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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 13)

 XIII

 

OÙ PAUL TOMBE SUR LA TOMBE DE RIMBAUD



Je suis vraiment d'outre-tombe

Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer

 

 

 

Voyant les bâtiments « HLM », Paul contourna l'un d'eux, il redemanda la route, il était tout près.

Une assez vieille dame qu'il croisa à la dernière bifurcation avant de passer sous un porche de cité lui fit un beau sourire. Comme si elle voyait... Quoi ? Qu'il allait voir Rimbaud ? Qu'il était amoureux ? Autre chose ? Que savait-elle ? Il lui sourit.

Paul, maintenant, était en face du cimetière. Il n'avait plus qu'à traverser la route.

«Ce n'est pas le moment de me faire écraser ! » se dit-il en traversant à l'aveuglette, une voiture manquant de lui « tailler un short »...

« Pas de précipitation. Tu vas y arriver au pied d'Arthur...»

Il faut dire qu'il avait pressé le pas. La faute à Juliette qui lui avait dit qu'elle n'était pas sûre que le cimetière soit encore ouvert. Mais comme elle avait ajouté : il y en a qui ne s'arrêtent pas à ça et passent par-dessus le mur...

En toute honnêteté, Paul n'était pas chaud pour entrer par infraction. Il n'avait pas besoin de jouer le rien-ne-m'arrête.

« Peut-être le ferai-je, peut-être pas. Au pire je le ferai demain. »

Plus besoin de se poser la question. C'était ouvert. Ouf !

« Voyons, où il se trouve, Arthur ?»

Paul entra.

« Ah! quand même! Tout ça comme tombes. Laisse tomber! Dis, j'aurais bien de la chance de tomber sur la bonne dans ce champ de pierres tombales. »

Il ne lui vint pas à l'idée que la tombe du poète mythique (plus qu'enfant chéri de la ville), était forcément devenue motif touristique, et était donc logiquement indiquée par la commune...

Paul avança. Il vit une voiture garée au fond de l'allée où il s'était engagé à pas rapides sans cesse entrecoupés d'arrêts.

Paul cherchait un nom, – le nom : " RIMBAUD ".

Nulle part sur toutes les tombes à sa gauche.

Soudain, il s'arrêta dans son élan, semble-t-il à la vue d'une pancarte lui barrant le passage dans sa ligne de marche. Comme s'il ne pouvait aller plus loin. Il ne lit même pas le panneau. Il tourne la tête vers la gauche. Et il lit : « Arthur RIMBAUD 1854- 1891, décédé à 37 ans, Priez pour lui. »

Le mot «commotion» pourrait traduire ce qui se passa en Paul.

Il jeta un coup d'oeil sur la tombe à gauche : « Vitalie RIMBAUD, décédée à 17 ans, priez pour elle », puis un autre plus rapide sur leur mère gisant à leur pied avant de revenir enfin à celle d'Arthur, – inscrivant ainsi un triangle invisible dans l'espace.

Soudain quelque chose l'étreignit, lui serra la gorge, monta à ses yeux. Un flot. Il s'effondra dans son corps et dans son âme.

Qui pleurait-il ? Que pleurait Paul ? Une partie de lui-même qui avait 37 ans ? Arthur et tout ce qu'il représentait pour lui ? Était-ce le poids, la réalisation d'un désir différé de dix ans qui se libérait ?

Curieusement, c'était comme si il rencontrait son âme. Pas moyen de décrocher. Il resta debout un long moment, les yeux fixés à l'endroit du nom chéri, s’embrumant petit à petit.

Paul alla pleurer sur le banc, en faisant attention à ne pas être vu par la femme venue voir et entretenir la tombe d'un cher disparu.

« Mon Dieu ! Je n'ai jamais pleuré comme ça, même pour mon grand-père ! Je ne suis d'ailleurs jamais retourné sur sa tombe depuis qu'on l'a enterré quand j'étais enfant. »

Était-ce pour cacher sa « honte » qu'il alla s'accroupir derrière la stèle tombale ? Non, il eut besoin de se blottir contre elle comme contre un arbre tapi de mousse. Tout près, tout près...

Pas d'apparition, pas de voix, pas de rencontre, sauf avec lui-même...

«Le Ciel tombé sur la tête» prenait une autre dimension.

Au moins cinq minutes passèrent, Paul mesurait son ridicule et il s'en foutait. Le soleil s'en tapait. Il était comme le soleil tapant sa tête découverte.

Ne lui viendrait-il pas maintenant une vision auditive, un délire, une hallucination, une illumination ? Un échange entre Arthur et Dieu ?

 

DIEU : – Tu es mort catholique. Tu renaîtras TJ.

ARTHUR: – Quoi ? Je renaîtrais Tous les Jours ?

  • Non, non, tu renaîtras Témoin de Jéhovah, pour ainsi dire. Des intégristes dont l'acte de naissance, la fondation par Charles Taze Russel en Amérique, date de 1873, l'année où tu écrivis ta Saison en enfer. Tu naîtras quelque cent ans après ce "carnet de damné" et de la rédemption, par ta future mère et ton futur père Témoins de Jéhovah.

  • Oh! ce nom ! Pouah ! J'en ai la nausée. Moi qui détestait le Hugo qui employait le mot Jéhovah à tire-larigot, je vais en manger, c'est ça, et ça m'en sortira des narines. Pourquoi ? Suis-je maudis même outre-tombe ?

  • Non, tu es béni, Arthur, car tu renaîtras poète, artiste, conteur. Toi qui disais, tout chagrin : « Une belle gloire de conteur emporté. » Mais il te faudra à nouveau repasser par la religion occidentale sous une forme nouvelle, moderne.

  • Il faut être absolument moderne, ah !

  • On dira que c'est une secte tant ses enseignements et ses enseignants, ses bergers, seront fanatiques, comme les musulmans que tu as rencontré en Ogadine. Mais ce sera bien autre chose.

  • Oh mon Dieu, est-ce cela que tu me demandes, de me réincarner, de souffrir à nouveau ? N'ai-je pas rempli ma mission ? N'ai-je pas assez subi en mon corps et en mon âme ? N'ai-je pas assez enduré le désert de toute part jusqu'à mordre aux queues de scorpions? Tu le veux ? Que je vive une nouvelle « crucifixion » ?

  • Pour l'Amour de Moi. Pour l'humanité, l'Âme...

  • Étais-je né pour autre chose de ma mère Vitalie et de mon père Frédéric ? Quelle autre gloire maintenant puis-je demander que celle qui m'a été louée ? Celle qui incombe à mon nom et qui te fait honneur, mais que je n'ai pas demandé? Ne suis-je pas maintenant un dieu comme ceux du Mont Olympe pour beaucoup et un diable pour beaucoup d'autres ? Adulé et méprisé, dois-je emporter encore cela dans ma tombe ? Et que dis-tu ? « Tu renaîtras Témoin de Jéhovah? » Ah! Ah! Laisse-moi chialer et rire. Tu seras hyène, etc. ! Tu seras hyène, etc. !... Oui, fais-moi hyène, ô Dieu ! Hyène d'Abyssinie... que dis-je? Hyène d'Éthiopie! Je pourrai rire, rire, rire. Charognard ! Non, je ne veux être témoin de rien sur cette Terre... et surtout pas de ce Jéhovah de mes deux !

  • Arthur... Arthur... Accepterais-tu de renaître sous un autre nom en mon Nom ? Je te le demande, je te prie...

  • Lequel, dis-moi ?

  • Paul.

  • Paul ! Ha ! Ha ! Ho ! Ho ! Hi ! Hi ! "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles! Je dirai en quelques jours vos naissances latentes... A, noir corset velu des mouches éclatantes, qui bombinent autour des puanteurs cruelles ! I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles dans la colère ou les ivresses pénitentes !" AÏE!AÏE!AÏE! Paul ! PAUL ! J'y crois pas ! Et je vais rencontrer Arthur qui me battra comme un chien, et je tomberai dans le caniveau, la face au sol, dans la boue, parmi les rats ! Merci. Alleluiah ! ALLELUIAH !... Alle... Allez... J'accepte. Que le Ciel soit témoin...

  • Le Ciel t'aidera. Je serai avec toi et tu seras avec moi.

  • Ainsi soit-il.

 

Cela n'était-il pas assez pour qu'à la suite Paul revoit et contemple sa propre Saison en enfer : Har-Magguéddon, oeuvre écrite à l'âge de 23 ans, plus d'un an après qu'il eut quitté les Témoins de Jéhovah ?

Son oeuvre dont il avait dit dans une lettre à un vieux poète en 1996 que c'était « l'apocalypse poétique contre l'apocalypse de Jéhovah », voilà qu'elle défile dans sa tête comme si il la lisait à Arthur, là, contre la mousse... Ou plutôt comme s'il l'écrivait sur le ciel de Charleville avec Arthur pour témoin.

(Voir en Annexe 3 Har-Marguédon)

 

...Un bruit de moteur: la dame qui s'en va. Un bruit de moteur: le gardien qui s'en vient. Il s'arrête au niveau de Paul semblant endormi, la bouche entrouverte, presque souriante « comme sourirait un enfant malade », le nez coulant, des larmes sur sa joue ensoleillée.

Le gardien avait failli ne pas le voir, à moitié caché dans sa planque tombale.

Je vais fermer les portes, monsieur.

La voix porte depuis sa Renaut 5 blanche rayée de rouge.

Paul ne le voit pas, mais devine un sourire.

« Oui, je suis là, et si je pouvais dormir, là... » pense-t-il.

Oui, oui ! répond-t-il au gardien après bâillement.

Il sort son grand mouchoir en tissu déjà tout sale et le remplit de sa morve d'amour. Requiem pour un mouchoir. Il serait bon à jeter. Mais il le met dans une petite poche latérale de son sac à dos noir.

Le gardien s'est arrêté face au bureau, à l'entrée.

Dégourdi, Paul marche à présent, d'un pas rapide, sans détourner la tête, finissant de sécher ses larmes au vent, la tête droite. Adieu Arthur.

Peut-être pas. Il est tout le temps disponible, lui.

Paul se met à rire à la sortie en voyant l'indication devant mener à la tombe d'Arthur.

« Quand même, j'ai été bien naïf sur ce coup là : penser que la tombe de Rimbaud serait introuvable. »

Il rit encore au souvenir de la fin de sa Saisondont sa « vision » avait ôté tout ce qui n'appartenait pas au corps de la crise : des poèmes, des lettres, des textes en prose cités intégralement et surtout le long épilogue plein de recul, de philosophie et d'humour. La fin était (attention à la montée de chaleur) :

« Vite! Une chatte!

Adieu, Harmaguédon –

Salut, nichons! »

 

Heureusement, Paul, avait – comme du bizarre – de l'humour à gogo (certes particulier...)

 

Son regard s'agrandit, s'éclaircit :

« Enfin! J'ai été sur la tombe de Rimbaud. Voilà une bonne chose de faite. Je n'y reviendrai plus. Du moins, ce n'est plus nécessaire.»

Paul était libéré. Léger. Il pouvait penser à loisir à cette nouvelle vision, ce nouveau nom qui s'afficha, s'inscrivit en lettres dansantes devant lui : JULIETTE.

 

Direction camping.

« Quelle émotion! Si je m'y attendais. Une bonne douche après ça, cela ne peut que me faire du bien. »

En arpentant les pavés de Charleville, Paul se prit à s'inquiéter :

« Et si elle ne venait pas, la belle de juin? Si elle m'avait joué un tour ? »

Le souvenir d'Arthur et sa Psuké lui revint. Toute proportion gardée, Paul n'avait aucune raison valable de s'inquiéter.

Toute son appréhension était basée sur un mauvais souvenir qui ne lui appartenait pas. Il l'avait lu. Témoignage d'un de ceux qui avaient connu Arthur.

« Juliette sera-t-elle au rendez-vous ? se dit-il. Paul, il faut y croire. Tu n'es pas Arthur. Elle n'est pas Psuké. Et puis, ce n'est certainement pas un hasard si c'est elle qui pour ainsi dire t'a conduit au "cimetière de Rimbaud" ».

«Je suis vraiment d'outre-tombe»...

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