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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 6)

VI

 

OÙ PAUL SE PRÉPARE À ALLER À ROCHE

 

 

Après avoir quitté l'intendante du camping, Paul alla au café-restaurant boire une bière.

À la place de Tom, il vit une petite femme brune aux yeux pers. Elle se roulait une mèche de cheveu tandis qu'il lui parlait. Elle était complexée d'être ardennaise: "Y'a beaucoup de beaufs, ici, et puis y'a rien, ici, c'est mort, et on a un sale accent."

Et puis "quo" encore? Artut Rimbauf ?

Paul lui répondit que des beaufs, il y en avait partout; qu'il trouvait Charleville pleine de charme et l'accent ardennais aussi.

Ah bon?

Elle dévora son bel et quelque peu étrange étranger avec un regard grand comme "ço" en roulant sa mèche.

« Je suis beau, je sais, poulette..., pensa-t-il, attention, Paul, tu vas finir par avoir des ampoules ! ».

Puis, il fut traversé par un drôle de nuage, cette pensée: « La charmante etcharmée serveuse me considérerait-elle comme Rimbaud revenu pour réviser son jugement sur mon... son pays natal ? »

Lorsque Paul lui exposa l'objet de sa venue, elle lui dit:

« J'aime beaucoup Rimbaud. »

Paul sourit.

  • Bon, je dois y aller. À plus tard.

  • À bientôt.

Paul s'éloigna, sentit son regard et jeta un regard en arrière. Elle lui sourit. Il revint sur ses pas.

  • J'ai oublié de vous demander, je désire aller à Roche.

Le visage de la femme s'illumina. Elle était visiblement enthousiaste d'apprendre que son éphèbe voulait s'y rendre.

  • Cela vaut le coup pour se mettre dans l'ambiance de la campagne où il vécut, pour se rendre compte de la vie qu'il a eu là-bas, lui dit-elle.

Oui, ça valait le coup. Même s'il ne restait pas grand chose de la ferme et que la modernisation avait sensiblement modifié le paysage avec la route bitumée et bordée de fils télégraphiques.

  • C'est où ? Comment s'y rendre? demanda Paul.

  • Alors, là... dit la femme qui lui sembla comme prête à l'accompagner.

« Pour un peu elle m'y emmènerait... Mais un tel pèlerinage se fait seul » se dit-il après la vision d'une perspective tentante... De toute façon, elle n'était pas capable de lui dire où se trouvait Roche. Et elle travaillait.

  • Merci, dit-il, bon prince.

  • C'est quoi votre nom ? demanda-t-elle.

  • Paul.

Il se retint de dire « Delaroche ».

  • Moi, c'est Estelle. Enchantée.

  • Enchanté. Pardon, je dois y aller. Bonne journée.

  • À bientôt, répondit la femme, ses doigts pris dans ses boucles.

Et s'éloignant, Paul entendit: « Et bon pèlerinage ! »

 

Pèlerinage ? Roche, c'était rien de plus que la fameuse ferme des Cuif – famille d'Arthur du côté de sa mère qui l'avait reprise – le lieu où fut composé Une Saison en enfer,le lieu de la transition, l'articulation entre « Rimbaud 1 » et « Rimbaud 2 », enfin le lieu qui, pour Paul, en plus de l'avantage de lui faire découvrir la campagne ardennaise, devait l'émouvoir.

Roche, c'est un pèlerinage aux sources... C'est le Compostelle de tous les fans de Rimbaud. Il ne lui manquait plus que de pousser un « Ultréïa » !... Toujours plus loin, toujours plus haut...

 

Paul repensa au dessin qu'Arthur Rimbaud avait fait dans la lettre dite de "Laïtou" écrite à Roche et adressée à son ami Ernest Delahaye en mai 1873. À cette date, il avait composé quelques "petites histoires en prose" que l'on identifie comme appartenant à Une Saison en enfer et que lui intitulait dans sa lettre "Livre païen ou Livre nègre". Cela aurait été le premier titre. Là, il réagissait violemment par antithèse au Christianisme.

Mais ce qui importait pour Paul, c'était – sur les lieux – d'avoir en tête ce dessin où l'on voit Arthur de profil, en train de marcher dans la campagne, tel un Robinson échevelé, dépenaillé, portant pantalon, veston, long bout de bois en main, sabots aux pieds. Une sorte de frêne têtard se dresse derrière son dos. Dans la lettre, il écrit: "Ô nature! Ô ma mère!" À hauteur de sa tête, un personnage s'éloigne avec une pelle levée comme un étendard et ce commentaire : "Ô nature ô ma Soeur". Au-dessous, à hauteur du sexe du poète se trouve une oie marchant à ses côtés, la queue dressée comme son bâton. Troisième dégradé : "Ô nature Ô ma tante", semble crier l'oiseau, bec ouvert devant le premier "Ô".

Dans la lettre, on comprend l'état de conscience du poète: "Je n'ai rien de plus à te dire, la contemplostate de la nature m'absorculant tout entier. Je suis à toi, ô Nature, ô ma mère!"

Ne commençait-il pas sa lettre par "Cher ami, tu vois mon existence actuelle dans l'aquarelle ci-dessous." ?

Il s'agissait plutôt d'un dessin à l'encre noire. Il parlait ensuite de sa mère: "La mother m'a mis là dans un triste trou". En effet, il avait l'air bien triste, sa tête se tournant vers nous, pipe pendue à la bouche, chevelure lui tombant sur la nuque, prolongée par ce qui semble être une plume attachée. D'oie ? Le "C'est bête et innocent" à propos de son livre en cours était parfaitement représenté par ce dessin.

Il revint encore à la mémoire de Paul cette visite de Roche par Julien Gracq et rapportée dans En lisant en écrivant: "rien ne subsiste, qu'un pan de mur"... "un lavoir envahi parmi les conferves*"..., "cinq ou six maisons rurales ou fermes, semées lâchement autour d'un carrefour de chemins vicinaux, prises dans un lacis de vergers et de haies"..."ce paysage d'ennui et de sommeil rural épais : ni une colline, ni une rivière, ni une forêt."... "cette bauge de campagne en forme de caveau de famille."... "C'est ici et non au Harar, que l'acharnement à mourir à soi-même éclate, c'est ici qu'il est revenu, non point pour mourir aux fleuves barbares, mais vraiment aller où boivent les vaches." ... À Roche, l'optique bascule, et c'est Lawrence d'Arabie qui devient un peu le frère de Rimbaud"... "lui, inventeur éperdu d'expiations"...

*Conferve: algue verte filamenteuse

Ça donnait envie !

Paul retrouva ce cher et émouvant témoignage du Journal de Vitalie, sa grande sœur qui a fané dans la fleur de sa jeunesse, morte à 17 ans :

«Mon frère Arthur ne partageait point nos travaux agricoles; la plume trouvait auprès de lui une occupation assez sérieuse pour qu'elle ne lui permit pas de se mêler de travaux manuels.»

C'était en juillet 1873. On sent l'amour qu'elle porte à son frère.

Un an après, en 1874, elle et sa mère ayant rejoint Arthur à Londres, elle y retrouva un frère assagi et cherchant du travail, et elle écrivit : « L'après-midi, je me sens mieux qu'à l'ordinaire, je suis gaie. Arthur me sourit. Il me demande si je veux l'accompagner au British Muséum. Là, nous avons vu une foule de choses remarquables [Suivent des descriptions d'animaux antédiluviens, de pétrifications, etc.] La bibliothèque où les dames sont admises aussi bien que les hommes, compte trois millions de livres. C'est là qu'Arthur vient si souvent.»

Mais en voilà une qui aime Roche:« Roche est je crois le village le plus agréable que j'ai connu pendant le temps que je l'ai habité. »

Elle ne « contemplostatait » pas la nature, elle ne pouvait que la contempler avec un émerveillement d'enfant et un sentiment de communion !

« Qu'elle est belle en ce moment la vaste prairie de Voncq. » écrivait-elle. Et parlant des grands peupliers bordant le canal : « ...c'est ainsi que j'entends ces grands arbres parler à mon oreille maintenant. »

 

Mais pour Paul le rêveur, Roche, ce ne serait pas de sitôt. Comme s'il sentait qu'avant de pénétrer les lieux de pèlerinage, ces lieux qui faisaient partie d'un pays que l'on appelait la Rimbaldie, ces « sanctuaires » qu'il ne pouvait rayer du programme – il devait passer par des préliminaires.

Il devait d'abord aller à la rencontre de Mademoiselle Charleville.

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