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Rimbaud passion
2 mars 2023

Les « Corans » de Rimbaud

                                                                                                           Les « Corans » de Rimbaud

 

Rimbaud du Harar, 15 février 1881, demande aux siens (sa mère et sa soeur Isabelle) de dire à son frère Frédéric de « chercher dans les papiers arabes un cahier intitulé : « Plaisanteries, jeux de mots, etc., en arabe ; et il doit y avoir aussi une collection de dialogues, de chansons ou je ne sais quoi, utile à ceux qui apprennent la langue. Si il y a un ouvrage en arabe, envoyez. » (entre parenthèses, « s'il vous plaît » et « merci » ne font pas partie de son vocabulaire...).

Cette lettre indique qu'Arthur Rimbaud connaissait le fond bibliographique de son père arabophile dont peut-être des travaux personnels. La bibliographie du Capitaine Rimbaud mort en 1878, sa soeur Isabelle en donne deux titres au début d'une lettre écrite après février 1892* (donc après la mort d''Arthur Rimbaud fin 1891)  à Charles Houin et Jean Bourguignon. Il s'agit de L'Eloquence militaire et de Correspondance militaire, plus un troisième non titré sur l'art de la guerre. Le tout doit faire plus de mille pages. Elle parle de «travaux énormes», avant de parler de la Correspondance militaire de 700 pages. Tout a disparu dans les oubliettes. Mais ce qui nous intéresse pour notre étude c'est ce qu'elle dit plus loin:

* p 813-814 des Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud, dans la collection de la Pléiade des éditions Gallimard, 1972, notre édition de référence)

« Mon père […] était un linguiste arabe distingué. Il y a de lui à la maison une grammaire revue et corrigée entièrement ; une quantité de documents français-arabes se rapportant aux guerres d'Algérie, des anecdotes, des contes, etc. Il y avait aussi une traduction du Coran (texte arabe en regard) égarée aujourd'hui. Et cela en manuscrit et très soigné. »

Tout cela a disparu aussi. Tout le problème est dans le sens de « de lui ». Veut-elle dire traduction ? Livres en arabe de lui qui impliqueraient une traduction du Coran ? Sa soeur peut tout autant vouloir dire : « ce qu'on a hérité de lui ».

C'est là que l'enquête commence à être vraiment passionnante. On notera que la lettre d'Arthur Rimbaud du 15 février 1881 recoupe grosso modo les « papiers arabes » de Frédéric Rimbaud père.

Du Harar, dans sa lettre aux siens du 7 octobre 1883, Arthur Rimbaud joint un mot pour la librairie Hachette lui demandant de lui envoyer « La meilleure traduction française du Coran (avec le texte arabe en regard, s'il en existe ainsi) – et même sans le texte ».

Si son père a traduit le Coran comme on en déduit hâtivement des propos d'Isabelle, peut-être par malentendu linguistique, pourquoi Arthur qui a dû le lire adolescent pour pouvoir parler de la « sagesse bâtarde du Coran » (Une Saison en enfer) ne demande t-il pas de lui envoyer l'exemplaire qu'il sait être dans la bibliothèque familiale, peut-être remisée dans le grenier de Roche où il a écrit Une Saison en enfer ? Peut-être qu'il respecte trop le travail de son père, sa traduction du Coran s'il l'a bel et bien faite, ou du moins le Coran qui lui a appartenu, pour la leur demander. Or plusieurs indices montrent cette possibilité accréditant une traduction de son père, qui rendrait cette relique familiale sacrée et justifierait sa non demande par peur de l'égarer, ou même avant cela considérant indécent, outrée une telle demande : « Pouvez-vous m'envoyer le Coran des papiers arabes ?... » S'il s'était exprimé ainsi, sa sœur et sa mère auraient compris de quoi il s'agissait.  Autre possibilité, Arthur Rimbaud ferait une demande indirecte, avec l'espoir qu'on devine son souhait : « si vous avez un ouvrage en arabe »... Il feindrait de ne pas savoir que parmi ces «papiers arabes » il y a le Coran tant désiré. 

Le premier indice se trouve dans la lettre cité d'Isabelle : « égarée aujourd'hui », parlant de la traduction du Coran de leur père (traduit par lui ou non). Finalement, lui auraient-ils fait cadeau de ce livre précieux ? Lui auraient-ils envoyé ? C'est ce que semble rendre possible la lettre d'Arthur Rimbaud envoyée au siens d'Aden le 15 janvier 1885, donnant réponse à une question qu'elles lui ont posé (par déduction):

« Pour les Corans, je les ai reçus il y a longtemps, il y a juste un an, au Harar même. » répond Arthur.

L'expression peut paraître bizarre, mais le Coran peut se plurielliser ainsi pour désigner plusieurs exemplaires, en plusieurs traductions. Sa sœur et sa mère auraient donc envoyé deux traductions du Coran (on imagine guère plus), une censée être de chez Hachette* et celle appartenant à son père? S'il n'a été traducteur du Coran (ce sur quoi on peut avoir un doute), quelle traduction aurait-il possédé? Celle demandée chez Hachette est sans doute la traduction française la plus populaire et la plus récente d'alors, à savoir celle que j'ai depuis vingt ans (sans que je sache que Rimbaud l'ai lu), celle de Kasimirski qui a bénéficié de trois éditions au XIXème siècle (1841, 1842, 1844). Mais à ces deux « Corans» de Rimbaud, il en a été découvert un troisième dont sa correspondance ne donne nulle trace.

*Voir ICI

On l'a découvert récemment à l’occasion des Journées du patrimoine. La bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe à Paris a présenté au public le 20 septembre un Coran qui aurait « appartenu à Arthur Rimbaud durant son séjour en Abyssinie », selon une petite carte collée sur la garde de papier au plat trois de la couverture (reliure en peau rouge). D’après le collophon, ce Coran a été imprimé par lithographie en Inde en 1865. Il a été présenté comme un don de la famille Bardey (descendant d’Alfred Bardey, l’employeur de Rimbaud à Aden), ce dont témoigne une carte de visite contenue dans le volume. 

Mais il s'agit du Coran uniquement en arabe, sans traduction. Bardey le lui aurait offert à Aden, sans doute peu de temps après son embauche en août 1880. Ce serait logique que son employé veuille en avoir une traduction. Son vœu fut exaucé un an après sa demande nous apprend sa lettre de 1883, c'est à dire en octobre 1884. Arthur Rimbaud doit alors déjà parler et écrire couramment l'arabe, vu les capacités exceptionnelles qu'on lui connaît et que son employeur entre autres lui reconnut.

Donc Arthur Rimbaud aurait eu cet autre exemplaire du Coran par une autre main (celle de son employeur). Malgré sa beauté et un mot en arabe qui lui était associé, adressé par un abban à Rimbaud, on regrette de ne pouvoir être en mesure d'éclairer ce mystère. Tout au plus peut-on ne pas totalement écarter qu'il ait eu la surprise de voir qu'on lui avait envoyé le Coran de son père. Après tout, Arthur pouvait représenter pour sa mère une continuité de son mari, il en était le digne héritier. Plutôt cette seconde vie que de stagner dans la poussière... Et si il avait offert ce qu'il avait de plus précieux sur lui à son serviteur et ami Djami, harari vraissemblablement soufi avant de revenir en France pour y mourir?

Etudier sérieusement n'empêche pas de fantasmer, de rêver.

 

 

Sources :

Oeuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la Collection de la Pléiade (édition Gallimard, 1972)

https://rimbaudphotographe.eu/un-coran-qui-aurait-appartenu-a-arthur-rimbaud/

https://rimbaudphotographe.eu/tag/coran/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Rimbaud

https://www.romanischestudien.de/index.php/rst/article/view/253/831

 

 

voir d'autres photos sur:

https://rimbaudphotographe.eu/tag/coran/

Merci au travail de Hugues Fontaine.

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