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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 9)

 IX

 

OÙ PAUL FAIT LA RENCONTRE DE DEUX JEUNES

SEMBLANT L'IDENTIFIER

 

 

 

Derrière le Musée Rimbaud, dans le parc, Paul rencontra deux jeunes Charlestowniens. Un troisième, plus âgé, assis sur un banc restait silencieux. Il déclina poliment une canette de bière qu'on lui tendait.

Les deux jeunes étaient rmistes... L'un d'eux, très grand gaillard, bavard, lui adressa la parole :

Qu'est-ce que tu es venu faire ici, à Charleville ? C'est pourri. Y'a pas de boulot. Ça sent le bourgeois.

Paul commença par ne pas répondre à leur provocation, leur voyouserie bien de Rimbaud ado. Il fût amusé, surtout lorsque le guilleret chanta du Michel Sardou...

Plus tard, pendant qu'ils fumaient ensemble du tabac que Paul leur avait offert – situation classique de bien des rencontres – il finit par dire :

  • Tu veux savoir pourquoi je suis là ?

  • Vas-y, mon pote, je suis pas là pour te juger.

  • Je suis là pour Rimbaud.

  • Ah! T'es un poète, un artiste. Je m'en doutais! dit le grand chanteur qui ajouta : « Rimbaud réincarné! », mi-plaisantant, mi-sérieux.

Ça fit tout drôle à Paul. Il ne put répondre que par un sourire, mi-amusé, mi-reconnaissant.

Le jeune voulait certainement dire par là qu'il le reconnaissait comme étant de la famille des poètes, un frère de Rimbaud, et pourquoi pas le fils spirituel de Rimbaud, comme l'avait baptisé son ami Arthur Belpomme. « De toute façon, nous, les poètes, nous sommes tous un peu de la tribu de Rimbaud. Du moins en occident. Nécessairement sortons-nous de sa cuisse. Pas de celle de Jupiter, j'espère. » se dit Paul.

Mais il ne put s'empêcher de s'interroger sur la parole du jeune : « Ou est-ce son inconscient qui a parlé ? »

Il les écouta raconter leur galère. Il écouta leurs paroles parfois crapuleuses.

Le bavard en short, polo, basket lui parla enfin de son amour, "ma femme", comme il dit. Il demanda à Paul son avis sur leur histoire, de toute apparence pas très facile. Paul écouta sans mot dire avant de se préparer à les quitter, enfin, avec une bonne poignée de main, – façon prise de chope de bière.

  • Prends soin de toi, lui dit le gars métisse ou maghrébin assis sur le muret.

« Trouve-t-il que je ne prends pas soin de moi ? Ce serait plutôt lui... », pensa Paul.

  • Toi aussi, lui répondit-il.

Puis se tournant vers le silencieux du banc :

  • Tu t'appelles comment ?

  • Paul.

  • Moi aussi.

Ses yeux indolents s'agrandirent.

  • Ça fait deux ! lança t-il.

Et le grand de clôturer:

  • Si tu veux repasser ce soir, y'a pas de problème. On est tout le temps là !

Paul eut envie de dire gentiment :

« Navré, mon gars, c'est sympa, mais votre désoeuvrement n'est pas le mien. Je comprends votre révolte. Mais Rimbaud a évolué. Ce Rimbaud-là n'est plus. Sauf à travers votre attitude. Et je suis heureux d'avoir rencontré une image vivante de lui à cette époque de sa vie. »

Intimement, Paul se sentait plus proche du poète qui écrit et de l'homme qui cessa d'écrire. Du moins de la poésie, à ce que l'on sache. Lettres à sa famille, lettres professionnelles et rapports d'explorateur, voilà ce qui nous reste de l'homme mûr.

Paul songea à cet ancien poème « slam » ou plutôt « rap » qu'il avait lui-même écrit en ce temps lointain...

« Jadis, si je me souviens bien, j'ai été animateur. Un jour, j'ai assis l'Animation sur mes genoux. – Et je l'ai trouvé amère – Et je l'ai injuriée. » aurait-il pu paraphraser un peu exagérément les premiers mots d'Une Saison en enfer.

Ce voyage en Ardenne le faisait de plus en plus plonger dans son passé. Beaucoup plus que face au Commissaire Belpomme avec lequel l'aventure avait été principalement intellectuelle, et incroyablement stimulante. Le Commissaire ignorait pour ainsi dire tout de l'histoire de Paul qui était très réservé. De toute façon, ça n'avait pas été le sujet, le but de leur rencontre.

Et alors, pourquoi cette « injure » de Paul vis-à-vis de l'Animation ?

Formé à l'«éducation nouvelle», il n'avait pu appliquer ses vues pédagogiques; pas en phase avec l'organisateur de la colonie qui l'avait embauché après son diplôme d'animateur, il n'avait pas vraiment pu s'intégrer à l'équipe et s'était trouvé à plusieurs moments en porte-à-faux avec elle. Et pourtant il se croyait fait pour être Éducateur ! C'était suite à un rêve. Comme une vision. Il ne voulait plus sauver le monde, mais le changer, et à ses yeux ça devait passer par l'éducation, la pédagogie. Son écriture avait évoluée en conséquence. Il s'était alors mis à écrire des fables, sans morales explicites, d'abord en rafraîchissant celles de la Fontaine, puis en adaptant à sa façon des fables africaines et enfin en inventant ses propres thèmes.

C'était un métier plus fait pour lui que celui d'ouvrier horticole auquel il était pourtant habitué jusqu'au jour où...

Paul remontait le fil de ses souvenirs. Il avait été heureux dans sa grande nichée familiale, il ne l'avait quittée que tardivement. Il aimait tout particulièrement sa petite sœur, la dernière après quatre garçons, qui le lui rendait bien.

Une erreur d'orientation manifeste, fréquente à l'époque au vu de ses résultats scolaires, l'avait conduit professionnellement dans les espaces verts. Lui qui ne rêvait que de livres et de gloire littéraire ! Sa grande œuvre poétique, Souffle lui avait donné du souffle – mais il avait quand même dû s'y reprendre à trois fois – pour échapper à l'enfer militaire. Trop fragile, ressemblant en cela à son père, une relation familiale haut placée avait su trouvé les termes pour le faire comprendre à qui de droit.

Paul savait qu'Arthur n'avait pas eu cette chance, pendant des années il s'en inquiéta, craignant d'être enrôlé dès qu'il reviendrait en France.

Amoureux d'une jeune fille, Paul avait écrit à la plume d'oie et illustré un récit poétique surréaliste, Soleils, qui croyait-il devait lui donner une place dans la littérature. À défaut, espérant gagner ainsi une place dans le cœur de sa muse, il lui offrit. Elle fût très touchée, mais le lui rendit quelques semaines plus tard et disparut de sa vie.

Son travail lui laissait du temps pour lire et écrire, mais ses débuts poétiques et littéraires ne lui apportaient donc pas le succès escompté! Par ailleurs sous la pression de sa famille, il craignait d'être mis à la porte, et de se retrouver à la rue étant donné le peu de relations qu'il avait, mais il ne cherchait pas pour autant un logement.

C'est alors qu'un jour tout bascula autour de Paul alors âgé de 25 ans. Son père pris dans une logique professionnelle et familiale de « marche ou crève » faillit en crever. La famille était en crise et Paul encore plus. Ne supportant plus l'ambiance de son travail Paul démissionna et comme en urgence pour faire le point, il se mit à écrire une œuvre composée de ses souvenirs d'enfance, Mémoire. Une fois de plus ses espoirs de gloire littéraire furent déçus.

Ce fût à cette époque qu'il fit ce grand rêve de devenir Éducateur. Comme il était au chômage il rencontra une assistante sociale qui le fit bénéficier du RMI (Revenu Minimum d'Insertion remplacé par le RSA plus tard) et lui proposa une formation. Avant d'être éducateur, il fallait passer le BAFA, le fameux diplôme des animateurs !

Il avait fini par l'avoir mais non sans mal ! Il faut dire qu'à son âge, encore puceau, il s'était retrouvé pour sa formation générale dans un dortoir mixte. Eduqué dans la morale stricte des Témoins de Jéhovah où même penser était pécher, il n'avait pas connu la drague entre ados et n'en connaissait pas les codes. Et là, il y avait une jeune fille sur laquelle il avait flashé, elle semblait l'apprécier et comme par hasard, Paul s'était retrouvé dans la même chambre qu'elle avec une autre fille. Il n'avait pas réussi à dormir, il l'avait regardée dans la pénombre, avait hésité puis le cœur battant, il avait baisé délicatement sa joue. Elle avait sursauté. Paul avait soudain vu la peur sur son visage, il s'était vu chassé d'un geste, – du paradis. Il s'était aussitôt rendu compte qu'il n'aurait pas dû; pris en flagrant délit, il avait dit «pardon» et fui vers son lit en poussant un petit cri enfantin.

Il avait pleuré, redoutant le lendemain le jugement du directeur qu'il appréciait beaucoup. Au matin, en effet son regard l'avait croisé, percé en plein cœur. Le directeur et un autre formateur étaient là. Ils avaient cherché à comprendre. Ils avaient compris. Et quand Paul, à la fin avait dit son vœu sincère d'être plus tard éducateur, le directeur avait dit sans blague : « Chapeau bas ».

Paul avait refait un stage et obtenu son diplôme. C'est ainsi qu'il avait travaillé dans cette colonie qui l'avait fait douter de sa vocation. En congé il avait alors découvert Le Colosse de Maroussi acheté comme par hasard, Henry Miller lui avait montré le chemin de la clé des champs. Le voyage !

Bousculé dans ses certitudes face à son orientation professionnelle, angoissé par l'ambiance familiale et les proportions de son inclination pour sa petite sœur, il avait pris son élan pour se rendre en Grèce !

Peu après son retour il trouvait un appartement à Angers et tournait une page importante de sa vie, l'accès à l'autonomie !

En repensant à tout cela, Paul ne regrettait rien, cette période d'animation avait aussi été très stimulante, il était alors dans un esprit d'ouverture. Il avait rencontré des jeunes de banlieue qui n'étaient pas des voyous. Grâce à eux, il s'était plus ouvert au rap, au hip-hop. Et pour les banlieusards perdus (les « loosers »), il avait écrit un texte intitulé « Rap Air » qui aurait pu convenir aux deux « charlestowniens », surtout au grand garçon qui lui avait lancé un « Rimbaud réincarné ! »



Quel est ce visage d'enfant

au front haut, au sourcil intelligent

Eh c'est Rimbaud, mon pote, c'est un pro

un pro de la po

Easy, boy, easy

Mister Rimbaud n'a que 17 ans

Yeah, boy, un génie de la po

Ainsi commençait ce texte à slamer (voir Annexe 1). Pour donner à la jeunesse courage et espoir, Paul y racontait la vie d'Arthur dans les grandes lignes, l'enfer qu'il avait vécu. Il présentait Rimbaud comme un précurseur de leurs revendications, « de la parole qui se fait action ». Il déclarait à la fin : «Je suis le rappeur Rimbaud/ Je suis au Paradis/...»

Paul ne connaissait pas alors Jack Kerouac, l'auteur de On the road (Sur la route, le livre de toute une génération), l'américain de la Beat Génération qui, tous, voyaient Rimbaud comme un frère. Jack Kerouac avait en effet écrit en plus d'une biographie du poète, un poème libre et étiré sur la vie de Rimbaud, bel hommage au frère d'outre-Atlantique. Pour dire l'importance du poète dans sa trajectoire, Jack avait déclaré : « Rimbaud m’a tapé sur le crâne avec une pierre ! »

Paul n'avait-il pas été tapé sur le crâne par Rimbaud ? Pire, ne serait-il pas devenu par lui – et encore plus par Arthur Belpomme – un « frappé » ? Ce qui finalement l'avait entraîné sur la route ?... Sur les traces du frère mythique ?

En tout cas, il était frappant que dans son texte datant de 1999, et qui ne ressemblait à aucun hommage au poète de Charleville, il parlait à la fin en son nom en endossant le « Je ». « Je suis le rappeur Rimbaud. »

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

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