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Rimbaud passion
22 juin 2021

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (Roman, version 2021) - Chapitre 26

XXVI

 

OÙ ON VERRA UN RETOUR EN BEAUTÉ DE PAUL À CHARLEVILLE

 

 

Paul revint à Charleville et se laissa entraîner par ses pensées:

«Hello Charlestown! I'm happy to come back in your big ass. Non, franchement, Charleville, Ville de Charles, Gonzville, tu es une belle ville. Tu es très belle, Charlette. C'est la franche vérité vraie. Jadis, si je me souviens bien... j'ai été aveugle sur ta beauté... – Et je t'ai injurié...

«Le savez-vous? En mon temps, au-dessus du ciel de Charleville, il y avait d'immenses toiles d'araignées de jour comme de nuit. Une fois, l'une d'elle est tombé sur la place Ducale.

«Rimbaud réincarné! Pourquoi pas! Mais je demande davantage à être Paul incarné. Qu'on ne me confonde pas, qu'on ne me fusionne pas avec lui, qu'on évite les projections malencontreuses. Je comprends Arthur qui disait dans Une Saison en enfer: « Qu'étais-je au siècle dernier? Je ne me retrouve qu'aujourd'hui. » Il est troublant que dans Vies il évoque plusieurs vies – dans un grenier, dans un cellier, dans un vieux passage à Paris jusqu'à celle-ci: « Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier, j'ai accompli mon immense oeuvre et passé mon illustre retraite. » Il conclut en cohérence avec le passage d'Une Saison: « J'ai brassé mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut pas même songer à cela. Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions. »

« Je songe aussi à cet autre passage dans la section Mauvais sang: « Vite! Est-il d'autres vies? – Le sommeil dans la richesse est impossible. La richesse a toujours été bien public. L'amour divin seul octroie les clefs de la science. Je vois que la nature n'est qu'un spectacle de beauté. Adieu chimères, idéals, erreurs. »

«Le message est si fort qu'on en oublie une faute grammaticale: « idéals » à la place d' « idéaux ». Texte quasi sacré dont on respecte les fautes les plus flagrantes.

«Ailleurs, dans Délires II, sous-titré Alchimie du Verbe, qui commence par: « à moi, l'histoire d'une de mes folies », Rimbaud est encore plus incisif, plus cinglant par rapport à la réincarnation. « À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait: il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. – Ainsi, j'ai aimé un porc. »

«Je ne sais pas, il me semble avoir lu chez Rimbaud cette expression qui trotte dans ma tête: « réincarnations successives. » En tout cas, tous ces passages tournant autour des vies antérieures qui me font aussitôt penser au poème La Vie antérieure de Baudelaire, sont aptes – surtout le dernier –, à disqualifier un André Rolland de Renéville qui fait un peu trop correspondre ses propres vues occultes avec la vision ou la « voyance » de Rimbaud. Dans Rimbaud le Voyant, il ne cite à propos de la réincarnation chez Rimbaud, que le début de Vies: « Ô les énormes avenues du pays saint, les terrasses du temple! Qu'a-t-on fait du brahmane qui m'expliqua les Proverbes? D'alors, de là-bas, je vois même les vieilles! Je me souviens des heures d'argent et de soleil »... etc. Peut-être que comme Renéville le dit, seule cette partie parle d'une réelle vie antérieure de Rimbaud et n'est pas une fabulation, une « hallucination simple » – ce dans quoi il est bon, et il en est conscient, genre: « je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d'un lac. »

«Cela n'est-il pas suffisant pour me satisfaire? Si je suis la réincarnation d'Arthur Rimbaud, – lui, était-il une réincarnation? Si oui, il l'était de qui? Et le qui de qui, le qui de qui, le qui de quoi?... Qui serais-je, quoi serais-je, que serai-je?

«Mais moi aussi, sur la place Ducale où je suis, je deviens un « opéra fabuleux »:

 

Dans mon cerveau, pays enchanteur

Le cerf volant embrasse de ses bois la lune

L'horloge fait tic, le soleil tac

Les étoiles gobent les marées

Les tamanoirs habitent des tas de manoirs

Les arbres sèment des humains

La musique fait la cour au silence

Les araignées tapotent à la vitre qui chuchote

Les crabes pincent le linge étendu sur la mer

Des papillons cavalent sur des chevaux

Les miroirs dépucellent des visages

Le feu bricole des mystères

La terre tricote de l'air

L'eau orgiaque se dresse à chaque pas

La coccinelle prie Dieu pour que la mante prie pour elle

Les volcans vocalisent un magma de pensées

Des pensées poussent sur des violettes poussant sur des pensées

Des rires fusionnent le crépuscule et l'aube

Des charmes grossissent à vue d'oeil des pélicans

Une rose parfume le monde

Dans mon cerveau, pays enchanteur

 

«Si je voulais prouver que je suis la réincarnation de Rimbaud, et non Rimbaud réincarné, je devrais écrire le poème perdu intitulé La Chasse spirituelle d'après Paul Verlaine et convaincre qu'il s'agit bien du poème « retrouvé ». Avant même de penser à cette folle idée de réincarnation, je désirais essayer de l'écrire, enthousiasmé par la lecture de Rimbaud d'Enid Starkie.

«J'appris par la suite que cela avait été tenté par Georges Bataille et un autre, – travail salué par André Breton qui, à l'heure du scandale du faux, avait déclaré en somme qu'il avait deviné qu'il s'agissait d'un faux, mais que cela n'enlevait rien à sa valeur. André Rolland de Renéville, dans son étude Rimbaud le Voyant, a bien fait de remarquer que cette oeuvre recopiait Une Saison en enfer. Rimbaud ne se recopiait jamais. Et moi, ferais-je de même?

«Mais comme je n'ai pas à prouver ce que prudemment j'avance comme une hypothèse... ou plutôt ce qui s'avance vers moi implacablement, s'impose comme une chose inéluctable, je ne pense pas que mon échec, mon impuissance à rendre La Chasse spirituelle prouve que je sois un zozo.»

 

Ainsi, magistralement marchait le cerveau de Paul, «pays enchanteur...»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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