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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 12)

XII



OÙ PAUL CHERCHANT LA TOMBE DE RIMBAUD RENCONTRE UNE JULIETTE

 

 

Paul était décidé à se rendre sur la tombe d'Arthur. Chez lui, il avait vu sur internet un jeune "roots" s'agenouiller et se courber jusqu'à terre, mains jointes, après avoir chanté une chanson à la guitare. Grand bien lui fasse ! Cela n'avait rien d'inspirant pour lui. Il ne pouvait aduler.

L'originalité du pèlerinage de Paul résidait aussi davantage dans le fait qu'il y allait – sur cette tombe comme les autres tombes et pas comme les autres tombes, d'un homme comme tous les hommes et pas comme tous les hommes – le coeur assez léger et insouciant. Ce qui contrastait fort avec un autre pèlerinage mortuaire dont Paul avait souvenir et que l'on a déjà évoqué, mais dont le rappel s'impose.

Voici plus de dix ans, il avait visité la tombe de Gérard de Nerval au Père-Lachaise à Paris. Là, il avait déposé une rose rouge et – preuve que le poète était vivant – il avait rencontré à sa grande surprise et grande joie un jeune fan brésilien auquel il avait offert son exemplaire illustré de La Main enchantée.

Ce souvenirétait sécurisant. Il avait alors prévu de faire cette visite rimbaldienne dans la foulée de son voyage consacré à Gérard, la vie en avait décidé autrement.

Mais Paul était enfin à Charleville-Mézières. Il n'aurait pas cru devoir aller sur sa tombe – il avait laissé tombé à vrai dire – si le travail achevé de sa fiction Passion Rimbaud ou les mystères d'Arthur et de son extension purement documentaire – détail omis et signifiant – ne l'avait mis au pied du mur.

Comment aurait-il pu honnêtement publier un roman sur Rimbaud, sur lequel tout et n'importe quoi semblait avoir été dit, sans aller, on aura beau dire... dans sa ville élue ? Oui, au moins aller à Charleville! (Est-ce par raccourci ? – il disait toujours « Charleville » !) Et à Roche...

Ce que craignait Paul en venant en Ardennes, c'était que sa virée enclenche une folie pour lui: celle d'aller en Éthiopie.

Mais sa « Bien-Aimée intérieure » – une douce folie cela – disons son Guide intérieur lui avait seulement permis d'aller à Charleville, du moins dans les Ardennes, jusqu'à la Belgique, l'Europe s'il le fallait, – mais pas l'Orient, pas le désert. Surtout pas. Trop dur, trop douloureux.

 

Alors le voilà, "Petit-Poucet rêveur" dans sa bohème mortuaire.

Paul avait regardé auparavant un plan de la ville sur un panneau tout à côté du Musée Rimbaud. Il devait traverser la place Ducale, poursuivre dans la grande rue axiale et tourner quelque part à droite, rue Bourbon, pour s'engager vers des cités peu reluisantes. C'était quelque part derrière.

Perdu à l'embouchure de la rue Bérégovoy et à l'entrée de la rue Jean Jaurès qui lui était perpendiculaire, il demanda à une grande jeune femme lui paraissant jolie – la cause était entendue sur son choix – comment aller au cimetière.

  • Au cimetière Rimbaud?

Paul tilta sur l'expression de la princesse d'Orient et rit.

  • Le cimetière où il est enterré.

Elle lui indiqua la rue en face.

  • Il faut prendre à droite.

  • Oui...

  • Après, il faut prendre à gauche...

  • Oui... Euh... Vous pouvez répéter ? »

Ses yeux avaient quelque chose qui attiraient Paul, retenaient une bonne partie de son attention. Il se trouvait comme bercé par Shéhérazade.

« Les paroles coulent bien, le courant passe bien, l'atmosphère est détendue. Elle est belle, je suis beau... Parfait. Pouvais-je tomber mieux ? » pensa Paul sous le charme de ce moment de grâce.

Paul n'aurait trop su dire comment cela se fit – peut-être parce qu'elle lui dit qu'elle se rendait à un cours de danse – il l'avait accompagnée jusqu'à la prochaine intersection.

  • T'es un poète ?

Probable que ce fut le déclencheur. Paul était stupéfait alors qu'il n'y avait, en toute logique, pas lieu de l'être. Quel genre d'individu va sur la tombe du poète, hein ? Et en plus, des cheveux longs...

  • Euh... oui, un peu...

  • Modeste, en plus...

Paul baissa la tête et haussa les épaules.

  • Tu t'appelles comment ?

  • Paul.

  • Enchantée, Paul.

  • Et toi ?

  • Juliette.

  • Juliette... Enchanté Juliette. T'es ardennaise ?

  • Oui. Et toi, t'es d'où?

  • Du pays de Joachim du Bellay. De la douceur angevine!

  • Alors, comme ça tu es venu d'Anjou sur les traces de Rimbaud.

  • Oui, c'était le moment pour moi.

  • Mmmh-mmmh...

Paul était complètement à l'aise avec elle. À un moment de leur échange, il avait tourné la tête et l'avait regardé intensément.

  • T'as de beaux yeux.

  • Merci.

C'est vrai, il ne faisait pas dans l'original pour un poète. Cependant, ce compliment le mit en moyen de percer ce qu'il y avait de si particulier dans ses yeux bleus clairs.

  • Oh ! t'as... une tache brune dans l'oeil !

  • Oui.

  • C'est beau. J'ai jamais vu ça.

  • C'est de naissance.

T'emballes pas, poète! Mais, si... le poète s'emballe. Il l'emballerait bien... Il ne savait même plus si, dans la foulée, il ne lui aurait pas dit par hasard : « T'es belle ». Il apprit par la suite qu'elle faisait de la danse moderne.

  • C'est là que je tourne, et que tu vas, toi, t'en retourner pour voir Rimbaud.

« Merde, je l'avais oublié, celui-là... »

  • Oui, alors, je dois aller à droite, après tout droit, et enfin à gauche.

  • C'est cela ! T'as tout compris.

  • Euh...

  • Oui ?

  • Accepterais-tu de prendre plus tard un verre avec moi.

  • Pourquoi pas ! fit-elle, la mine coquine, dans un mouvement de tête dégagé. Je ne peux pas là, à cause de la danse. Et après, j'ai quelque chose à faire. Mais disons...

  • Demain ?

  • Demain... Demain... Non. Hélas, je ne peux ni demain, ni après-demain... En fait (Paul, cœur battant, était à sa tension maximale – se jouait-elle de lui ?), je vais avoir une semaine très chargée. Je pourrais dans sept jours.

« Sept jours? Oh mamma mia ! »

  • C'est à dire... On est quel jour ? demanda Paul, perdu, éperdu...

Elle rit.

  • Mardi, je crois.

  • Donc mardi prochain ?

  • Mmmh-mmmh.

  • Où et à quelle heure ?

  • T'as pas de téléphone portable ?

  • Non.

  • Eh bien, disons mardi prochain, 19 h , sur la place Ducale.

  • C'est grand la place Ducale.

  • Eh bien, on va dire à la fontaine.

  • D'accord. Ça marche.

  • Bon, je crois que c'est là qu'on se quitte.

Paul se retint de lui faire la bise. Ne pas aller trop vite en besogne.

  • Oui... répondit-il sur un ton englobant "dommage" et "mais on va se revoir".

  • Alors, au revoir.

  • Au revoir...

Paul la voyait de dos à présent. Il jeta un regard furtif sur sa jambe que dévoilait une trop courte longueur de robe pour le priver de ce spectacle charmant et fuyant.

Petite panique : elle ne lui dit pas « à mardi prochain », ou « dans sept jours », ce qui l'aurait rassuré sur le sérieux du rendez-vous.

  • Alors à demain, hein... euh... à mardi prochain, 19h, à la fontaine de la Place Ducale ! lança Paul avant qu'elle ne disparaisse.

  • Oui, répondit-elle, en jetant un sourire par-dessus la tête, après qu'il eût vu ses épaules secouées par le rire.

Et elle s'élança vers un endroit inconnu de Paul et où il aurait aimé la suivre. La voir danser ! – perspective qu'il aurait bien échangée – traître, lâche, inconstant – contre son programme: aller voir danser la mort... Mais l'heure avait sonné d'aller rendre visite au « mort vivant ». Dans le sens noble.

Il traversa la route. Il fit un grand « Ouah! » Il les égrenait, les « ouah », en marchant. « Oh la beauté !», « Elle a des yeux ! », « J'ai jamais vu ça. » ; « C'est elle que je devais rencontrer... », « Mais sept jours à attendre ? Mama mia ! », « Soit ! Je vais en profiter pour faire mon programme complet. » – «Ce sera mon dessert !...»

Rasséréné, Paul se dirigea selon les indications de la grande et belle Juliette, mais il eût besoin de demander confirmation à plusieurs femmes. Troublé il avait mal retenu l'information à vrai dire, ou voulait s'assurer que...

Se rassurer?...

 

 

 

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