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Rimbaud passion
16 juin 2021

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (Roman, version 2021) - Chapitre 20

XX

OÙ PAUL PASSE DU DÉLIRE À L'ÉTUDE

 


Son corps aspergé d'eau de la tête au pied, Paul se sentit détendu comme une chatte au soleil.
Il retournait vers sa tente, frais dispos, quand en chemin il aperçut une nouvelle venue – nouvelle recrue? – plutôt jolie et plantureuse, jouant de la guitare les jambes écartées, nues jusqu'au ras de la foufoune. Mais peut-être l'avait-elle rasée. C'était la mode, – pas celle de du temps de Rimbaud. Pour être «absolument moderne» Paul devait-il se raser le pubis? Mais la fille paraissait plutôt méridionale, voire gitane ou portugaise. «Il doit y avoir un sacré mont de Vénus là-dessous... C'est de la provocation du Ciel, ma parole!»
Un avion passait au-dessus de leurs têtes éjaculant sans fin une traînée blanche dans le con infini, infiniment bleu du ciel.
Et Paul d'improviser dans sa tête:
«L'avion, ça fait lever les yeux.
La femme, ça fait lever la queue...
Ainsi chantait Arthur quand il voyait un avis (à la population) planer au-dessus de sa tête. Ouais-ouais! C'était un drôle d'oiseau drôlement inspiré! (avis: nom latin de «oiseau»...)
Paul se dit: «En plus, elle a une belle et profonde voix la bohémienne: c'est signe d'un beau et profond vagin... Ça y est, c'est parti, c'est la chevauchée vers le Walhalla, la Walkyrie des wagina. C'est la folie! Wotan en emporte le vent. Je veux une gaine, un fourreau. J'ai l'épée! Elle est dure comme du fer et chaude comme un tison sans qu'on douille avec! C'est là Excalibur: une fois planté, on ne peut plus l'enlever... Entendez qu'on ne peut plus s'en passer. Femmes, Amour-Vénus, libératrices et exhibitrices de la divine Rosée, évasez grand-grand vos papattes, j'arrive dans votre Gra... – aah!... – aaal!...»
Une autre Illumination? Du calme, du calme...
Enfin, la tentation était grande de l'inviter dans sa tente bancale. Paul se raisonna: «Plus tard peut-être. Tu ne me détourneras pas de Juliette. Le rendez-vous est proche. Prends garde, Paul, à ce que ce grand jour ne vienne comme un voleur dans la nuit et qu'il te passe sous le nez... Reste éveillé! – I Thessaloniciens 5: 2-7!»
C'est ainsi que le bâton de joie peut se rabattre entre les jambes, serein, patient, – et c'est ainsi que lui, Saint-Antoine de Padoue perdu, put rassembler son énergie en lui-même et se rendre, se consacrer entièrement à l'esprit, à sa lecture de l'introduction de Rimbaud mourant.

Là... un passage en particulier interpella Paul Delaroche. Le philosophe Hegel y était largement cité (ça c'est du sérieux – et il en souligna le mot clé et leitmotiv):
«...c'est parce que le frère est celui par qui la « famille fermée sur elle-même se dissout et sort d'elle même », c'est parce que, grâce à lui, « l'esprit de la famille devient une individualité qui se tourne vers autre chose et passe dans la conscience de l'universalité », c'est parce que le frère quitte le souci négatif de la famille « pour aller conquérir et produire le souci éthique effectif, conscient de lui-même », c'est à cause de ce rôle fondamental du frère que « pour la soeur, la perte du frère est irremplaçable et le devoir qu'elle a envers lui est le devoir suprême. » Et le préfacier d'ajouter: «Disons alors que, bien plus qu'Arthur, Isabelle aura été profondément hégélienne.»
Ce passage obscur toucha Paul bizarrement. Il le relut maintes fois. Il sentait qu'il tenait quelque chose non seulement par rapport à Rimbaud, sa sœur et globalement sa famille, mais que cette chose indéfinissable, ineffable, presque indicible le touchait lui et sa famille. Lui, Paul avait eu un rôle salutaire à jouer dans sa famille en tant que frère de sa sœur...
Mais il fallait remonter plus haut dans la préface pour comprendre le rapport d'Isabelle à son frère Arthur: «Il y a cependant une exclamation qui revenait sans cesse: Allah! Allah Kerim! – Oh ! Dans ces deux moments-là, comme je voyais bien toute sa pensée». Ce qui est arrivé, ce qui arrive, ce qui arrivera est la Volonté de Dieu.
Le préfacier continuait en dissociant Arthur de sa sœur hégélienne: «Rimbaud lui était rimbaldien comme en témoignent les premiers versets de Dévotion – ces vers qui mèneront Paul au nœud de sa préoccupation:
« À ma soeur Louise de Voringhem [...]
À ma soeur Léonie Aubois d'Ashby [...]»
Rimbaldien, Arthur Rimbaud? Le préfacier voulait dire évidemment qu'il n'était que lui-même. On ne pouvait dans cette suite de noms mystérieux qui valaient un anonymat voir une pensée philosophique rattachée à tel philosophe. Il rendait un hommage mystérieux dont lui seul possédait la clé.
«Entre parenthèse, se dit Paul par rapport à ces deux vers qu'il connaissait bien, un Serge Hutin faisant de Rimbaud un adepte du tantrisme se reposait sur ce passage pour se demander si l'une de ces femmes « de très haute connaissance » n'aurait pas été son initiatrice tantrique.
«Cependant pour la première, celle de Flandres, la cornette bleue tournée vers la mer du nord supposait davantage une religieuse, peut-être une de celles qui ont soigné le poète à l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles après le coup de revolver de Verlaine.
«Une telle initiation sur la voie de la Connaissance – quel que soit l'outil ou les outils utilisés: tantrisme, alchimie, kabbale, yogisme, etc. – ne peut s'improviser en quelques jours; cela demande un suivi – J'en sais quelque chose!... Or, Rimbaud rentrait à Roche dix jours plus tard.»

« Saint Jean »! remarqua Paul.
C'était donc là où son étude devait le mener par des chemins obscurs, tordus. Et justement, il lisait présentement dans la partie intitulée Le dernier voyage de Rimbaud, qu'après son séjour à Roche, Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud « se fit inscrire » à son retour à l'hôpital de la Conception « sous le nom de Jean Rimbaud »... Ce dont le Commissaire Belpomme lui avait fait part.
Pourquoi Paul accordait t-il tant d'importance à ce fait? Il l'avait même étudié:
«Saint Jean, dont on a dit que son évangile était celui de l'amour commençait celui-ci par: « Au commencement était le Verbe, et le verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Traduction de l'Abbé Crampon). Il a écrit aussi au début de La Révélation (« de Jésus Christ ») faussement traduit par « Apocalypse » ( voir quand même la Tapisserie de l'Apocalypse d'Angers...) : « Je suis l'Alpha et l'Oméga ». Parole de Dieu. Dieu le Verbe.
«À cet instant décisif, Rimbaud étreint de visions dans sa souffrance était selon toute apparence inspiré. Il reconnaissait une affiliation avec l'évangéliste Saint-Jean.»
Paul n'avait pas tort. Dans la forêt africaine les jeunes pygmées étaient appelés, lors de leur initiation, à trouver leur nom dans la nature, un autre nom que celui donné par leurs parents; leur nom spirituel en quelque sorte.
Trouver son Nom, telle était aussi la quête cabalistique, telle était ce que demandait sans doute toute forme de Tradition universelle. Ainsi dans la Bible les cas d'Abram qui devient Abraham ou de Jacob qui devient Israël.
Par chance, dans son malheur, Rimbaud avait trouvé le sien dans les différents prénoms que ses parents lui avaient donné à sa naissance, cela secondé par le « coup de pouce » de Verlaine l'envoyant en 1873 à l'hôpital portant l'angélique nom évangélique...
« Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grâce au jour. »
L'homme dont il était question ici était Jésus Christ. Rimbaud en parlait ainsi dans ses Proses évangéliques écrites avant le mois de mars 1873.
Dans Rimbaud mourant, sa soeur Isabelle écrivit dans ses notes en marge de la lettre du 5 octobre 1891 adressée à sa mère, de l'Hôpital « Saint-Jean »:
« Quand il se réveille, il regarde par la fenêtre le soleil brillant toujours dans un ciel sans nuages et il se met à pleurer, disant que jamais plus il ne reverra le soleil dehors : « J'irai sous la terre, me dit-il, et toi tu marcheras dans le soleil! » »

De Saint-Jean, Paul retombait grâce à cette citation sur son rêve. Arthur devait-il sacrifier son nom Arthur pour devenir Jean, un autre homme? Et lui, Paul, devait-il sacrifier son nom pour en porter un autre?

Solum solis. Rimbaud « le ribaud » rendu au sol, fils du Soleil, de Râ. Solis solum.
Tourne, ô sol! Tourne, ô soleil! Tourne, ô page!

 

 

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