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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 5)

V

 

OÙ UNE INTENDANTE PARLE DE RIMBAUD

 

La nuit avait été froide. Paul avait été trop fatigué pour monter sa tente d'autant qu'en dehors de la lune et des étoiles... il n'y avait pour l'éclairer qu'un «pâle réverbère», enfin un pauvre lampadaire.

«– Lorsque dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants»...

Dans ses rêves, peut-être !

En tout cas, Arthur Rimbaud y passait bien, dans la cervelle de Paul. Et souvent. De toute chose, de toute circonstance pouvait surgir un vers adéquat du poète chéri, ce qui lui était très agréable.

 

Paul s'était réveillé vers 9 h. Ni trop tôt ni trop tard pour profiter de cette belle journée ensoleillée. Tom lui avait dit la veille qu'il avait fait très froid la semaine dernière. Il souffrait de ce genre de changement. Paul goûtait donc sa chance.

Sa douche prise, il entra dans le hall d'accueil du camping. Un riche caravanier, peut-être belge, faisait à grands gestes et à haute voix des revendications sur le prix. « Pas question que... alors que... » ! – ainsi s'égrénaient-elles.

Enfin l'affaire s'arrangea. Sa voix se radoucit. Il se détendit et sourit.

L'intendante, petite, yeux bleus vifs, cheveux courts blonds de blé qui lui retombaient frisottants dans la nuque, – une tête de belette ou de fouine, à moins que ce ne soit celle d'un hérisson – sourit au nouvel arrivant de toutes ses dents. Et elle en avait beaucoup.

  • Bonjour, dit-elle à Paul d'une voix un peu aigrelette.

  • Bonjour.

  • Vous venez pour réserver une place ?

  • Je suis arrivé hier soir à onze heures environ.

  • Ah ! c'est vous !

  • Moi ?

  • Oui, on m'a dit que quelqu'un était arrivé tard hier.

  • Ah.

    « Je devine la source, se dit Paul ».

  • Vous désirez rester combien de jours ?

  • Trois pour l'instant.

  • Vous êtes installé à quel numéro ?

  • Je n'sais pas.

Elle pensait que Paul pouvait voir ça plus tard, mais celui-ci fila pour vérifier et revint presto :

  • 56, dit-il essoufflé par sa course.

  • C'est une place réservée aux caravanes. C'est plus cher.

Paul s'emporta :

  • Oh non ! Ne me dites pas que je dois démonter ma tente ? C'est pas juste. Si quelqu'un y vient, je changerai de place. Mais ça revient au même, là, que je sois là où ailleurs !...

  • Ce sont des places pourvues en électricité. Je suis désolée.

  • Et c'est combien le prix ?

Elle le lui annonça. La différence était considérable. Paul abandonna. Mais il se reprit rapidement :

  • Tiens ! Je sais ce que je vais faire. Je vais faire glisser ma tente par terre une fois les piquets enlevés, déclara-t-il.

  • Bah voilà ! fit l'intendante, contente.

  • Je vais faire ça et je reviens pour payer.

  • Pas de problème.

Il s'exécuta. Paul et sa tente ! L'un des arceaux n'avait pas de cordons. Il avait prévu son scotch pour le maintenir en place une fois les tubes emboîtés...

L'intendante lui proposa le numéro 120 ou 121. Paul choisit le second. Il aimait son arbrisseau penché au-dessus de l'herbe, comme sous la force du vent.

Cela fait, il retourna à l'accueil en courant. Il dut attendre le passage d'un autre client. Heureusement, ce ne fut pas long.

  • Voilà. J'ai mis ma tente au 121, annonça Paul.

  • Très bien, répondit la femme satisfaite.

Paul lui tendit un chèque dûment rempli, signé.

  • Merci.

  • Pardon, connaissez-vous Roche ? demanda Paul qui enfin pouvait se permettre d'être tout à son affaire.

  • Roche ? Non, ça ne me dit rien du tout.

  • Ce serait près de Vouziers, indiqua-t-il.

L'intendante consulta une carte et finit par trouver. Puis elle lui demanda la motivation de son voyage. Paul le lui dit brièvement.

Petite boule de nerfs, la femme s'exprima alors sur Rimbaud, sur la liberté du poète, cela en mots qui avaient justement le goût de la liberté, en termes qui suaient sa révolte :

Tout le monde est là: "Rimbaud ! Rimbaud ! Ah Rimbaud...". On lui fait un culte, on est en adoration. Ces mêmes petits bourgeois que Rimbaud a toujours décriés, vomis, se font les gardiens de ce temple. Mais Rimbaud était libre. Il n'a rien à voir avec eux. Il est au-dessus de la mêlée, bien au-dessus de tout ça. Il a tout abandonné, littérature et famille, pour voyager. Il a ramé, lui... Qu'ils fassent donc comme lui, au lieu d'être assis bien dans leur Musée, leur petite vie étriquée. Il est devenu aujourd'hui le chef de l'école académique. Aujourd'hui, un poète fait la même chose que Rimbaud, on le prend pour une merde.

 

Paul l'écoutait sans la juger. Paul la comprenait. Il la voyait en miroir de ce qu'il pensait des années auparavant. Il était alors dégoûté de la littérature. Sauf celle des hommes libres comme Henry Miller qui lui avait inspiré un voyage en Grèce après avoir lu dans une colonie de vacances cette ode au grand air qu'était son roman Le Colosse de Maroussi. Là était la vraie vie, l'école de la vie. Il avait même désiré aller en Afrique, ou peut-être plus loin pour fuir le toit familial, vivre comme il l'entendait avec son RMI misérable. Aller où il voulait dans le monde en faisant confiance à la vie. La Vie – Dieu – elle pourvoirait à ses besoins, comme le dit l'Évangile des oiseaux.

Alors il était parti, avec un cadie – faux départ –, puis avec un sac à dos bien chargé. Et il était allé en Grèce trois mois durant. Il y avait rencontré, comme Miller, son "colosse", son «Katsimbalis»... Mais c'était une femme de 72 ans devenue sa grand-mère de coeur, une conteuse née, comme le héros d'Henry – et tout aussi charismatique. – Léla ! Il pourrait en faire un roman ! C'était quelque part dans les Cyclades. Mais il était alors un résident étranger, et en hiver il était retourné chez lui. Il avait fêté Noël en famille avec ses trois frères et sa chère petite soeur... Sa chère petite soeur...

 

La femme du camping, elle, avait le discours râpeux. Paul l'écoutait avec compassion et une certaine candeur. Il se taisait. Il se contentait de "mmm". Il la comprenait et il comprenait aussi les autres qu'elle accusait.

Depuis longtemps, Paul avait la conscience que les passions convergeaient et divergeaient sur ce même homme qui inspirait de l'amour – mais suscitait aussi de la haine, de la jalousie (Rimbaud et ses «enfants», haïs par ceux de Verlaine et vice-versa...). Oui, Rimbaud était un homme hors du temps et donc de tout temps; la propriété de personne tout en étant une terre pour tout le monde, que l'on pouvait labourer jusqu'à plus soif, – offrande à coeur ouvert, à coeur perdu.

« Chacun voit Rimbaud selon ce qu'il est » se dit Paul.

 

 

 

 

 

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