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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 14)

XIV

 

OÙ PAUL REVIENT PLACE DUCALE

 

 

Était-ce l'effet thérapeutique de ce qu'il avait vécu, semblant comme un passage initiatique gardé par un gardon... euh, un dragon ? Paul n'arrivait pas à y réfléchir, à s'interroger comme on pourrait le penser, à la lumière de ce qui avait précédé et à celle du Commissaire Belpomme qui l'avait baptisé, couronné « Fils spirituel de Rimbaud ».

Il était sur un petit nuage, place Ducale. Près de la fontaine. Jaillissement, bruissement, brasillement. Le soleil couchant parant la Place de ses plus belles lumières.

Un avant-goût de Juliette ?

Non, ce n'est pas ce soir qu'elle viendra. Ni après demain, mais dans sept jours – mû pour et par la Perfection.

Paul prend le soleil.

Fils spirituel de Rimbaud ? En tout cas, il se sentait, là, tout comme lui Fils du soleil !

Sa tête devint Plume, son cœur devint feuille – ou tous ensemble tête et cœur – et âme en corps – âme-corps, – toutes gorgées d'une sève divine. Et il « écrivit », enfin sa « plume » céleste sembla le faire pour lui, tant il se sentit guidé, comme s'il était juste un outil :

 

« Je suis bien à Charleville. Elle me paraît bien belle. La cloche sonne sous un ciel pervenche. Elle donne sa mélodie, différente à chaque heure. Les pigeons se rengorgent. La fraternité humaine est sur la place Ducale carrée aux multiples arcades monastiques, avec la fontaine jaillissante en son centre dans un apaisant chuchotis, avec son vieux manège, sa bière coulant dans les verres, ses vélos librement conduits par des filles et garçons en fleur. La vie.

Je me crois au paradis, donc j'y suis... Ou bien, je contemple maintenant ma Saison en enfer-paradis, puisque j'ai été rendu au sol...

Bonjour Charleville ! Charleville-Mézières ! Mon amour...

Je suis son dingo. Je me crois sa réincarnation.

Non, je sais. Les Croyances, c'est derrière pour moi. Oh ! Là ! Là ! Que d'amours splendides j'ai rêvé ! Là, je vois, je sens l'action de la Foi – contradiction sublime et impalpable: Foi, Croyances. La Vérité existe. Je le sais. Elle n'est dans aucun culte, aucune confession. Elle est en moi, en Moi. En toi, en tous... Mais faut-il avoir les yeux ouverts sur l'Esprit, l'oreille interne toute en antenne. Humain, Humus, HUMILITÉ... SERVICE. DON DE SOI. AMOUR. PRÉSENT accepté dans l'enrichissement de l'abeille butinant les fleurs du passé et de l'avenir, mais ne s'y enfermant pas. MIEL DIVIN; NECTAR PERSONNEL ET UNIVERSEL. Plus d'Illusions, mais un immense amour en marche et une océane soif et faim de vivre. LIBRE. DAUPHIN de la place Ducale que je peux transformer en place buccale dans tous les sens. Des billets – d'accord – mais à leur donner une valeur d'âme. Des billets d'amour à papillonner ici et là, bleus, blancs, bruns, jaunes, violets, mouchetés, rayés, irisés, arabesques, mosaïques – telle est la Loi...

LUMIÈRE ! Lumière née du gouffre, ténèbres. Lumière folle, amoureuse, bandante, jouissance pure. Chant, musique, Verbe divin dans l'humain. Centre d'où s'épanouissent mille rayons. REGARDS partagés, plongés dans la beauté de la lumière en nous. Manèges spirituels sur des chevaux, des papillons psychopompes. Corps sacré par et dans sa croix où circulent des sèves descendantes et montantes, à l'horizontale, à la verticale, volutes, spirales de volupté transcendantale et immanente. ÉTOILES faisant signe aux étoiles, PLANÈTES aux planètes, LUNE au SOLEIL, SOLEIL à la LUNE ; le Tout dans un grand vivier cosmogonique et intergalactique baisant la terre dans un gala lumineux, léchant, caressant les galets de la mer et bénissant l'EAU, le FEU, l'AIR, la TERRE et ses quatre orientations d'improbable hasard. Le SENS retrouvé, les sens resensibilisés par de gauloises alouettes – alauda – les coeurs sempervirents tels le chêne vert. L'Esprit-Source donnant sa semoule aux raisins des rêves. ÉTERNITÉ, là, dans la seconde devenue UN. Dans toute l'étendue. OISEAUX, messagers de lumière et de liberté, quintessence du vivre instantané et spontané, à vous et vos chants et cris spatiaux, mélodie de toi le merle, de toi le rouge-gorge – mais aussi de toi le pinson qui parle dans les jardins – un rien sempiternel – tu es l'appel à la vie, son rappel, et c'est par une de tes plumes que je rends grâce au ciel de m'avoir donné une inspiration. HARMONIE, tel est ton souffle électoral et sympathique.

C'est sympa, la place Buccale... »

 

 

Comme tiré de sa toute dernière Illumination « improvisée », content du zeste d'humour final, il entend soudain :

  • Ah ! Paul !

Il voit le grand chanteur dégingandé. Allègre, toujours décontracté, il s'avance vers lui. Il est heureux de le voir.

  • Alors qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui ?

  • J'ai été sur la tombe de Rimbaud.

  • T'es à fond dans Rimbaud, toi !

  • Ouais.

  • Alors qu'est-ce que ça t'as fait ?

  • Eh bien...

  • Quoi...

  • Ça m'a donné une grande émotion.

  • T'as pleuré ?

Paul lui fait un signe de la tête.

  • T'as pleuré ? ?

  • Oui...

Bruit d'eau.

  • Et alors, elle est où sa tombe ?

  • Où ça ? Bah! À Charleville !

  • Il est enterré ici ?

  • Bah oui !

  • Eh ! J'peux pas deviner, moi. J'savais pas...

Silence.

« Putain, j'hallucine », se dit Paul.

  • Toi qui connais sa vie... relance le gars. Je ne sais pas grand chose, moi. Je sais qu'il a été en Afrique. Dis-moi, c'est vrai qu'il est devenu musulman, là-bas ?

Paul perçut-il que son jeune interlocuteur était musulman ? Il répondit :

  • Il y a de grandes chances à mon avis.

  • Ah bon ? Pourquoi ? Ça m'intéresse.

  • Il avait commandé le Coran.

  • Qu'est-ce que tu m'racontes !

  • Si, il a commandé à sa mère le Coran, dans sa meilleure traduction.

  • Ah. Et alors ?

  • On dit qu'il aurait même donné des conférences sur le Coran, à Harar ou Aden.

  • C'est où ça?

  • Aden, en Arabie. Harar, en Éthiopie. Avant ça s'appelait l'Abyssinie.

     

    Le grand resta silencieux. Tout ce que dit Paul était vrai, et pourtant on ne pouvait en conclure que Rimbaud était devenu stricto sensu musulman. Il le savait comme Arthur Belpomme: Rimbaud se fondait à la culture des lieux. Était-il à Aden, il se faisait l'âme musulmane, était-il au Harar, il se faisait l'âme « catholico-orthodoxe ». Avant lui, un Gérard de Nerval au Caire avait endossé le costume musulman sans pour autant le devenir. Lorsque Arthur s'était écrié sur son lit de mort: « Allah kérim », ne fallait-il pas traduire « Allah » par « Dieu », comme l'avait fait sa sœur Isabelle ? Comment les catholiques orthodoxes d'Abyssinie appelaient-ils Dieu ? On ne sait pas, mais certainement pas « Jéhovah ».

  • Tu veux un Snickers ? proposa le jeune en mettant un terme au silence méditatif.

  • Hein ?

  • Un Snickers.

  • Quoi?

  • Un Snn...ickers.

  • Un dikoeurse ?

  • Un Snikers ! Tu sais ce que c'est quand même...

Il sortit une barre et la brandit devant l' « Iroquois » comme une baguette magique.

  • Ah! Un Snikers !

Le gars mit un genou à terre et le lui tendit comme un appât.

  • Tu le veux ?

  • Pourquoi pas.

  • Tu le veux ou tu le veux pas ?

  • Je le veux.

  • Donne-moi une bonne raison de te le donner.

Paul ne répondit pas à sa provocation et se contenta d'un sourire en fixant ses yeux.

  • Dis-moi, t'es un gars bien ou un gars pas bien ?

  • D'après toi ? lui répondit Paul, le perçant de son regard toujours souriant.

Le gars ne répondit pas. Puis le verdict tomba :

Bon, j'le garde pour ma femme.

Paul eut à peine le temps de dire « t'as raison » qu'il était parti le pas leste, presque dansant sur la place Ducale.

Paul le regarda s'éloigner, faire des mouvements théâtraux dans une rue, puis s'éclipser.

« C'est Rimbaud ado ! Enfin, en plus joyeux. Plus gai luron», pensa-t-il.

Mais Arthur ne fut-il pas dans une telle humeur par moment ? N'était-il, comme ce jeune et comme Paul, tantôt triste, tantôt gai ? Ne partageait-il pas avec eux une bipolarité plus forte que la moyenne ?

 

Paul songea à Robert ou "Bébert" de Rainbow pour Rimbaud de Jean Teuléqui avait failli devenir son héros préféré. Un moment, il rit franchement à pleine gorge. Le passage du scorpion dans le cercle qui ne pouvait franchir la ligne sans se piquer et remplacé par une mouche qui volait aussitôt était irrésistible. Une poésie parfois renversante: Isabelle chevauchant Robert, « Leurs deux sexes bafouillent un fouillis d'ombres tendres et tièdes ». Les portraits de voyage brossés en dehors des strophes du duo déjanté étaient souvent très beaux : par exemple celui du visage d'amour dessiné au creux de la main d'une femme ayant perdu son bébé...

Paul se souvint aussi du Bateau ivre crié de l'intérieur d'une armoire, le corps de Robert tatoué de phrases de Rimbaud dont la plus marquante est celle de sa lèvre inférieure: « Je est un autre ». Le questionnement des parents : Quelle est l'erreur qu'on a fait pour qu'il soit comme ça ? La mère va jusqu'à lire Rimbaud qu'elle ne comprend pas, sauf les lettres.

Mais, assis à côté de la fontaine alors que le héros de Jean Teulé n'avait connu qu'une statue à la place, Paul repensa à la question de son ado : « Rimbaud était-il musulman ? » Et il revit Robert, qui vient de « Robin », « rouge » (le mot anglais robin signifiant « rouge-gorge »), se promener au Caire en djellaba.

« Tu veux un Snickers ? » crut entendre Paul.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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