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Rimbaud passion
13 février 2015

Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur (nouvelle version) Sixième chapitre

VI

 

Le lendemain matin, Paul trouva Arthur Belpomme dans le salon. Assis, il faisait passer une pomme d'une main à l'autre. On aurait pu entendre une mouche voler.

        • Bonjour Paul.

        • Bonjour Arthur.

        • Tu m'as l'air d'avoir la tête bien encombrée. Aurais-tu un pépin?

        • Je suis perplexe.

        • Ah...

        • Quelque chose me résiste. Je ne suis pas convaincu du tout par le troisième voyant fantôme. Il ne peut être Lautréamont. Je ne dis pas que Rimbaud n'a pas connu ses oeuvres, je ne dis pas qu'il ne pense pas à lui en écrivant sa lettre, je dis qu'il n'est pas le troisième voyant fantôme, je le sens...

        • Ah... intéressant... continue.

Paul lui expliqua les raisons de ses doutes. Il arriva enfin à son hypothèse, son dilemme...

        • Je suis dans l'expectative d'une résolution. Je suis par la raison tenté de nommer Lacenaire le criminel poète, le troisième voyant; mais mon coeur me dit que ce troisième voyant est Nodier.

A ce nom, le commissaire envoya sa pomme en l'air et fit aux anges: "pom-pom-pom-pom" avant de rattraper la sphère pulpeuse dans sa main.

        • C'est aux pommes!

        • Comment cela «  c'est aux pommes  »?

        • C'est aux pommes! Tu viens de percer le mystère des trois voyants fantômes.

        • Je ne comprends pas.

        • Tu ne comprends pas? Alors, dis-moi, quel est le troisième voyant fantôme selon toi?

        • Lace... Nodier.

        • Pom-pom-pom-pom! Évidemment que c'est Nodier. Ton coeur a eu raison de ta tête. Félicitations!

        • Mais que fais-tu du L?

        • Du L? C'est un pied de nez mon cher, un pied de nez, comprends-tu?

        • Un pied de nez? A foot of noise  ?

        • Exactly  ! But exactly  : one nose thumb  ! corrigea le commissaire avant de reprendre dans leur chère langue natale  : Et c'est toi, toi qui vient de mettre le doigt dessus! Voilà 20 ans que je butais sur Lautréamont et faute de mieux, je continuais à défendre cette idée absurde. Et voilà, par miracle... le voile se lève!

        • Je ne comprends pas. Explique-moi.

        • Ah, mon émotion, mon bonheur est à son comble. Merci! Merci! Ô Arthur! Quel malin tu fais!

Le commissaire se concentra un moment sur sa pomme tendue vers Arthur en portrait pastel  : pomme-vérité, pomme-évidence.

        • Paul, écoute-moi bien mon ami. Arthur n'a-t-il pas dit: "Je suis caché et je ne le suis pas"?

        • Si.

        • Arthur n'a-t-il pas écrit dans sa première lettre "Nargue" avec un N majuscule?

        • Si.

        • Eh bien il m'a bien nargué pendant vingt ans. Mais je te dirai tout cela ce soir.

        • Ce soir? Pourquoi pas maintenant?

        • Ce soir, c'est le solstice d'été; ce soir, c'est soirée aux bougies! Rendez-vous à 22h30 après le coucher du soleil du jour le plus long de l'année.

Paul répliqua seulement:

        • Bon, bah... à ce soir.

        • À ce soir, mon ami! Profite de ce beau soleil pour te promener en forêt.

Paul disposa et alla effectivement prendre un bain de soleil, se promener en forêt et s'y reposer sur un rocher tapis de mousse et de lichen où il s'allongea au sein des effluves capiteuses des pins, soulagé de ce que le dernier voyant fut Nodier. Ses rêves se tournaient vers ce nom maintenant. Il se rappelait avoir lu voici quelques années L'Histoire du roi de Bohême et ses sept châteaux auquel Nerval avait emprunté une généalogie de plagiaires. Un livre qu'il avait trouvé, au final, plus désenchanté qu'enchanteur. Il avait lu aussi qu'Alexandre Dumas, grand ami de Nodier autant que de Nerval, n'avait été que le transcripteur de La Femme au collier de velours, paru en 1851, énième roman de l'auteur des Trois Mousquetaires qui lui avait été soufflé dans un murmure par Nodier lui-même sur son lit de mort. Dumas ne s'en cacha pas et lui rendit le plus bel hommage que l'on puisse rendre à un confrère. Ainsi, la dernière oeuvre de Nodier figure sous la plume de son ami Alexandre Dumas.

Enfin, Paul le connaissait comme l'auteur de l'essai Du fantastique en littérature paru en 1830 et de contes qui oscillaient entre le fantastique et le merveilleux ou le folklore tels Trilby et La Fée aux miettes qu'il n'avait pas lus mais dont les noms tintinnabulaient à son oreille.

Ses songes se tournèrent ensuite vers le futur: ce soir...

Quelle mise en scène le commissaire Belpomme lui réservait-il encore? Allait-il se coller des ailes et voler vers lui en lui tendant une pomme sur laquelle serait inscrit "N" suivi d'un point d'interrogation? – Beau spectacle baroque! Tel un Caravage à peine modifié  : la deuxième version de Saint Matthieu et l'Ange, sauf que ce dernier, dans son vol, tendrait à l'évangéliste une pomme  !

 

Après la contemplation du couchant, Paul rentra dans le salon éclairé de bougies comme dans un sanctuaire... Il était vide de la personne d'Arthur Belpomme, mais sa présence était perceptible.

Il n'y avait pas de pomme en vue. Enfin, pas devant Paul, ni autour. Mais au-dessus! Une pomme était suspendue au plafond. Elle avait été accrochée sur le luminaire avec du fil de pêche et elle tournoyait sur place de gauche à droite, à la hauteur des yeux du portrait de Rimbaud qui lui faisait face.

Paul entendit un bruit de chasse d'eau.

        • Ah! Purgatif le matin, purgatif le soir! La pomme est une merveille! dit tout haut le commissaire tandis qu'il se lavait les mains dans l'évier de la cuisine juste à côté.

Le commissaire rejoignit Paul, et sans préambule, comme s'il n'y avait pas eu de coupure entre le matin et le soir, il dit en appuyant ses premières paroles avec son index levé vers le ciel, puis en tapotant la commissure de sa bouche de la même oscillation rapide que celle du joueur de guimbarde:

        • Oui, le "L" de NVL est le plus beau pied de nez qui puisse se trouver. Et ça, c'en est d'une Nouvelle! Dans "NVL" on peut lire aussi bien Nerval que Nouvelle. Et oui, la nouvelle c'est que le troisième voyant fantôme est Nodier. Lui qui racontait à Nerval comment il avait eu le malheur d'être guillotiné à l'époque de la Révolution, – et son ami en était tellement persuadé qu'il se demandait comment il était parvenu à se faire recoller la tête  ! Ses amis faisaient là-dessus la boutade qu'il était assez naturel qu'une fois âgé on n'ait plus toute sa tête... Eh bien là on a retrouvé la tête de Nodier.

        • Mais il y a bien N pour Nerval, V pour Verne, L pour Lautr...

        • Oui, coupa le commissaire, mais il n'est pas le troisième voyant fantôme. Voici pourquoi. Lautréamont désigne ce qui est en amont, «  l'autre en amont  ». L'autre en amont est N, lettre où viennent se confondre aussi bien Nerval que Nodier, et l'on voit le lien qui pouvait exister entre Nodier et Nerval indépendamment de leurs oeuvres, le second devant beaucoup au premier. Lautréamont est bien à compter mais pas parmi les voyants. Il est celui qui nargue et indique à la fois la clé du mystère. Quant à Lacenaire, Nerval l'écarte par son jugement en 1840: "cet affreux Lacenaire"..., "cette araignée humaine", "cet odieux sujet" disait-il de lui.

Rimbaud qui voulait se faire l'âme affreuse pouvait bien à l'instar de Baudelaire en faire un "héros de la vie moderne", tout portés qu'étaient les romantiques comme Hugo à glorifier les héros de la "bouche d'ombre" en ces temps troubles; il ne pouvait sincèrement pas en faire un voyant, en dépit et à cause même du Dernier chant du "criminel-poète" qui périt avec fierté et tremblement sous la guillotine...

        • Mais commissaire, Rimbaud n'a-t-il pas dit: "il s'agit de se faire l'âme monstrueuse, à l'instar des comprachicos?  »

        • Je vois que Monsieur a de la culture. Rimbaud aussi. Il a lu, c'est certain, L'Homme qui Rit de Victor Hugo paru en 1869, bien qu'il ne cite de roman que Les Misérables dans sa lettre. Victor Hugo a intitulé le deuxième chapitre de la première partie de L'Homme qui Rit: "Les comprachicos", ces bohémiens du XVIIème siècle qui volaient des enfants pour les transformer en monstres, en gagne-pain de foires. Il faut lire la subtilité que tu as omise. Rimbaud dit à la suite de "à l'instar des comprachicos, quoi!": "Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage. Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant." Les comprachicos n'appliquaient pas leur "monstruosisation" sur eux-mêmes. Pour écrire, il faut être capable de s'identifier, de se mettre dans la peau de son sujet. Ainsi Hugo l'a fait, même à l'extrême.

«  Est-ce ironie, provocation? Lui qui a tant lutté contre la peine de mort, il écrit: "On savait produire dans ces temps-là des choses qu'on ne produit plus maintenant, on avait des talents qui nous manquent, et ce n'est pas sans raison que les bons esprits crient à la décadence. On ne sait plus sculpter en pleine chair humaine", etc. Je passe les détails... Mais aujourd'hui on parle de comprachicos modernes qui ne font plus des dégâts physiques mais psychologiques. On peut se demander si Rimbaud avec l'éducation qu'il a subi de sa mère et la société dans laquelle il vécut, si il ne se sentait pas lui-même un "comprachicosé". Bref! Ce que je voulais dire avant que tu ne me coupes à bon escient, c'est que de la pensée à l'action il y a un monde, de la créativité à l'Art, un univers.

«  Guillotin était un créatif, pas un poète. Lacenaire s'est voulu poète, il a versifié avec talent, panache  ; une émotion perce sous la provocation et le cynisme, mais pour être voyant, Poète en tant que VATES c'est une autre paire de manches. En tout état de cause et en toute conscience, Rimbaud ne pouvait placer Lacenaire aux côtés de Nerval et Verne. Du coup, ils auraient tenus la place de larrons pour ainsi dire... En revanche, Nodier, enfant issu de la Révolution, a inspiré tous les grands romantiques; admiré par les plus grands (Hugo, Dumas, Balzac), Nodier a ouvert la voie à Nerval et à Rimbaud, comme aux surréalistes.

«  Il faut aussi lire La Fée aux miettes pour comprendre ce qu'une telle lecture a pu produire sur le cerveau de Rimbaud: on y parle d'une femme qui connaît toutes les langues, on y parle de voyage en Orient, de Salomon et de la reine de Saba. Et chose vraiment étonnante, Rimbaud côtoya plus tard le Roi Ménélik II, maillon d'une lignée de rois éthiopiens revendiquant leur filiation salomonéenne et sabéenne, Ménélik étant le fruit de l'union entre Salomon et la reine de Saba qui s'était convertie à la religion des hébreux en voyant sa sagesse.

«  Disons pour faire court que c'est un conte qui a pour héros Michel, charpentier de métier, natif du Mont Saint-Michel, et qui, enfermé dans une maison des fous – la maison des lunatiques à Glasgow – raconte à son visiteur sa folie: il est à la recherche de la Mandragore qui chante et croit avoir pour mission de fournir en bois le roi Salomon lui-même. Il raconte ses aventures portées par deux amours: d'abord celui de la Fée aux miettes vieille de plusieurs siècles, naine, sachant toutes les langues, s'étant nourrie de miettes à l'école, originaire de Grandville où elle mendiait, non loin du Mont, mais ayant une maison à Greenock en Écosse; ensuite, celui de Belkiss ou Reine de Saba dont la Fée lui a offert un portrait en médaillon qui s'anime sous ses yeux et dont il tombe amoureux. La Fée aux miettes lui fera comprendre peu à peu que c'est elle, Belkiss, plus jeune... Il n'y a pas lieu d'être tiraillé entre deux. Tout s'unifie. Avant de se marier avec elle, il devra traverser une série d'épreuves lui dévoilant la vraie richesse.

«  Voici un passage clé, bien illustratif. La Fée aux Miettes parle : "N'as-tu pas remarqué que les vaines sagesses de l'homme le conduisent quelquefois à la folie? Et qui empêche que cet état indéfinissable de l'esprit, que l'ignorance appelle folie, ne le conduise à son tour à la suprême sagesse par quelque route inconnue qui n'est pas encore marquée dans la carte grossière de vos sciences imparfaites?" Reconnaissant qu'il n'y a pas plus savante, plus digne et meilleure femme, Michel dit: "C'est seulement dommage qu'elle soit si vieille et qu'elle ait de si grandes dents." Mais il se reprend aussitôt: "On n'a pas à se plaindre de sa destinée quand on passe les nuits à vivre d'amour avec Belkiss, et les jours à étudier la sagesse avec la Fée aux miettes."

 

Le commissaire Belpomme nageait dans les parenthèses comme un poisson dans l'eau et pouvait revenir à la surface comme s'il ne l'avait jamais quittée. Paul était incroyablement réceptif.

        • Pour revenir à Nodier, poursuivit le commissaire, il est le premier des romantiques français à avoir exploré, comme tu as pu le constater dans ce récit mirifique, le lien ténu entre la réalité et le rêve, à avoir accordé de l'importance aux rêves. Il illustre par ses contes le "Je est un autre", il est immergé dans le fantastique plus qu'il ne le crée par artifice littéraire, il a été le premier en France à trouver de l'inconnu, donnant mission à l'écrivain de "percevoir l'inconnu".

«  Il avait une conscience claire de la mission du poète, de l'écrivain. Mais lui-même n'a-t-il pas été inspiré par les romantiques allemands? Il faut lire en premier lieu le roman Henri d'Ofterdingen, de Novalis qui est mort à l'âge de 29 ans, puis ses Hymnes à la nuit. Le thème de la fleur bleue que l'on trouve chez le jeune poète allemand est aussi traité par Nodier, comme il a été traité par Gérard de Nerval et Jules Verne, chacun à leur façon. De plus, ce n'est pas un des moindres signes en faveur de Nodier que son poème Le Vieux marinier ait de si grandes similitudes avec Le Bateau ivre que l'on peut le tenir comme préfiguration, source d'inspiration, prémonition même de celui-ci. Enfin, les trois poètes sont connus pour avoir côtoyé de près une société secrète, un groupe d'initiés à l'ésotérisme que Charles Bretagne devait bien connaître et dont Rimbaud avait dû entendre parler par celui-ci qui était son mentor.

  • Mais tu savais tout cela et tu n'avais pas pensé à Nodier? s'étonna Paul.

Évidemment que si, répondit Arthur Belpomme avec un sourire qu'Arthur Rimbaud sembla imiter. J'ai même pensé à Lacenaire, figure-toi. Mais on a souvent besoin d'un autre pour bien voir, et là, il a suffit que tu mettes le nez dessus pour que tout se mette en place naturellement et que je trouve enfin le pépin. Maintenant, je puis dire, grâce à toi Paul, grâce à Arthur, grâce au Ciel, cette enquête est aux pommes!

À ce mot, la pomme se porta le plus naturellement du monde à la bouche du Commissaire Belpomme.

Quant à Paul, il était complètement bluffé par ses explications, il en restait pantois et ému.

Regardant Arthur Rimbaud sur le mur, il crut surprendre un clin d'oeil. Décidément, les pommes du commissaires devaient avoir un truc  !

  • T'as vu  ? Arthur est d'accord avec notre conclusion, dit le Commissaire qui semblait au courant de la chose, ou connecté à Paul – pour qui, enfin, la chose paraissait naturelle et aller de soi, – On Voit quand on a des Yeux  !... ajouta t-il avec un contentement et mystérieux.

  • Pom-pom-pom-pom  ! fit Paul, comme s'il allait aussi de soi que, pour finir, il ne lui manquait plus que ça à faire, le Arthur  !

Après cette petite tasse de délire épicé, il y eut un grand moment de recueillement, interrompu par Arthur, conscient comme son auditeur que, étant résolu le mystère qui les avait occupé pendant plusieurs jours, il devait trouver un moyen de continuer à faire vivre sa passion, et comme s'il savait que ce mystère des trois voyants fantômes n'était qu'une étape à franchir avant d'accéder à un autre niveau, il amorça de la sorte un nouveau chapitre, un préambule, en fait, à un nouveau mystère.

 

Je pense, cher lecteur, que malgré que nous soyons au sixième jour marqué par le numéro six de ce chapitre, il est bon de marquer fortement la clôture du Mystère des trois voyants fantômes, afin que nous y voyons plus clair et que vous puissiez avoir aussi un repère.

Que dites-vous d'un «  6 bis  »  ?

Allez, hop, c'est adopté  !

Et d'un nouveau titre d'une partie intermédiaire  ?

  • adopté  !

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