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Rimbaud passion
20 mars 2021

Roman (compo Aube de l'Etoile - version 2021)

 Premier titre de mon album en cours de réalisation: "Rimbaud par "Rimbaud"

écouter Roman ici

 

 

 Sur « Roman »

 

On est en juin 1870, un mois avant le début de la guerre franco-prusse, trois mois avant la chute de l'Empire et six avant les bombardements de Mézières. C'est l'époque de l'insouciance pour Arthur, porteuse d'espérances pour le jeune poète, de sa foi en la poésie (lettre à Théodore de Banville du 24 mai 1870), « touché par le doigt de la Muse », fort d'une première publication début janvier 1870 : Les étrennes des orphelins.

Le sens de tel ou tel

vers prend une couleur différente si on le date du 29 septembre 1870, date notée en bas de l'autographe ou si il a été écrit plus tôt (le mois de juin répété deux fois semble appuyer cette thèse) et que la date n'est que celle d'une copie, l'original ayant été égaré ou gardé pour lui-même puis détruit (en 1871 : en correspondance avec la lettre à Paul Demeny, 10 juin 1871). Mais si la date d'écriture est bien le 29 septembre, ce serait un poème écrit avec une certaine nostalgie de l'avant-guerre, en repensant à un épisode vécu durant l'été (du reste, ce pourrait être juillet ou août, juin a été retenu par choix poétique) et à l'heure où les bombes éclatent, les « cafés éclatants » ont d'autant plus de force et on plus de portée. Le passé et le présent fondus dans un vers !

Donc, nous voilà transportés en été 1870, peut-être en juin. C'est le soir, au Bois d'Amour de Mézières (« une ville qu'on ne trouve pas » - lettre à Georges Izambard, 25 août 1870), ville-caserne, donc en périphérie de Charleville, foyer commercial (« la ville n'est pas loin »). À ne pas confondre avec les Allées de Charleville, constituées de marronniers qu'il évoque dans À la Musique . Arthur et sa bande de potes, dont Ernest Delahaye sans doute, ont plus envie par cette chaleur d'être dehors qu'à l'intérieur de cafés (sans doute ont-ils bu juste avant, à Charleville, au café de l'Univers (qui donne plus de portée à ce vers inédit rapporté par Verlaine : « Et le poète soûl engueulait l'Univers » (ce qui fait écho à sa lettre de Juin 1872 : «Merde à l'Univers […] Je ne maudis pas l'Univers pourtant. »)

La « mauvaise étoile » est Vénus qu'Arthur a pu voir à travers des branches de tilleuls, c'est la première étoile apparaissant . Il faut noter l'ambivalence d'Arthur vis à vis de Vénus symbolisant la déesse de l'Amour qu'il chanta dans  Soleil et chair  et malmena dans Vénus Anadyomène ). Elle est « mauvaise », et en même temps provoque de « doux frissons », « petite et toute blanche », marques d'affection, surtout qu'il est au temps de l'émoi amoureux (« Nous sommes aux mois d'amour » Lettre à Théodore de Banville) et poétique (« Moi, j'appelle ça du printemps » - idem) « Piqué » peut avoir plusieurs sens, il faut d'abord voir un vocabulaire de couture (sa mère savait coudre...) Le chiffon d'azur sombre (soir) est piqué. Un second sens est : « marqué de petits points » (un visage piqué de taches de rousseurs...), enfin un troisième intéressant dans le contexte : altéré, aigri, moisi (un vin piqué, la piquette, un mauvais vin.) On voit alors un lien se faire avec la mauvaise étoile. Mais celle-ci est d'abord Vénus. « Mauvaise étoile » est aussi l'inversion du commun « bonne étoile ». La bonne étoile est illusion, vu son échec qu'elle annonce.

« Le cœur fou Robinsonne » est sans doute l'un des plus savoureux néologismes d'Arthur. On ne sait si il a lu Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe, en tout cas outrre ce chef-d'oeuvre, au XIXème siècle les robinsonnades étaient à la mode, Fénimore Cooper en a écrit une, et comme Arthur a sans doute lu Le dernier des Mohicans (1826) qui lui auraient inspiré quelque vers du Bateau ivre, on peut privilégier cette piste. Que veut dire Rimbaud par « Robinsonne à travers les romans ». N'est-ce pas que le cœur chante l'aventure à travers ses lectures ? Il est intéressant de noter que « Robin » en anglais veut dire « rouge gorge », on peut donc aussi entendre que le cœur sonne comme celui du chant du rouge-gorge. Le mot Robinson se colore à travers l'accent mis sur le « son ».

La quatrième partie étend la temporalité du poème qui jusque-là concernait un soir de «juin ». Là il est amoureux, « loué jusqu'au mois d'août ». L'expression est incongrue, on pense de prime abord plutôt à une location... Arthur a sans doute joué de la polysémie, mais c'est évident qu'il s'agit de louanges. Il est supposé qu'Arthur a fait une « touche » et qu'il est sorti avec une fille jusqu'au mois d'août, à moins que cette fille l'est fait miroiter pendant trois mois en chantant ses louanges ! Elle a pu être charmée par ses vers. Ce qui changerait d'Un cœur sous une soutane  (1869-1870), où une fille à qui il lisait ses vers se moquait de lui. Pour les sonnets, on peut penser à Le Châtiment de Tartuffe, Morts de quatre-vingt-douze et surtout à Vénus Anadyomène, soit postérieurs à Un cœur sous une soutane, soit de la même période. On peut, entre parenthèses, imaginer Arthur draguer des filles en déclamant des vers humoristiques assis ou mieux debout sur un banc. Le théâtre et la provocation comme antidote à la timidité. Mais il fait honte à ses amis qui s'en vont...

Revenons au « premier amour » d'Arthur peut-être, sans doute la même qui lui inspira auparavant Première soirée et Les Réparties de Nina (on tient peut-être son prénom...). « Puis l'adorée, un soir, à daigné vous écrire ». Soit une lettre de refus ou de rupture, un soir d'août, voire de septembre... , ce qui fait pencher en faveur de la date d'écriture qu'à noté Arthur, soit le 29 septembre 1870.

J'irai contre la notice de mon volume de la Pléiade (1972): "On notera d'ailleurs que Rimbaud n'y a pas mis les audaces de syntaxe et de vocabulaire qui se multiplient sous sa plume à partir du mois d'août.", ce qui fait penser à Antoine Adam qu'"on aurait tort d'attacher une trop grande importance à la date du 29 septembre 1870, indiquée par l'autographe. Contre cela je dirais que de même que Picasso a pu faire des oeuvres "classiques" au sein même de son oeuvre révolutionnaire, il n'est pas interdit de penser qu'Arthur Rimbaud est capable de tels "retours" en septembre 1870. Et il me semble que l'exemple de Picasso est toujours à garder en mémoire pour quiconque veut dater mieux que l'auteur ses poèmes... Ce que j'en ai dit du reste plus haut pencherait plutôt en faveur de la date indiquée par l'auteur. 

 

On remarquera que ce poème est avant tout celui des Sensations (dans la lignée de son poème Sensation datant de mai), Arthur Rimbaud a alors une poétique sensorielle plus que symbolistte qui trouvera un aboutissement avec Le Bateau ivre  qu'il annonce, notamment par le thème de l'ivresse qui est multiple (vin, odeurs, poésie, filles...).

Enfin, ce poème est remarquable en ce qu'il incarne bien la poésie impersonnelle que Rimbaud cherchait pour atteindre l'universalité, cela par l'emploi du « on » et du « vous ». Seulement Arthur Rimbaud n'est pas Monsieur et Madame Toulemonde !...

 

 

 

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