Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 3)

III

 

OÙ PAUL SE RAPPROCHE SÉRIEUSEMENT DE SA DESTINATION

 

 

Le voyage commençait à se faire un peu long. Heureusement, le covoitureur de Paul était maintenant Mister Sympa ! Tellement qu'il avait laissé l'autre passager, un mauritanien, devant sa cité.

  • Livraison à domicile ! avait-il lancé, en parfait gentilhomme.

Il assurait tout le temps au mieux, parfois faisait dix kilomètres de plus pour emmener ses passagers à leur destination. Vraiment généreux de sa part. Paul qui se figurait que les ardennais étaient des brutes épaisses ! N'était-ce pas une exception ? Il était heureux de l'avoir rencontré. La suite serait peut-être plus rude. Il verrait bien.

Une fois seul avec le conducteur, un rapport plus intime ne tarda pas à s'établir, d'autant plus que la nuit s'annonçait. Il s'appelait Jean-Michel. Il allait rejoindre sa compagne. Retour dès le lendemain.

  • Tu vas faire quo à Charleville ?

  • Je vais sur les traces de Rimbaud.

Il ne dit rien.

« Décidément... Qu'est-ce qu'ils ont avec leur poète, ces ardennais ! ? » pensa Paul.

La voiture, roulant à vitesse de croisière sur une belle nationale devenue départementale, longeait des champs à perte de vue, ponctués d'arbres ou de bosquets. Tout était en courbes, pentes, sinuosités accentuées de lignes longitudinales et parallèles d'une douceur féminine que Paul n'avait vu nulle part ailleurs. Le jaune, le brun, le vert s'agençaient par plateaux et touches d'une grâce infinie, – nudité végétale caressée par le vent et le soleil amoureux de la terre. Du blé, du blé, du blé. Il repensa à Sensation. Le souvenir d'une interprétation qu'il en avait fait, une ballade lyrique à la guitare, fit monter l'émotion. Il aurait aimé sortir au grand air pour la parachever, et la chanter sur sa guitare qui l'accompagnait pendant ce voyage.

  • Moi, je n'ai jamais été attiré par la poésie. À Charleville, tout le monde connaît un peu l'histoire de Rimbaud, mais il intéresse peu, finit par lui dire Jean-Michel.

« Mais il intéresse peu ? C'est bien ce qu'il me semble avoir compris » se dit Paul.

Il lui revint en mémoire une page de la petite soeur d'Arthur, Isabelle, où elle disait combien peu était appréciée la poésie «ici», c'est à dire là-bas, le pays duquel ils se rapprochaient à une allure de 90 kilomètres heure, là où dans la tête de Paul devait commencer le territoire du Rimbaud incompris, voire maudit.

Cinq ans après le décès de son frère, Isabelle avait écrit en 1896 à celui qui deviendra son mari et un rimbaldien fort contesté, Paterne Berrichon, mais qui présentement lui demandait de faire une conférence sur son frère poète: « L'idée d'une conférence m'a donné le frisson. Je crois que vous vous exposeriez à une cruelle déception. Les gens de Charleville sont grincheux comme leur climat, froids et traîtres comme le brouillard de la Meuse, égoïstes surtout. L'Ardennais est, par tempérament, ennemi de la poésie non sentie même par ceux qui se piquent de la comprendre. »

Il ne manquerait plus que Rimbaud ait aussi laissé des traces de voyou, d'ivrogne, d'immoral !

Là, ils étaient en plein champs. Rase campagne. Ça sentait le voyage vers ailleurs... L'horizon n'en finissait pas d'être repoussé par le regard en suspens. Les nuages rarissimes passaient amoureusement au-dessus des Ardennes, une entrecuisse ouverte accueillant les rayons solaires et se laissant aller au passage du vent. Frisson des blés picotés d'amour infini... Rimbaud revenant à pied de Paris, lui, adolescent aux semelles de vent, – ailées. Alléluiah ! Nuits au sein des champs. Étoiles et lune. Fumée de sa pipe.

Paul fut tiré de sa vision par Jean-Michel:

  • Dans ma jeunesse, j'ai beaucoup lu les classiques: Zola, Balzac, et bien d'autres.

  • Et maintenant, tu lis encore ?

  • Oui, un peu. Je lis un roman en ce moment. C'est bizarre, surréaliste. Mais j'aime bien...

  • Ça s'appelle comment ?

  • J'ai oublié.

  • L'auteur aussi ?

  • Non. Pennac.

  • Ah bon ? Daniel Pennac ? Je ne connais de lui que Comme un roman.

Mais Jean-Michel lui résuma un roman qui entraînait dans un univers de rêve. Quelqu'un raconte, l'autre écoute – rien qui ne lui faisait songer à Pennac, du moins à ce qu'il en connaissait: le droit de ne pas lire, de ne pas finir..., ses dix commandements. Et ce récit de lecture éveillait en lui le plus vif intérêt.

  • Je sens que j'aimerai.

 

Le soleil faisait son «au revoir» qui avait le solennel d'un adieu. Paul poétisa: «Que la nature et mon coeur s'émeuvent de ce départ pour l'autre côté du globe Terre.» Il contemplait la bande de bitume, signe ultime de la modernité. Et roule, voiture ! C'était un ruisseau fossile inventé par le génie humain qui l'escortait vers tous les horizons possibles.

Il pensait à Rimbaud pressentant ce changement, cette toile d'asphalte bleu-noir. Ses bruits, ses fumées, ses exhalaisons de traversée. L'haleine routière en voie, en route. Avalant tout, absorbant tout, la nature, le ciel.

Régénératrice, la nuit était là, enveloppante. Maintenant la route devenait une féerie. Le paysage cédait le pas sous les feux des véhicules. Le corps s'ensommeillait et pourtant vibrait d'une vita nova de grillons. Et une poudre de rêve le transformait en géant mystère.

La radio allumée finalisa le sentiment d'être humain, celui d'une immense fraternité. Radio Nostalgie censée être au-rendez-vous.

  • T'aimes bien la chanson française ? demanda Paul.

  • Oui. Mais j'aime un peu tout.

Jean-Michel avait pourtant mis longtemps à trouver une radio qui le satisfasse.

  • J'aime bien, moi aussi, la chanson française. J'en fais moi- même un peu, dit Paul.

  • Ah bon? C'est bien ço.

De nouveau Paul remarquait son accent.

  • Tu fais quel genre de chanson?

  • Moi, je me sens de la lignée des troubadours, en passant par Brassens, Ferré... Je fais des choses simples avec des accords simples. J'écris les paroles et je trouve une musique allant avec.

  • C'est super, ço.

  • J'ai aussi mis en musique certains poèmes de Rimbaud.

  • Ah bon ?

  • Ça ajoute une autre dimension au texte.

  • C'est bien vrai. Moi je préfère.

  • Faut avouer que c'est plus accessible, plus populaire. Et puis, c'est logique. À l'origine, la poésie et le chant ne faisaient qu'Un.

  • Et la musique.

  • Oui. Qui dit chant dit musique.

  • C'est un grand ort de faire des chansons.

  • Oui.

Paul le regardait, ce petit homme chétif, pudique, généreux, prononçant "art" avec un piquant d'ortie.

  • Dites, je viens de remarquer votre accent... Il...

  • Oui, l'accent ardennais. On a un drôle d'accent. Pas très élégant.

  • Je l'aime bien, dit Paul.

Et c'était vrai. Quelque chose le touchait, il n'aurait su dire pourquoi. Un éclair de pensée le frappa: Rimbaud parlait comme ça. Ou plutôtcomme ço.

Les ardennais avaient la langue comprimée dans la gorge. C'est du moins l'impression que ça lui faisait.

 

Ils arrivaient à Charleville-Mézières. Une ville comme une autre. Mais celle de Rimbaud pour moitié...

 

« Enfin arrivé ! » pensa Paul. Il s'était presque attendu à rentrer dans le XIXème siècle. Mais il savait que ce n'était qu'un rêve. La réalité sautait aux yeux avec les cent mille illuminations urbaines et ses multiples feux fixes et mobiles. Pourtant géographiquement, on était bien dans la ville où, du temps d'Arthur, ne circulaient que des carrioles tractées par des chevaux sur des routes de terre battue. Elle était alors éclairée par des réverbères à gaz que chaque jour il fallait allumer comme des bougies. En l'espace de moins de deux siècles le paysage avait été transformé de manière révolutionnaire, bien plus qu'il ne l'avait été entre le Moyen-Age et le XXème siècle.

« Charleville. Qu'est-ce que ça veut dire? Pour Rimbaud, c'est Charlestown, ville natale exécrée. Une ville illuminée à présent par la modernité électrique. N'aurait-il pas plus apprécié sa ville natale aux XXème et XXIème siècle ? » songea Paul.

Il descendit en remerciant chaleureusement son conducteur idéal et lisant la pancarte, il se dit:

  • «Le Mont Olympe» ! Un nom bien fait pour te plaire !...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Rimbaud passion
Publicité
Archives
Publicité