. On en vient à avoir honte d'être en quête de réponses, et encore plus oh là là ! d'en donner...

Le doutisme est le dogme (frère du questionnisme) selon lequel il faut douter, c'est la suprême valeur, au-dessus de la vérité, reine des certitudes qu'on fuit comme la peste lorsqu'on adore le dieu Doute.

Je ne suis pas prêcheur de « La Vérité » comme je l'ai été jadis, mais il y a des vérités, des faits indéniables : la Terre tourne autour du Soleil et non l'inverse comme on l'a cru pendant des millénaires, avant on croyait, maintenant on sait, on l'a vérifié, ce qui aurait pu être à raison seulement tenu pour vrai par déduction d'observations. La Terre est ronde et non plate. Le relativisme n'a aucune valeur sur cette question comme sur tant d'autres. C'est aussi indéniable qu'on vit et qu'on meurt.

Doutisme et questionnisme ne sont qu'inepties, impostures intellectuelles.

Répondre à des questions n'épuise pas le mystère de la vie et du monde et ne l'épuisera jamais.

Pour revenir à Rimbaud, il n'y a aucune objection objective à ce qu'il se soit converti sur son lit de mort, c'est certain. Une vue globale des choses alliée à l'analyse sans préjugés et projections de notre part des témoignages de sa sœur nous amènent à conclure dans le sens de sa certitude. 

 

Les croyances est ce qu'il ya de plus fort chez l'humain. La croyance est du côté de la représentation du monde en notre intérieur (projections de nos désirs, de nos espoirs réponse à nos angoisses, etc.) et elle s'oppose hélas aux faits qui sont du côté de la Connaissance, celle qu'entre autres prodigue la Science. La croyance est sécurisante, le contraire de la Science. Mais la croyance, si elle sauve souvent (et elle est inhérente à l'humain) elle a aussi beaucoup plus tué dans l'histoire que la science. Réécouter God on our side de Bob Dylan (ICI. Voilà d'une vérité que Rimbaud applaudit des deux mains et des deux pieds.

https://www.youtube.com/watch?v=5y2FuDY6Q4M

23 décembre 2021

Portrait possible de Djami Wandaï, serviteur et ami d'Arthur Rimbaud

Djami (tel que je l imagine) 1882 -Abyssinie_15_Abyssin___[mission]_[

Djami? Le portrait photographique date d'avant 1882.

Légende d'origine: Abyssin, mission Raffray, [photo?] [Photo reproduite par]  Molteni [pour la conférence donnée par] Raffray. Par Achille Raffray (1844-1923), chef de mission, auteur de conférence.

Détail:

Titre :  Abyssinie. 15, Abyssin / [mission] Raffray ; [phot. ?] ; [phot. reprod. par] Molteni [pour la conférence donnée par] Raffray
Auteur  :  Raffray, Achille (1844-1923). Chef de la mission. Auteur de la conférence
Auteur  :  Molteni. Photographe
Date d'édition :  1882
Sujet :  Jeunes hommes -- Éthiopie
Sujet :  Adolescents -- Éthiopie
Sujet :  Éthiopie
Sujet :  Portraits
Sujet :  Types ethnographiques ou sociaux
Type :  image fixe
Type :  photographie
Langue  :  français
Format :  1 photogr. pos. sur verre ; 10 x 8,5 cm

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b532352937.r=%C3%89thiopie?rk=300430;4

 

précisions sur BNF

Titre(s) : Abyssinie [Image fixe]. 15, Abyssin / [mission] Raffray ; [phot. ?] ; [phot. reprod. par] Molteni [pour la conférence donnée par] Raffray

Date(s) : 1882 [contretype d'une phot. réalisée avant 1882]

Description matérielle : 1 photogr. pos. sur verre ; 10 x 8,5 cm

Note(s) : Date de la conférence à la Société de géographie : "3.3.82" (mention ms.). - Court récit du voyage dans : "Comptes rendus des séances de la Société de géographie", 1882, p. 115-117.

 

Autre(s) auteur(s) : Raffray, Achille (1844-1923). Chef de la mission. Auteur de la conférence Voir les notices liées en tant qu'auteur

 

Sujet(s) : Jeunes hommes -- Éthiopie Voir les notices liées en tant que sujet
Adolescents -- Éthiopie Voir les notices liées en tant que sujet

 

Sujet(s) géographique(s) : 
Éthiopie Voir les notices liées en tant que sujet

Classement géographique : Afrique > Éthiopie

 

Genre iconographique : Portraits ; Types ethnographiques ou sociaux

Identifiant de la notice  : ark:/12148/cb456809052

Notice n° :  FRBNF45680905

 

 C'est ainsi que je m'imagine Djami, le domestique d'Arthur Rimbaud, qui l'accompagna au Caire en 1887 pour ses vacances, et pour lequel Arthur Rimbaud sur son lit de mort fit voeu à sa soeur Isabelle, qu'il appela par ce prénom ("moi il m'appelle parfois Djami" - lettre d'Isabelle Rimbaud à sa mère, le 28 octobre 1891), de léguer une partie de sa fortune, voeu qui ne sera pas exaucé indépendamment de la volonté de sa soeur, Djami étant mort peu de temps après son départ, - de chagrin? Il était plus qu'un domestique, un ami et un confident.

 Il y a comme un air rimbaldien indéfinissable dans cet adolescent abyssin, on pense à la célèbre photo truquée de Carjat.

Arthur Rimbaud (photo de Carjat sens inversé)

                         J'ai inversé le sens de la photo par rapport à l'original pour le rapprocher davantage du portrait possible de Djami.

 

Le jeune abyssin sur la photo a l'oeil intelligent, affuté d'Arthur. N'aurait-il été lui aussi un enfant précoce? La précocité est de tout temps, de tous les pays. Jésus, n'était-il "le fils de Dieu" a toutes les caractéristiques de la surdouance (Jésus au Temple à douze ans...), de ce qu'on appelle Haut Potentiel, si ce n'est autiste Asperger, aux caractéristiques très proches. "Je est un autre". Chaque miroir de soi-même, que l'on reconnait comme faisant partie du même arbre, voire de la même branche et  qu'on peut appeler "âme soeur" sans y associer de sentiments amoureux.  Ne peut-on penser qu'ils se sont reconnus ces deux-là?

Le portrait ci-dessus date de 1882, et Djami, harari (habitant de Harar) aurait été au service de Rimbaud depuis 1883, donc il n'avait pas plus de 18 ans en 1887, lorsqu'Arthur Rimbaud pris ses vacances au Caire avec lui en accompagnateur, en qualité de domestique (voir passeport ci-dessous ou "Djami" est écrit peut-être phonétiquement "Giami"). 

Ce portrait de "Djami" (plus je le regarde, plus je crois que c'est lui) a été réalisé par Achille Raffray (1844-1923), chef de mission, auteur de conférence comme il a été noté en légende sous le portrait, était entomologiste, explorateur et diplomate français. Il publia plusieurs ouvrages sur l'Abyssinie. D'abord  un rapport de mission scientifique en Abyssinie et à Zanzibar en 1875 (sa mission étant en 1874), il publia un second ouvrage en 1876 (Abyssinie, Afrique orientale, réédité en 1880), puis publia en 1882 (année où il fut missionné en Abyssinie) "Les Églises monolithes de Lalibéla, Abyssinie", enfin en 1898 un autre ouvrage intitulé L'Abyssinie.

 https://fr.wikipedia.org/wiki/Achille_Raffray

 

 

  • (1875) Rapport sur ma mission scientifique en Abyssinie et à Zanzibar. Archives des missions scientifiques. Ministère de l'Instruction publique, Paris, tome IV, 3e série, 1re livraison4. Voyage en Abyssinie, a Zanzibar et au pays des Ouanika', Bulletin de la. Société de Géographie x, No. 6 (1875).
  • (1876) Abyssinie, Afrique orientale, Plon, Paris, (2e édition en 1880).
  • (1882) Les Églises monolithes de Lalibéla, Abyssinie, souscription du ministère de l'Instruction, V.A. Morel, Paris.
  • (1896) L'élevage des Autruches dans la Colonie du Cap. Rapport au Ministère des Affaires Etrangères. Revue des Sciences naturelles appliquées. Soc. d'Acclimatation4.
  • (1898) L'Abyssinie [précédé d'une notice par Charles Simond], Plon, Paris.

 

Citation du blog "Le Rimbaud ivre" où j'ai trouvé des informations importantes:

 http://rimbaudivre.blogspot.com/2020/

"Le passeport de Rimbaud établi au Caire le 23 septembre 1887 a été reproduit plusieurs fois. On donne ici le fac-similé du catalogue de l'exposition Arthur Rimbaud. Portraits, dessins et manuscrits réalisé en 1991 (p. 84). Ce document qui décrit Rimbaud donne d'autres informations importantes. Ainsi, il y est précisé que le poète est accompagné de son domestique Djami, ce qui lui permettait de passer la frontière avec son maître et qui montre que Rimbaud avait l'intention de voyager avec lui. Les biographes avaient déjà signalé que Djami était arrivé à Massaouah avec Rimbaud, mais ils ont éludé l'importance de sa présence au Caire. 

 "On sait que Rimbaud avait refusé que Djami l’accompagne en France pour se faire opérer et où pourtant il aurait été très utile pour l'aider à se déplacer. Si j'en crois la notice que j'ai réalisée sur lui dans le Dictionnaire Rimbaud, il avait au plus 19 ans en 1887 et était à son service depuis 1883. On sait aussi que Rimbaud avait manifesté avant de mourrir l'intention de lui faire un legs de 3000 francs, ce qui était une somme importante. On est en droit de penser que Rimbaud considérait Djami plus qu'un simple domestique et qu'il était une présence pour lui comme compagnon de voyage. 

 "L'autre information que l'on peut relever sur le passeport du Caire est que celui-ci a été établi au vu d'un premier passeport délivré par le Vice-Consul à Massahouah. Nous ne connaissons pas ce document mais grâce à Vincent Malausa nous pouvons publier un document inédit qui est une copie d'un reçu de ce passeport réalisé à Massaouah le 10 août 1887."

 (blog Le Rimbaud ivre)

 

 CONCLUSION: Il est possible que je me sois planté (encore une fois! voir mon article "Rimbaud barbu"), ce n'est peut être pas Djami.  Si la photo a été prise avant 1882 (voir notice), elle n'a pu être prise que lors du voyage de Raffray en Abyssinie de 1873-1874. Admettons qu'elle date de 1874, difficile de donner un âge au garçon sur la photo, mais donnons-lui l'âge de 12 ans, il aurait eu en 1891, 29 ans. ça reste dans la vingtaine, mais c'est plus proche de la trentaine. Donnons l'âge de dix ans au jeune abyssin, il aurait eu 27 ans. Isabelle dans une lettre du 19 Février 1892 dit que c'est un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans (à l'heure où elle écrit). Lorsqu'il est attesté serviteur d'Arthur Rimbaud en août 1887 dans son passeport du Caire où le négociant prit ses vacances, il avait donc 17-18 ans. Isabelle s'est-elle trompée sur l'âge de Djami? Si l'abyssin de la photo est bien Djami, il faudrait admettre qu'il avait 24 ans tandis qu'Arthur en avait 33. Le même écart à peu près qu'entre Arthur Rimbaud et Paul Verlaine. Une autre hypothèse n'est pas écartée: une erreur de date de la photo. Raffray étant retourné en Abyssinie en 1882, il a pu effectivement rencontré et photographié cet abyssin au cours de son voyage. Alors, si on lui donne 12 ans au moment de la prise de la photo, il aurait 17 ans en 1887 (l'âge que le poète se donne dans "Roman") et 22 en 1892 (à la mort de Rimbaud donc, Djami avait l'âge où il écrivit ses derniers poèmes connus). Au final, il est possible aussi que je ne me sois pas planté, que le jeune abyssin en photo soit bien Djami. Dans tous les cas, c'est ainsi que je l'imagine. Notons que le Harar est la capitale du soufisme, et on imagine bien le garçon de la photo présumé être Djami (rappelons-le harari) éduqué par un père soufi. Rappelons que le soufisme est fort représenté par des poètes de cette "confession", citons Rûmi, le plus prestigieux sans doute; mais il y a même un poète soufi s'appelant Djami. Il est l'un des plus réputés du XIVème siècle. Cela confirmant mon intuition. De plus, dans mon roman Rimbaud passion où les mystères d'Arthur, le commissaire Belpomme émettait l'hypothèse que Djami, serviteur et ami (sans doute) d'Arthur Rimbaud, était soufi, cela sans savoir que le Harar était le foyer des soufis, sans avoir vu le documentaire "L'exil éthiopien d'Abdallah Rimbaud" diffusé sur Arte en 2017 (ma publication de mon roman y est antérieure de quelques années).

LIEN DOC: ICI

Djami ou pas Djami, on a bien donné des portrait présumés de Lautréamont! Cela complète le trombinoscope d'Arthur Rimbaud sur le site Mag4.net, mais malheureusement le site a clôturé et on ne peut donc l'y faire ajouter le portrait présumé de Djami.

http://www.mag4.net/Rimbaud/Trombinoscope.html

 

 

 

30 juin 2021

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (Roman, version 2021) - Chapitre 30

XXX

OÙ PAUL SE RELÈVE, S'ÉLÈVE PEU À PEU

 

Paul se réveilla. Il était en boule dans le hall de l'ancien Institut Rossat. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. A peine conscient et pourtant... – est-ce que cette folle vision lui en donna l'énergie? Il demanda enfin de l'aide à sa Bien-Aimée intérieure (encore elle!); oui, son guide. L'appel fut efficace, elle lui souffla quelques mots qui suffirent à le sortir de sa torpeur, de son hébétude même. Elle le fit remonter à la surface. Il devait admettre qu'il était dans une telle fatigue, un tel état, que mieux valait demander de l'aide. Il se retrouva à la rue. Il devait faire à nouveau confiance à la vie. Même s'il tirerait encore un bon moment une gueule apocalyptique et saturnienne.
Une femme sortit d'un bureau et dit: «Vous vous abritez? Puis-je faire quelque chose pour vous?»
«Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes!» disait le petit Arthur dans un devoir.
Reprenant conscience de la réalité, entendant la pluie tomber, Paul répondit:
– Je n'ai nulle part où dormir. J'ai une misérable tente au camping qui doit être toute inondée. Je ne sais ce qu'il en restera après le déluge...
«Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.» (Illuminations)
– Il y a un CCAS* qui loge les sans-abri, vous pourriez y dormir cette nuit, et même plusieurs nuits. Je peux téléphoner pour savoir s'ils ont de la place.
*Centre Communal d'Action Sociale

Ce fut fait. Il y avait de la place. Une chaleur parcourut ses veines. En attendant, il avait du temps avant le soir et avait faim. Et soif. Et envie de pisser...
Assis dans un snack avec ses frites, voilà que s'ébrouant comme un chien à la sortie de l'eau, il sortit de son fourreau son épée poétique. Ainsi, il écrivit ce qui venait simplement, l'esprit poreux à l'humidité, à la morosité du temps:

Il goutte
Il goutte des milliards de pluies
...
Dire merci – Merci gouttes
Je suis au sec.

Il exerçait tant bien que mal son esprit à l'acceptation, l'endurance, la résistance. Sa conscience tiraillait et travaillait:

Mon esprit peut être l'empire du pire
Mon esprit peut être l'empereur du meilleur

Ça rassure, des binômes bétons comme ça. Rien de plus limpide, n'est-ce pas? L'esprit humain est sujet à de telles galvanisations. Oui, il faut peu de choses en vérité, un rien, pour mettre un homme par terre. Et un rien aussi, vous l'avez vu, pour qu'il se relève. L'idée d'une chanson émergea. Cela donna un poème pour ne pas moisir sur sa chaise:

Bobo Rimbaud
Zéro inspiration
Charleville sous l'eau
Soupir dans ma passion

Comment irais-je à Roche?
À dos de loche?
Et à Bruxelles?
À dos de coccinelle?

Si j'écourtais le voyage,
Serait-ce un naufrage?
Sous l'eau sautille le moineau
Que je sois moineau de peau

Fini de s'faire du mouron
Que le présent fasse ronron
En moi une éclaircie
Met un terme à tous les Si
... Si le ciel cessait d'verser ses seaux!


Il se rendit enfin au CCAS. Là, il apprécia le confort d'un bon lit au sec; moins, par contre qu'au cours d'une conversation, un intendant lui dise: «Tu pars toujours de toi-même. Il faut au contraire toujours partir des autres.» Disait-il vrai? Que voulait-il dire concrètement? Et que devient là-dedans le «Je est un autre»? Et «Je» n'est-il pas universel? Il faut dire que, quoi qu'il en soit, il se savait égocentrique – mais, ce n'était pas forcément un défaut. Son amie Éléonore lui avoua même apprécier les égocentriques, car ils étaient trop occupés à parler d'eux-mêmes pour s'appesantir sur sa maladie de cœur, ce qui la laissait la gérer sans peser sur elle...
Bref, au CCAS il avait rencontré beaucoup de jeunes qui se trouvaient là depuis longtemps et lui donnèrent ce sentiment fort universel de n'être pas le seul et le plus à plaindre. Moins isolé, moins livré à lui-même et ses errances, il revint dans la réalité concrète. Mais vivre en communauté n'était pas son fort, il ne pourrait rester longtemps ici comme certains. S'il avait besoin de se sentir entouré, il avait trop besoin de son univers intérieur, qu'il ne pouvait trouver que dans la solitude et le rêve, dans une réalité leur étant favorable. Là, dans l'atmosphère du CCAS, dans la réalité rugueuse, crue, – même seul dans une chambre – il n'avait même pas pris plaisir à lire Une Saison en enfer... Il n'avait pas réussi à le goûter, à l'«étreindre». Aussi, quand il n'était pas dans son chez-lui, quand il était en voyage, il lui fallait être porté par une énergie créatrice, porté par le rêve, un poète, un amour idyllique... Une mission divine?
Il avait – force est de le constater, ou du moins l'envisager – un côté autistique qui cependant n'était pas reconnu, qui n'était entré dans aucune case, qui n'avait tout bonnement pas été identifié. Sauf à trente ans, dans une communauté alternative, où un ours barbu lui dit au bout de trois semaines qu'il le trouvait «autiste». Et puis par son amie Éléonore qui disait être sur le même arbre que lui, mais pas sur la même branche. Et ils étaient un peu dans le même cas, pas compris par leur propre famille.
Le voyage de Paul au pays de Rimbaud, et de Juliette, était à son terme. Il lui semblait être arrivé au bout de sa quête de Rimbaud, ne pouvant en tirer plus pour l'instant, sans tomber dans une folie peut-être irréversible et dont il était déjà atteint. Il était peut-être un double d'Arthur Rimbaud, un frère certainement. Peut-être un jour on reconnaîtra un «syndrome de Rimbaud», point acuminé du «rimbaldisme» ou de la «rimbaldomania», maladie fort rare, voire unique: se croire sa réincarnation.
Paul pensa:
«Je me crois en enfer donc, j'y suis». «Je me crois la réincarnation d'Arthur Rimbaud, donc je le suis. Je n'ai rencontré personne assez fou pour se dire être la réincarnation de Rimbaud (remarque, je ne le dis pas, – pas vraiment). Et est-ce que ça s'invente?»

L'heure était venue de l'au-revoir aux Ardennes et du retour au pays natal, car la réalité le rattrapait, il avait un engagement qu'il devait honorer, même si cela ne l'enthousiasmait pas.
Au camping, il dit de nouveau au revoir à Tom. Rémi était toujours absent. Puis il fila aussitôt à la gare pour prendre un billet. Il y avait deux trains en fin de matinée.
Il avait plus d'une heure devant lui, le temps de prendre un café dans le Bar de l'Univers, tout prêt de la gare. Il s'installa en terrasse. La serveuse, au début peu amène, se détendit ensuite. Il avait fait son possible, pas grand chose, pour lui renvoyer de l'amour en réponse à la dureté de son visage fermé. Grâce à elle, il s'assura que c'était bien ce café que Rimbaud avait fréquenté. Elle avait fini par sourire. Plus tard, une demoiselle s'installa à une table en face de lui, de l'autre côté de l'entrée. Elle sortit un carnet et un crayon. Curieux de savoir si elle écrivait – si elle était écrivaine – il se retint pourtant. Plus tard en se levant pour aller aux toilettes, il aperçut d'un regard en biais une liste de chiffres et de lettres...
Dans le train, il lut un petit fascicule sur des artistes précoces, acheté au Musée Rimbaud. Curieux, mais guère transcendant.
À la correspondance de Reims pour sa destination angevine, il devait attendre une heure et demie. Paul en profita pour aller se remplir l'estomac. Le serveur généreux lui servit deux crêpes salées et bien garnies pour le prix d'une.
– Tout ça?
– Vous avez faim, non?
Il est touché. Le ventre plein à craquer, il se rend aux toilettes. Les demoiselles de l'accueil sont amusées par son côté planant. Il attend ensuite, assis près du quai, face aux annonces lumineuses et changeantes à la manière de la roulette russe.
Paul raconta cette étape et son retour dans son journal:
«Il y a un certain nombre de mitraillettes qui se promènent en costume officiel, très nature. Je me demande si ces soldats sont à la recherche d'un terroriste qui voudrait faire sauter un train. Soudain, mon TGV entre en gare, je vois un jeune homme grand, brun, en soutane blanche. Des enfants rigolent derrière son dos. Il porte quelque chose à la main qui attire mon attention: un paquet cubique sous un papier cadeau qu'il porte comme un sac de course. Son pas est rapide. Déterminé. Et s'il portait une bombe? Dois-je alerter les mitraillons? J'ai très peu de temps. Je demande à ma Bien-Aimée si c'est une bombe:
– Non, ne t'inquiète pas.
Finalement, je m'installe sur un siège en face de lui, de l'autre côté du couloir qui nous sépare et je l'aborde par un:
– Vous êtes moine?
– Religieux.
Un peu plus tard:
– C'est un cadeau que vous transportez avec vous?
– Oui, un cadeau pour ma communauté.
Ouf! Me voilà soulagé! J'appris qu'il faisait partie d'un monastère. Que là, il revenait d'un séjour dans un autre monastère. Je ne sais plus de quel ordre il était, mais on l'appelait Frère Lazare, nom qu'il portait à côté de son nom civil. C'était sa vocation. Il avait « voué sa vie à Dieu. »
La conversation fut très enrichissante. Il me parla de la philosophie qu'il étudiait, pour l'essentiel Saint Thomas d'Aquin. Je finis par lui parler de mon expérience jéhovine... Il me posa des questions auxquelles je répondis. Je restai toujours respectueux et j'arrivai à le toucher lorsque je lui parlai de religion et de spiritualité, de mon livre, de Rimbaud. Je lui parlai d'inspiration. Tout vient de l'Esprit, lui dis-je. À la fin, il me posa même des questions sur des aspects plus techniques de la création poétique: rythmes, versification...
Je sentis que je l'avais interpellé, touché, que j'avais bousculé en douceur quelques certitudes en lui sans qu'il ne se sente perturbé outre-mesure. C'était un jeune homme de la mesure, de la pondération. Je lui avais ouvert un peu plus l'esprit et lui m'avait offert sa présence chaleureuse et douce, m'avait aussi appris des choses intéressantes à propos de son chemin de vie, de son monde.
Il avait beau avoir de petits yeux noirs vifs et transperçants, je pouvais toujours attendre que la bombe explose... Et mon Dieu, cette rencontre m'avait fait reprendre du poil de la bête! Avec quelle assurance et contenance lui avais-je parlé, en vérité!
Il m'avait fait oublier mon humeur maussade et mes regrets: je devais conter le dimanche vers 15h de l'après-midi avec mon harpe-luth africaine – la kora – en accompagnement, lors d'un petit festival campagnard.
Si je n'avais presque pas donné ma parole à un de mes frères exposant et à l'organisateur, si on n'avait pas compté sur ma présence, j'aurai pu ne revenir que mercredi au lieu de dimanche! Je ne devais reprendre mon emploi saisonnier que le jeudi matin. J'aurai préféré rester, au moins aurais-je pu revoir Roche. Je n'avais aucun désir de conter mon histoire africaine ou une autre. Et maintenant j'étais dans une autre mouvance, une autre énergie.
Je devais donc me rendre à ce festival. Je prévenais mes parents de mon retard d'une demi-heure. Mon père allait me chercher à la gare comme prévu, et m'emmenait chez moi pour me changer et prendre mes instruments.
La séance faite pendant des balances musicales sur la scène nuisit à la qualité de ma parole et de l'écoute. Une prestation mémorable!
Ma maussaderie s'accentua après coup. Un ami et plusieurs copains purent en bénéficier pleinement. J'étais revenu pour conter dans des conditions pitoyables devant vingt pékins et ma mère... La seconde moitié avait été meilleure cependant que la première. Les balances s'étaient tues.
Je repensai à Juliette que je ne reverrai peut-être plus. Je lui avais parlé du lien entre le tissage qu'elle désirait pratiquer et la Parole, le Verbe. Elle avait compris quelque chose... Mais moi, qu'avais-je à comprendre de la situation où j'étais enlisé? Lorsque j'avais évoqué à Juliette l'héroïsme des guerriers amharas dont m'avait parlé Asnaku, elle m'avait dit: « Peut-on être des guerriers aujourd'hui? » Je l'avais regardée fixement en me taisant et elle dit au bout d'un moment avec un sourire aux lèvres:
– Des guerriers de Lumière?
J’avais alors acquiescé de la tête. Mais là, j'étais en défaite. La chute avait failli m'être fatale. Et réchappé miraculeusement, je flottais sur des eaux saumâtres. N'étais-je pas en pleine régression spirituelle?
Tout ce chemin pour en arriver là. Merci Rimbaud! Merci Juliette! Merci la vie, et Éléonore... Justement, j'avais hâte de la revoir. J'avais refusé à mes copains de dormir sur les lieux du festival pour voir mon âmie Éléonore. Je savais qu'elle seule pouvait me remonter.
Je lui demandai si elle voulait faire une promenade matinale. Elle accepta avec plaisir. Le lendemain de cette promenade, je lui écrivis:

Chère Éléonore,
Je suis beaucoup mieux depuis qu'on s'est vu hier, merci.
J'ai oublié de te dire, l'éditeur m'a proposé d'envoyer mon manuscrit à partir du 15 juillet, car il n'est pas disponible avant. On pourrait en profiter pour travailler dessus ensemble dans les 15 jours qui viennent.
J'ai revu le visage de Juliette ce matin, je suis content; il s'était un peu estompé dans ma mémoire (je n'ai pas pris de photo d'elle...)
Ouf, pour toi le temps est moins chaud. Je voulais repartir à Charleville. Au niveau covoiturage et météorologique, c'est bon. Mais j'ai l'inspiration... Si tu veux passer dans la journée, ce sera un plaisir.
Je t'embrasse
Paul

Quel remède anti-dépression lui avait-elle donné? Elle l'avait tout bonnement remis sur les rails en le mettant devant deux possibilités, deux choix qui se présentaient à lui. Soit il s'enfermait dans ce malheur qu'il créait lui-même – il en était parfaitement libre – soit il décidait de voir les choses sous un nouveau jour et de continuer sa progression. Ce qu'il avait vécu avec Juliette était très beau et très rare, lui assura-t-elle. C'était un partage que très peu de personnes pouvaient vivre. Il devait aussi accepter d'avoir chuté. De chaque situation de crise, de chaque expérience pouvait naître une conscience nouvelle.

Le dimanche soir, il téléphona à Juliette. Il était content d'entendre sa voix. Elle n'avait pas le temps de parler présentement, prise par le travail. Elle l'invita à retéléphoner à partir de mardi.

Le mardi, il passa sa journée à écrire et téléphona à plusieurs reprises vers midi à Juliette. Il n'arrivait pas à la joindre. Il réessaya une dizaine de fois à partir de 17h jusqu'à environ 21 h. Il tomba à chaque fois sur sa voix au répondeur.
Le mercredi, rebelote! Écriture et coups de téléphone.
Soudain, à une énième fois, elle lui répondit, mais d'une façon pas du tout agréable:
« Tes réactions, tes attentes me font peur. J'ai l'impression que tu as trop d'attente. Je vois comme tu es sensible. J'ai peur que tu te brûles les ailes avec moi. Je ne suis pas celle que tu crois.
« Je crois qu'il faut que tu fasses une croix sur moi. Et même si j'avais pas mon petit ami, je ne sais pas si ce serait envisageable nous deux. »

Paul était stupéfait. Il se rendit compte un peu tard qu'il avait abusé des coups de téléphone qui avaient été – hélas – tous enregistrés. C'était trop pour elle. Il lui demanda pardon et finit par lui dire « Inchallah ».
Sa Bien-Aimée lui dit à la suite: « Ne lui en veux pas et ne t'en veux pas. » Elle lui répéta ces paroles en boucle jusqu'à ce qu'il s'apaise.

Juliette vient de «Julie», du latin Iulus ou Iule qui était le nom d'une riche famille romaine, mais surtout le nom d'un mille-pattes se nourrissant de végétaux et s'enroulant en cas de danger...
Ses recherches lui firent accepter que c'était attendu!
Le soir, il envoya un message à Éléonore:

Chère Éléonore,
J'aimerai être encore en vacance une semaine pour finir mon nouveau roman. C'est d'une rapidité foudroyante!
Bon, il y a du nouveau du côté de Juliette, du nouveau du côté de mon amie Micheline. Décidément c'est le jour des pendules mises à l'heure! Je te raconterai plus tard.
Boulot demain, faut prendre comme ça vient, je suis content quand même.
Je t'embrasse
Paul

Puis il envoya un courrier électronique à Pierre-Charles:

Bonjour Pierre-Charles,
J'espère que vous et Asnaku allez bien. Sans doute bien occupés...
Je vous vouvoie, je ne sais si je dois vous tutoyer ou vous vouvoyer. Dans le doute, j'utilise « vous ». Mon séjour à Charleville a été l'occasion d'une superbe rencontre, et avec vous-même et Asnaku. Elle est adorable.
Je suis de retour depuis une semaine. Travail horticole (pour vivre matériellement) et travail littéraire (essentiel à ma vie intérieure) sont mon lot depuis. Je ne m'en plains pas. Le travail de la terre me permet entre autres de m'aérer les méninges.
Je retouche avec une amie mon manuscrit avant de vous l'envoyer. J'ai trouvé un autre titre qui vous parlera plus. Je vous laisse la surprise à réception de mon envoi.
Je ne veux pas trop m'étendre, alors je vous dis à bientôt.
Salutation cordiale, à votre chère compagne et à vous-même.
Paul


En vérité, le nouveau titre de son roman (Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur) lui avait été donné par Éléonore qui l'avait reçu en rêve au petit matin.
Les hortensias étant de nouveau dans son quotidien pour moitié, il serait dommage de ne pas partager deux épisodes notables et effectivement notés au soir. Rimbaud-Juliette étaient encore d'actualité en plein champs... Ainsi il nota dans son journal:

«Aujourd'hui 7 juillet, une chaleur écrasante dans le champ d'hortensias sur lesquels on fait du prélèvement de boutures. Je suis en binôme avec un jeune d'environ 18 ans aux yeux bleus. Je ne parle pas. Mais soudain j'appelle un permanent de l'entreprise qui s'éloigne de l'équipe:
– Eh Fifa!
Il se retourne, et je lance:
– À force de faire des boutures, j'ai l'bout dur, c'est normal?
Il me regarde, interrogatif. Tout le monde rit. Je répète et il comprend enfin, il est estomaqué. Il rit de travers.
Cinq minutes après, mon jeune collègue me dit, d'un ton plein d'admiration:
– Ça rime ce que tu as dit. C'est presque de la poésie que tu nous a fait.
– J'écris. J'aime faire des rimes.
– Le nouveau Rimbaud...
– Je suis soufflé. Mais quoi? Tu croyais qu'il allait dire le nouveau Verlaine? Ce nom «Rimbaud» incarne la poésie, – comble pour un poète, le poète qui l'a, – en apparence – quittée.
Justement, tu ne peux mieux tomber, j'ai écrit sur lui, dis-je à mon jeune interlocuteur.
– Quoi? T'as écrit un livre?
– Oui, sur Rimbaud.
Il fait ressortir sa lèvre inférieure suivi d'un léger bruit de bouche pour dire « chapeau bas ».
Je lui demande:
– Tu aimes lire?
– Non, à part des magazines.
– Tu es aux études?
– Oui, en agriculture.
Je ne peux pas ne pas penser à Rimbaud.

«Plus tard, j'eus pour voisine une jolie demoiselle de dix-neuf ans qui me fit penser à Juliette. Me voyant mélancolique elle me sourit et dit:
– Alors, tu ne siffles pas aujourd'hui?
– Non.
Une minute plus tard, mon étudiant agricole me dit doucement quelque chose comme:
– T'as pas la forme?
– Non, je réponds. C'est comme ça. Y a des jours sans et des jours avec. Là, c'est un jour sans.
Après un temps, j'ajoute:
– C'est sûr que j'ai moins de joie qu'hier...
Silence. Il fait un soleil cuisant et sous mon grand chapeau ocre en paille de papier, je pense à Juliette.

«Un autre jour, un autre collègue m'appela Rimbaud. Je ne répondis pas à son appel, mais ris en moi-même.
Maintenant, oui maintenant, je peux donner la preuve à ceux qui en veulent une, la preuve éclatante que je ne suis pas Rimbaud. Et je suis fasciné par le rêve extraordinaire que fit Éléonore.

«Elle me déclarait dans un message qu'elle n'était pas très en forme, épuisée par la chaleur, et qu'heureusement Rimbaud lui tenait compagnie à travers la relecture de mon livre. Il lui tenait compagnie « même en rêve »! Elle s'expliquait dans un message:

«Cette nuit je lui ai demandé pour Djami, il m'a répondu : « Il est comme le sable dans le désert, évident et « juste » à sa place ». Cela avait un sens musical que les mots rendent difficilement: il sonnait juste! Un grand moment. »

«Je téléphonai de suite à Éléonore, on s'en doute, cela répondant à ma quête à la bibliothèque de Charleville. Elle me dit:
– J'ai posé plein de questions dans mon rêve.
– Et quelles étaient les questions?
– J'ai tout oublié, sauf la dernière: alors Djami était soufi? Rimbaud: «Non, mais il aurait pu l'être. Il était juste.» Rimbaud regardait le désert avec le sable: «Djami est comme le sable. Il est là, évidence.» Il était juste dans sa matière d'homme. C'était un homme vraiment authentique, à sa juste place. Juste en tant que domestique, car il était dans un contexte, et juste en tant qu'ami, en tant qu'homme.
– Je me suis trompé alors. Enfin, le commissaire Belpomme, dis-je dépité.
– Même si le commissaire Belpomme a eu tort dans son hypothèse, il a été vrai en cela qu'il a dit: « Il était soufi dans l'âme. »
Eléonore avait entendu la réponse de Rimbaud: « soufi non, mais soufi dans l'âme. »
– Tu as vu son visage à Rimbaud?
– Non, je voyais une silhouette et j'entendais sa voix.
– Comment était-elle, sa voix?
– Une voix un peu éraillée, pas très belle d'ailleurs. Mais l'essentiel, c'est qu'il disait des choses intéressantes, qui résonnaient juste.
– Oui...
Sur la voix, cela concordait me semblait-il avec un témoignage de Delahaye ou d'Izambard, je ne savais plus.

«Que peut-il être ajouté à cela? Que vais-je rapporter de mon prochain voyage? Encore un roman sur Lui et Elle? On peut relire Départ des Illuminations. J'ai commencé à lire La prochaine fois de Marc Lévy. Une histoire de réincarnation!
 Tiens, j'y pense – c'est incroyable que je pense si vite – si je suis la réincarnation de Rimbaud, cela veut dire par logique «A+B=AB» qu'il y a dans l'histoire un grand rapport équilatéral ayant pour base Arthur Belpomme et Paul Delaroche et pour sommet Arthur Rimbaud; que j'ai un plus grand rapport avec les deux Arthur que je ne le pensais; qu'enfin, quelque part, bah oui, faut se mettre face à l'évidence: je suis... (pom-pom-pom-pom!) le grand-père du commissaire Belpomme (grand mangeur de pommes devant l'Éternel)!
Cela vaut bien, maintenant que je sais qui je suis et d'où je viens, d'abandonner le tabac pour la Pomme...
Sacré voyage! Ah ça troue le ciel de mon cerveau cette révélation du «grand-père».
Et arrivé à ce point-là de mon récit, devant une vue de 360° et des poussières d'astres, que puis-je dire?
Allez! Au revoir Rimbaud, au revoir Juliette!
Au revoir à tous ceux que j'ai rencontré. Adieu Pierre-Charles.
Au revoir belles Ardennes! Je reviendrais avec ma guitare. Enfin une nouvelle, que j'ai appelée Juliette. Je suis son Rimbaud... euh son Roméo. En attendant peut-être...»
Fermons maintenant le journal de Paul.

Le «peut-être» devint effectif quelque temps plus tard par la rencontre d'une belle oiselle, une amie d'Eléonore qui le charma d'autant plus qu'elle chantait du répertoire lyrique. Paul et Paule! Quel merveilleux couple ne firent-ils pas, s'installant dans leur nid d'amour! En vue d'y accueillir un oisillon? Tel était leur désir. Mais en attendant celui né de leur amour, il y avait déjà un oisillon plutôt atypique qui appelait Paul «papa». Et Paul voyait aussi en lui un fils, miroir de son enfance. Le plus extraordinaire était qu'il s'appelait... Arthur!

Eléonore, étonnée par leur connivence et leur singularité avait cherché des données récentes sur l'autisme, l'Asperger. La France était très en retard et les termes évoluaient rapidement. Elle encouragea Paul à contacter une psychiatre pour l'aider à mieux se comprendre.

Au terme d'un long travail avec ce psychiatre et d'autres spécialistes, Paul écrivit:
«En pensant «autiste», nous pensons maintenant autre chose que «qui ne parle pas et a des gestes bizarres», ou Rain man....
Je le fus enfant et j'en ai la confirmation adulte. Je suis vraisemblablement dans la catégorie «TED» (Trouble Envahissant du Développement) et «Asperger».
Sans être un «handicapé mental», mon fonctionnement est différent des autres formant ce qu'on appelle la «normalité», les «neurotypiques» ou «normo-pensants». Je suis un marginal et j'appartiens aux 1% du «spectre autistique».
Mais je sais que ce sont eux, ces atypiques qui parfois font avancer la société. La liste est longue, des autistes – pour certains supposés tels – qui ont marqué l'Histoire: Vincent Van Gogh pour la peinture; Jane Austen, Mark Twain pour la littérature; Wolfang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Bob Dylan, Michael Jackson, Glenn Gould, pour la musique; Alfred Hitchcock, Tim Burton, Woody Allen pour le cinéma; Isaac Newton, Alfred Einstein pour la physique et les mathématiques ; Alexander Graham Bell, Henry Ford, Thomas Edison, Bill Gates pour les inventions et les entreprises (téléphone, automobile, électricité, informatique...); – mythes ou réalités, les deux à la fois peut-être.

Et donc, bien que l'on trouve proportionnellement autant de génies chez les autistes Asperger que chez les neurotypiques, et bien qu'«Asperger» ne soit pas synonyme de «génie», selon moi et je ne suis pas seul à le penser, Rimbaud était autiste (et pas seulement parce qu'il était précoce). Il serait plus «Asperger», voire du type «Savant» en raison du grand nombre de langues qu'il connaissait comme le célèbre Asperger Daniel Tammet avec qui il partage ce don des langues en plus de celui du Verbe. Évoquer la synesthésie à propos de Voyelles est loin d'être absurde.
Arthur (qui détestait les mathématiques du fait d'un professeur ennuyeux) avait des compétences pour être ingénieur ou voyageur-reporter, ce que montre la liste des livres qu'il a commandé d'Aden ou du Harar.
Il se pourrait fort bien aussi qu'en plus d'autiste de «haut niveau», Arthur fut «borderline» tout comme le dit ma psy pour moi – l'un pouvant aller avec l'autre. De même qu'une bipolarité accentuée affecte certains Asperger sans qu'il y ait systématiquement développement de la maladie dite «bipolaire».
J'assume mon autisme totalement et dans tous les sens! JE est un aut'iste! («ce qui ne m'empêche pas d'écrire de belles choses» a dit ma psy...).
Autiste ou Borderline, ou les deux, ou autre, – peu importe les étiquettes qui ne peuvent servir que pour mieux comprendre et donc mieux accepter – l'équation avait été vite établie pour Rimbaud: le Sud comme unique asile. Et l'extraordinaire pour lui, est qu'il y rencontra des tribus où son «autisme» n'était pas un souci. Ainsi chez les Gallas dont il fit une précieuse étude. Autre culture...»

Paul, après un long parcours du combattant, aidé par son âmie Eléonore, fût reconnu pour son handicap et bénéficia ainsi de l'Allocation Adulte Handicapé qui prit la suite pour lui du RSA.
Comment ne pas penser à Rimbaud qui toujours inquiet pour l'argent souhaitait être rentier. Et comme avec Paul tout finit en chanson, voici ce qu'il disait dans Le secret de ma vie parlant de son rapport à Rimbaud que son voyage à Charleville-Mézières avait fait évoluer comme nous venons de le voir:

Dans une vie antérieure
J'étais Arthur Rimbaud
Je voulais être rentier, ma sœur
Alors pour moi le RSA est un cadeau.

Et c'est vrai que ce statut «de merde» comme on le lui avait si souvent lancé à la figure l'avait sauvé, comme d'autres de son espèce, artistes, autistes, parfois les deux!

J'ai jadis fui ma vie de poète
Il faut dire que j'ai dérivé dur
Et j'ai travaillé comme une bête
Pensant que mon mal s'appelait littérature


C'est ainsi qu'en se souvenant de toute cette aventure aussi bien intérieure qu'extérieure, de Rimbaud et de Juliette, il vint à Paul un dernier mot, Merci.
Mais vous le connaissez, il ne put se retenir d'ajouter:

mercedem
thank you
danke
gracias
grazie
spacibo
dhan'yavāda
efkharisto
shoukran
amesegenallo*

*Merci dans les langues que connaissait Rimbaud en dehors de sa langue maternelle. Cette liste dans l'ordre comprend le latin (qu'il a beaucoup écrit plus que parlé), les langues européennes qu'il déclara connaître dans sa lettre du 14 mai 1877 (anglais, allemand, espagnol, italien) et dont le premier ne fait aucun doute, vu ses longs séjours en Angleterre, auxquelles j'en ai ajouté deux supposées et citées dans le roman (russe, hindoustani) , enfin trois qui mes semblaient essentielles marquant sa seconde vie, qu'il a parlées à la frontière de l'Orient à Chypre (grec) et en Orient – en Arabie et en Éthiopie (arabe, amharique). Ce dernier pays étant plus important puisqu'il a dit vouloir être enterré en Abyssinie (Éthiopie). Pour ne pas faire trop long, j'ai omis les merci dans tous les pays qu'il a traversé dont Java.

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