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Rimbaud passion
5 juin 2021

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (Roman, version 2021) - Chapitre 8

VIII

OÙ PAUL SE PROMÈNE LE LONG DE LA M(E)USE

 


Paul se promenait au bord de la Meuse, pensant à l'ancienne tannerie d'ici, la cherchant presque, du moins son ancien emplacement.
« Tout de même, pensa Paul, on a tant parlé de l'exécration de sa ville; mais on oublie peut-être – Rimbaud oublie lui-même de le dire dans ses lettres – que la Meuse encerclant la ville accueillait une tannerie. C'était l'horreur olfactivement. Oui, il faut bien se le mettre dans la tête, et admettre qu'à l'époque Charleville était le ou l'un des trous du cul de l'Ardenne! Étonnez-vous après de « cet affreux Charlestown » comme il l'appelait! »
Paul fit une mine de dégoût rien qu'à penser à l'odeur. Il avait travaillé lui-même près d'une tannerie dans son pays d'Anjou.
« Heureux suis-je de ne pas y habiter, se dit-il encore. Quoi que c'est vrai, les habitants s'habituent. Et les natifs alors! Toujours est-il que le gars Arthur, devait y être bien accoutumé pour, en Abyssinie demander à sa mère un bouquin intitulé Manuel de Tanneur ! »
Le ciel lumineux faisait la rivière riante. Paul s'assit et entra en «contemplostation» devant la Meuse, à côté du Musée Rimbaud, – cette vieille Dame imposante qui a deux grandes arcades, comme deux yeux aux pieds desquels coule l'eau verte et brune traversant la haute bâtisse: le Vieux-Moulin.
Sauf que Paul fit la confusion entre le lavoir de Roche qui aurait été une source d'inspiration du Bateau ivre – et où aussi Arthur jouait lorsqu'il était enfant – avec un lieu de Paris fort connu: le Bateau-Lavoir... qu'il confondit en outre avec la Grenouillère, haut-lieu de l'impressionnisme pour lequel il avait une grande passion et, par-dessus le marché, avec le lieu où il se trouvait... Aussi inspiré par la Meuse, et des oies en promenade fluviale («ripuaire» dirait-on localement), il écrivit un poème qui commençait par : « Près du Bateau-Lavoir, le long de la rive murée de la Meuse ». Il y notait le passage de « deux gaillardes oies », et se demandait: « Et si c'étaient... », – sous entendu : « Arthur et son ami Ernest ». La Meuse, il la voyait en Muse, et il vit Arthur et Ernest enfants, adolescents : deux oies, – deux oies aux rives de la Rime.
« À l'ombre des platanes, érables, sycomores, la vie continuait auprès des morts » écrivit Paul enfin. Mais par un retour au réel, à Charleville – aujourd'hui, Charleville-Mézières –, il observa de loin un groupe de jeunes, un rendez-vous de printemps insouciant. Paul remarqua qu'aux cris fusant de jeunes filles titillées par les garçons avait répondu par trois fois le clairon d'une oie. Et dépassant le gazouillis des oiseaux, un féminin: « Arnaud, Arnaud...Arnaud ! » Pigeons, voitures, passants, poissons, vieilles pierres et herbe fraîche, il nota tout. Et encore cette traversée d'étoile filante : « Rimbaud ouvre une brèche dans la mémoire, «J'y suis, j'y suis encore!»»
Paul avait corrigé « ma mémoire » en « la mémoire ». C'était aussi la mémoire du lieu, de Charleville.
Le lendemain, il verrait « deux signes » qu'il corrigera en « deux cygnes ». Ils glisseront, vaisseaux blancs – vaisseaux fantômes ? – sous le porche, côté mur de la rive. Les deux oies, il les verrait de l'autre côté en tournant la tête. Les cygnes les rejoindront, ou du moins se dirigeront vers elles. Drôle de miroir...
Assis sur la berge, Paul sortit un pot de rillettes artisanales qu'il venait d'acheter et se fit des tartines. Non, ce n'était pas des « tartines de beurre » que la serveuse du Cabaret-Vert à Charleroi, « aux tétons énormes, aux yeux vifs », lui apporta avec « du jambon tiède dans un plat colorié» – «celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'écoeure ! »
À côté, une vingtaine de collégiens et collégiennes folâtraient. Le temps était idéal.
Rêveries pour Paul. Il en fut soudain tiré par un appel de jeune fille : « Arthur! Arthur! Arthur! » La jeune fille était svelte et canon; les cheveux courts, coupe moderne style «coiffé décoiffé », elle faisait penser au célèbre portrait photographique du poète. Arthur vint vers sa belle; ils échangèrent quelques mots, se tinrent les mains, s'embrassèrent. Paul fut ému. Il y eut en lui un télescopage de deux souvenirs. D'abord celui de la fleur de l'âge qu'il avait passé au lycée, pour ne pas parler du collège, sans jamais connaître de flirt, sans avoir une copine, sans même être inséré dans un groupe comme il le voyait, avec autant de filles que de garçons. Ensuite, Paul repensa avec un serrement de coeur à la débâcle d'Arthur avec une jeune fille bourgeoise qui avait, selon ses termes mystérieux, un regard « illaudable », le rendant par ce fait « effaré comme trente six millions de caniches nouveaux nés. » Et elle avait « au physique une analogie frappante avec Psuké », ce qui fait penser à quelque représentation artistique de Psyché qu'il aurait vu, peut-être de Canova. Mais cette belle à qui il avait donné rendez-vous au square de la Gare ne vint pas. Elle s'était moquée de lui, guère à son goût; son apparence lui avait fait mauvaise impression. Arthur en fut vexé et aigri.
Assis sur l'herbe peu recouvrante, Paul but (de l'eau), fuma (du tabac) tout en regardant de temps en temps en direction de la jeunesse là-bas, installée sur une pente herbue à sa droite. Des nouveaux venus le croisèrent.
Il y eut une jeune fille et un jeune garçon qui pour rejoindre le groupe descendirent l'escalier, mais qui, voyant Paul – il ne comprit pas – remontèrent aussitôt.
Parfois, notre Paul entendait des « hou-hou! » – toujours féminins, perçants, venant d'un côté et de l'autre de la rive. De nouvelles arrivantes. Excitation. Paul prenait plaisir à voir ces printemps... L'insouciance. Et bien sûr revint agréablement à sa mémoire le classique « On n'est pas sérieux quand on a dix sept ans... »
Le groupe repartait. Oui s'en allait. C'était leur coin élu. C'était une fois parmi tant d'autres qu'ils y venaient et en repartaient.
Pour Paul, c'était la première fois, et à la fois pas, comme si le lieu lui était familier.

Dorénavant seul, Paul se dirigea vers l'endroit occupé précédemment par la jeunesse.
Puis, allant au bout du promontoire il vit des bateaux – petites croisières – flottant blancs, lumineux dans une partie de la Meuse qui lui était cachée. Un autre côté de la pièce miroitante.
Il y eut la montée d'un escalier, un surplomb de la rivière au sein d'une surface ombragée, clairsemée de bancs, avant de se diriger vers le pont.
Là, à sa gauche, une stèle commémorative. Forme indécise, pas très élégante. Une pierre noire, plane, qui ressemblait vaguement à un coeur, – ou une sorte de tête en haut d'un tronc blanc.
Ça ne payait pas de mine.
Il lut l'inscription gravée, à peine visible à plus de deux mètres de hauteur : « Je suis rendu au sol avec un devoir à chercher. » Cela l'interpella. Il contourna la « tête » granitique: « Arthur Rimbaud, 1854-1891 ». Encore un quart de tour et un visage gravé, celui du poète, se silhouettait avec une constellation qui le traversait. Cela correspondait-il à un signe astrologique, celui de Rimbaud ? À une évocation du voyage tant intérieur qu'extérieur ?
Paul retourna là où il était assis et écrivit sur l'espace blanc que lui offrait un autre livre qu'il avait emporté avec lui : les témoignages de l'ami du grand ami d'enfance d'Arthur, Ernest Delahaye.
Là, le temps n'existait plus. N'existait qu'un espace à remplir, un espace imperceptiblement traversé par une durée.
Paul pensa: «Je l'ai retrouvée ? Quoi ? L'éternité. – C'est ma Plume en allée avec la Feuille.»
Il écrivit en vers qu'il y avait dans le parc, en surplomb de la rive, une effigie moderne à sa mémoire, noirâtre. Une façon ici pour encaisser son poète ? s'interrogeait-il. Il lut cette inscription, citation bien connue: «Je suis rendu au sol avec un devoir à chercher » (Une Saison en enfer) et se dit: « A chercher... et non à étreindre... » Comme s'il décelait une erreur. Mais, vraiment cette sculpture commémorative se voulant très moderne – pas de doute là-dessus – était bizarre. Paul la vit comme un coeur gris-noir qui se formait côté pile; côté face, c'était le visage d'Arthur esquissé et où s'inscrivait schématiquement une trajectoire stellaire et mathématique. «Je suis rendu au sol avec un devoir à chercher...» Cela devait être une équation de la Mémoire. Et il repensa automatiquement à ces vers du poème Les Corbeaux:
« Sois donc le crieur du devoir
ô funèbre oiseau noir »
Voici ce que pouvait dire l'oiseau stèle, le corbeau stèle à Paul.
Paul sortit son Rimbaud-Pléiade et relut Honte en parallèle:
« gêneur, la si sotte bête ».
« Mais ce que dit Charleville à propos du poète, nota-t-il, n'est-ce pas: « Tu es maintenant des nôtres » ? »

Paul enfin se relut et se demanda pourquoi il avait écrit ce qui semblait baroque et sibyllin comme le monument:
« C'est relou... », dit-il.

 

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