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Rimbaud passion
30 juin 2021

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (Roman, version 2021) - Chapitre 30

XXX

OÙ PAUL SE RELÈVE, S'ÉLÈVE PEU À PEU

 

Paul se réveilla. Il était en boule dans le hall de l'ancien Institut Rossat. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. A peine conscient et pourtant... – est-ce que cette folle vision lui en donna l'énergie? Il demanda enfin de l'aide à sa Bien-Aimée intérieure (encore elle!); oui, son guide. L'appel fut efficace, elle lui souffla quelques mots qui suffirent à le sortir de sa torpeur, de son hébétude même. Elle le fit remonter à la surface. Il devait admettre qu'il était dans une telle fatigue, un tel état, que mieux valait demander de l'aide. Il se retrouva à la rue. Il devait faire à nouveau confiance à la vie. Même s'il tirerait encore un bon moment une gueule apocalyptique et saturnienne.
Une femme sortit d'un bureau et dit: «Vous vous abritez? Puis-je faire quelque chose pour vous?»
«Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes!» disait le petit Arthur dans un devoir.
Reprenant conscience de la réalité, entendant la pluie tomber, Paul répondit:
– Je n'ai nulle part où dormir. J'ai une misérable tente au camping qui doit être toute inondée. Je ne sais ce qu'il en restera après le déluge...
«Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.» (Illuminations)
– Il y a un CCAS* qui loge les sans-abri, vous pourriez y dormir cette nuit, et même plusieurs nuits. Je peux téléphoner pour savoir s'ils ont de la place.
*Centre Communal d'Action Sociale

Ce fut fait. Il y avait de la place. Une chaleur parcourut ses veines. En attendant, il avait du temps avant le soir et avait faim. Et soif. Et envie de pisser...
Assis dans un snack avec ses frites, voilà que s'ébrouant comme un chien à la sortie de l'eau, il sortit de son fourreau son épée poétique. Ainsi, il écrivit ce qui venait simplement, l'esprit poreux à l'humidité, à la morosité du temps:

Il goutte
Il goutte des milliards de pluies
...
Dire merci – Merci gouttes
Je suis au sec.

Il exerçait tant bien que mal son esprit à l'acceptation, l'endurance, la résistance. Sa conscience tiraillait et travaillait:

Mon esprit peut être l'empire du pire
Mon esprit peut être l'empereur du meilleur

Ça rassure, des binômes bétons comme ça. Rien de plus limpide, n'est-ce pas? L'esprit humain est sujet à de telles galvanisations. Oui, il faut peu de choses en vérité, un rien, pour mettre un homme par terre. Et un rien aussi, vous l'avez vu, pour qu'il se relève. L'idée d'une chanson émergea. Cela donna un poème pour ne pas moisir sur sa chaise:

Bobo Rimbaud
Zéro inspiration
Charleville sous l'eau
Soupir dans ma passion

Comment irais-je à Roche?
À dos de loche?
Et à Bruxelles?
À dos de coccinelle?

Si j'écourtais le voyage,
Serait-ce un naufrage?
Sous l'eau sautille le moineau
Que je sois moineau de peau

Fini de s'faire du mouron
Que le présent fasse ronron
En moi une éclaircie
Met un terme à tous les Si
... Si le ciel cessait d'verser ses seaux!


Il se rendit enfin au CCAS. Là, il apprécia le confort d'un bon lit au sec; moins, par contre qu'au cours d'une conversation, un intendant lui dise: «Tu pars toujours de toi-même. Il faut au contraire toujours partir des autres.» Disait-il vrai? Que voulait-il dire concrètement? Et que devient là-dedans le «Je est un autre»? Et «Je» n'est-il pas universel? Il faut dire que, quoi qu'il en soit, il se savait égocentrique – mais, ce n'était pas forcément un défaut. Son amie Éléonore lui avoua même apprécier les égocentriques, car ils étaient trop occupés à parler d'eux-mêmes pour s'appesantir sur sa maladie de cœur, ce qui la laissait la gérer sans peser sur elle...
Bref, au CCAS il avait rencontré beaucoup de jeunes qui se trouvaient là depuis longtemps et lui donnèrent ce sentiment fort universel de n'être pas le seul et le plus à plaindre. Moins isolé, moins livré à lui-même et ses errances, il revint dans la réalité concrète. Mais vivre en communauté n'était pas son fort, il ne pourrait rester longtemps ici comme certains. S'il avait besoin de se sentir entouré, il avait trop besoin de son univers intérieur, qu'il ne pouvait trouver que dans la solitude et le rêve, dans une réalité leur étant favorable. Là, dans l'atmosphère du CCAS, dans la réalité rugueuse, crue, – même seul dans une chambre – il n'avait même pas pris plaisir à lire Une Saison en enfer... Il n'avait pas réussi à le goûter, à l'«étreindre». Aussi, quand il n'était pas dans son chez-lui, quand il était en voyage, il lui fallait être porté par une énergie créatrice, porté par le rêve, un poète, un amour idyllique... Une mission divine?
Il avait – force est de le constater, ou du moins l'envisager – un côté autistique qui cependant n'était pas reconnu, qui n'était entré dans aucune case, qui n'avait tout bonnement pas été identifié. Sauf à trente ans, dans une communauté alternative, où un ours barbu lui dit au bout de trois semaines qu'il le trouvait «autiste». Et puis par son amie Éléonore qui disait être sur le même arbre que lui, mais pas sur la même branche. Et ils étaient un peu dans le même cas, pas compris par leur propre famille.
Le voyage de Paul au pays de Rimbaud, et de Juliette, était à son terme. Il lui semblait être arrivé au bout de sa quête de Rimbaud, ne pouvant en tirer plus pour l'instant, sans tomber dans une folie peut-être irréversible et dont il était déjà atteint. Il était peut-être un double d'Arthur Rimbaud, un frère certainement. Peut-être un jour on reconnaîtra un «syndrome de Rimbaud», point acuminé du «rimbaldisme» ou de la «rimbaldomania», maladie fort rare, voire unique: se croire sa réincarnation.
Paul pensa:
«Je me crois en enfer donc, j'y suis». «Je me crois la réincarnation d'Arthur Rimbaud, donc je le suis. Je n'ai rencontré personne assez fou pour se dire être la réincarnation de Rimbaud (remarque, je ne le dis pas, – pas vraiment). Et est-ce que ça s'invente?»

L'heure était venue de l'au-revoir aux Ardennes et du retour au pays natal, car la réalité le rattrapait, il avait un engagement qu'il devait honorer, même si cela ne l'enthousiasmait pas.
Au camping, il dit de nouveau au revoir à Tom. Rémi était toujours absent. Puis il fila aussitôt à la gare pour prendre un billet. Il y avait deux trains en fin de matinée.
Il avait plus d'une heure devant lui, le temps de prendre un café dans le Bar de l'Univers, tout prêt de la gare. Il s'installa en terrasse. La serveuse, au début peu amène, se détendit ensuite. Il avait fait son possible, pas grand chose, pour lui renvoyer de l'amour en réponse à la dureté de son visage fermé. Grâce à elle, il s'assura que c'était bien ce café que Rimbaud avait fréquenté. Elle avait fini par sourire. Plus tard, une demoiselle s'installa à une table en face de lui, de l'autre côté de l'entrée. Elle sortit un carnet et un crayon. Curieux de savoir si elle écrivait – si elle était écrivaine – il se retint pourtant. Plus tard en se levant pour aller aux toilettes, il aperçut d'un regard en biais une liste de chiffres et de lettres...
Dans le train, il lut un petit fascicule sur des artistes précoces, acheté au Musée Rimbaud. Curieux, mais guère transcendant.
À la correspondance de Reims pour sa destination angevine, il devait attendre une heure et demie. Paul en profita pour aller se remplir l'estomac. Le serveur généreux lui servit deux crêpes salées et bien garnies pour le prix d'une.
– Tout ça?
– Vous avez faim, non?
Il est touché. Le ventre plein à craquer, il se rend aux toilettes. Les demoiselles de l'accueil sont amusées par son côté planant. Il attend ensuite, assis près du quai, face aux annonces lumineuses et changeantes à la manière de la roulette russe.
Paul raconta cette étape et son retour dans son journal:
«Il y a un certain nombre de mitraillettes qui se promènent en costume officiel, très nature. Je me demande si ces soldats sont à la recherche d'un terroriste qui voudrait faire sauter un train. Soudain, mon TGV entre en gare, je vois un jeune homme grand, brun, en soutane blanche. Des enfants rigolent derrière son dos. Il porte quelque chose à la main qui attire mon attention: un paquet cubique sous un papier cadeau qu'il porte comme un sac de course. Son pas est rapide. Déterminé. Et s'il portait une bombe? Dois-je alerter les mitraillons? J'ai très peu de temps. Je demande à ma Bien-Aimée si c'est une bombe:
– Non, ne t'inquiète pas.
Finalement, je m'installe sur un siège en face de lui, de l'autre côté du couloir qui nous sépare et je l'aborde par un:
– Vous êtes moine?
– Religieux.
Un peu plus tard:
– C'est un cadeau que vous transportez avec vous?
– Oui, un cadeau pour ma communauté.
Ouf! Me voilà soulagé! J'appris qu'il faisait partie d'un monastère. Que là, il revenait d'un séjour dans un autre monastère. Je ne sais plus de quel ordre il était, mais on l'appelait Frère Lazare, nom qu'il portait à côté de son nom civil. C'était sa vocation. Il avait « voué sa vie à Dieu. »
La conversation fut très enrichissante. Il me parla de la philosophie qu'il étudiait, pour l'essentiel Saint Thomas d'Aquin. Je finis par lui parler de mon expérience jéhovine... Il me posa des questions auxquelles je répondis. Je restai toujours respectueux et j'arrivai à le toucher lorsque je lui parlai de religion et de spiritualité, de mon livre, de Rimbaud. Je lui parlai d'inspiration. Tout vient de l'Esprit, lui dis-je. À la fin, il me posa même des questions sur des aspects plus techniques de la création poétique: rythmes, versification...
Je sentis que je l'avais interpellé, touché, que j'avais bousculé en douceur quelques certitudes en lui sans qu'il ne se sente perturbé outre-mesure. C'était un jeune homme de la mesure, de la pondération. Je lui avais ouvert un peu plus l'esprit et lui m'avait offert sa présence chaleureuse et douce, m'avait aussi appris des choses intéressantes à propos de son chemin de vie, de son monde.
Il avait beau avoir de petits yeux noirs vifs et transperçants, je pouvais toujours attendre que la bombe explose... Et mon Dieu, cette rencontre m'avait fait reprendre du poil de la bête! Avec quelle assurance et contenance lui avais-je parlé, en vérité!
Il m'avait fait oublier mon humeur maussade et mes regrets: je devais conter le dimanche vers 15h de l'après-midi avec mon harpe-luth africaine – la kora – en accompagnement, lors d'un petit festival campagnard.
Si je n'avais presque pas donné ma parole à un de mes frères exposant et à l'organisateur, si on n'avait pas compté sur ma présence, j'aurai pu ne revenir que mercredi au lieu de dimanche! Je ne devais reprendre mon emploi saisonnier que le jeudi matin. J'aurai préféré rester, au moins aurais-je pu revoir Roche. Je n'avais aucun désir de conter mon histoire africaine ou une autre. Et maintenant j'étais dans une autre mouvance, une autre énergie.
Je devais donc me rendre à ce festival. Je prévenais mes parents de mon retard d'une demi-heure. Mon père allait me chercher à la gare comme prévu, et m'emmenait chez moi pour me changer et prendre mes instruments.
La séance faite pendant des balances musicales sur la scène nuisit à la qualité de ma parole et de l'écoute. Une prestation mémorable!
Ma maussaderie s'accentua après coup. Un ami et plusieurs copains purent en bénéficier pleinement. J'étais revenu pour conter dans des conditions pitoyables devant vingt pékins et ma mère... La seconde moitié avait été meilleure cependant que la première. Les balances s'étaient tues.
Je repensai à Juliette que je ne reverrai peut-être plus. Je lui avais parlé du lien entre le tissage qu'elle désirait pratiquer et la Parole, le Verbe. Elle avait compris quelque chose... Mais moi, qu'avais-je à comprendre de la situation où j'étais enlisé? Lorsque j'avais évoqué à Juliette l'héroïsme des guerriers amharas dont m'avait parlé Asnaku, elle m'avait dit: « Peut-on être des guerriers aujourd'hui? » Je l'avais regardée fixement en me taisant et elle dit au bout d'un moment avec un sourire aux lèvres:
– Des guerriers de Lumière?
J’avais alors acquiescé de la tête. Mais là, j'étais en défaite. La chute avait failli m'être fatale. Et réchappé miraculeusement, je flottais sur des eaux saumâtres. N'étais-je pas en pleine régression spirituelle?
Tout ce chemin pour en arriver là. Merci Rimbaud! Merci Juliette! Merci la vie, et Éléonore... Justement, j'avais hâte de la revoir. J'avais refusé à mes copains de dormir sur les lieux du festival pour voir mon âmie Éléonore. Je savais qu'elle seule pouvait me remonter.
Je lui demandai si elle voulait faire une promenade matinale. Elle accepta avec plaisir. Le lendemain de cette promenade, je lui écrivis:

Chère Éléonore,
Je suis beaucoup mieux depuis qu'on s'est vu hier, merci.
J'ai oublié de te dire, l'éditeur m'a proposé d'envoyer mon manuscrit à partir du 15 juillet, car il n'est pas disponible avant. On pourrait en profiter pour travailler dessus ensemble dans les 15 jours qui viennent.
J'ai revu le visage de Juliette ce matin, je suis content; il s'était un peu estompé dans ma mémoire (je n'ai pas pris de photo d'elle...)
Ouf, pour toi le temps est moins chaud. Je voulais repartir à Charleville. Au niveau covoiturage et météorologique, c'est bon. Mais j'ai l'inspiration... Si tu veux passer dans la journée, ce sera un plaisir.
Je t'embrasse
Paul

Quel remède anti-dépression lui avait-elle donné? Elle l'avait tout bonnement remis sur les rails en le mettant devant deux possibilités, deux choix qui se présentaient à lui. Soit il s'enfermait dans ce malheur qu'il créait lui-même – il en était parfaitement libre – soit il décidait de voir les choses sous un nouveau jour et de continuer sa progression. Ce qu'il avait vécu avec Juliette était très beau et très rare, lui assura-t-elle. C'était un partage que très peu de personnes pouvaient vivre. Il devait aussi accepter d'avoir chuté. De chaque situation de crise, de chaque expérience pouvait naître une conscience nouvelle.

Le dimanche soir, il téléphona à Juliette. Il était content d'entendre sa voix. Elle n'avait pas le temps de parler présentement, prise par le travail. Elle l'invita à retéléphoner à partir de mardi.

Le mardi, il passa sa journée à écrire et téléphona à plusieurs reprises vers midi à Juliette. Il n'arrivait pas à la joindre. Il réessaya une dizaine de fois à partir de 17h jusqu'à environ 21 h. Il tomba à chaque fois sur sa voix au répondeur.
Le mercredi, rebelote! Écriture et coups de téléphone.
Soudain, à une énième fois, elle lui répondit, mais d'une façon pas du tout agréable:
« Tes réactions, tes attentes me font peur. J'ai l'impression que tu as trop d'attente. Je vois comme tu es sensible. J'ai peur que tu te brûles les ailes avec moi. Je ne suis pas celle que tu crois.
« Je crois qu'il faut que tu fasses une croix sur moi. Et même si j'avais pas mon petit ami, je ne sais pas si ce serait envisageable nous deux. »

Paul était stupéfait. Il se rendit compte un peu tard qu'il avait abusé des coups de téléphone qui avaient été – hélas – tous enregistrés. C'était trop pour elle. Il lui demanda pardon et finit par lui dire « Inchallah ».
Sa Bien-Aimée lui dit à la suite: « Ne lui en veux pas et ne t'en veux pas. » Elle lui répéta ces paroles en boucle jusqu'à ce qu'il s'apaise.

Juliette vient de «Julie», du latin Iulus ou Iule qui était le nom d'une riche famille romaine, mais surtout le nom d'un mille-pattes se nourrissant de végétaux et s'enroulant en cas de danger...
Ses recherches lui firent accepter que c'était attendu!
Le soir, il envoya un message à Éléonore:

Chère Éléonore,
J'aimerai être encore en vacance une semaine pour finir mon nouveau roman. C'est d'une rapidité foudroyante!
Bon, il y a du nouveau du côté de Juliette, du nouveau du côté de mon amie Micheline. Décidément c'est le jour des pendules mises à l'heure! Je te raconterai plus tard.
Boulot demain, faut prendre comme ça vient, je suis content quand même.
Je t'embrasse
Paul

Puis il envoya un courrier électronique à Pierre-Charles:

Bonjour Pierre-Charles,
J'espère que vous et Asnaku allez bien. Sans doute bien occupés...
Je vous vouvoie, je ne sais si je dois vous tutoyer ou vous vouvoyer. Dans le doute, j'utilise « vous ». Mon séjour à Charleville a été l'occasion d'une superbe rencontre, et avec vous-même et Asnaku. Elle est adorable.
Je suis de retour depuis une semaine. Travail horticole (pour vivre matériellement) et travail littéraire (essentiel à ma vie intérieure) sont mon lot depuis. Je ne m'en plains pas. Le travail de la terre me permet entre autres de m'aérer les méninges.
Je retouche avec une amie mon manuscrit avant de vous l'envoyer. J'ai trouvé un autre titre qui vous parlera plus. Je vous laisse la surprise à réception de mon envoi.
Je ne veux pas trop m'étendre, alors je vous dis à bientôt.
Salutation cordiale, à votre chère compagne et à vous-même.
Paul


En vérité, le nouveau titre de son roman (Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur) lui avait été donné par Éléonore qui l'avait reçu en rêve au petit matin.
Les hortensias étant de nouveau dans son quotidien pour moitié, il serait dommage de ne pas partager deux épisodes notables et effectivement notés au soir. Rimbaud-Juliette étaient encore d'actualité en plein champs... Ainsi il nota dans son journal:

«Aujourd'hui 7 juillet, une chaleur écrasante dans le champ d'hortensias sur lesquels on fait du prélèvement de boutures. Je suis en binôme avec un jeune d'environ 18 ans aux yeux bleus. Je ne parle pas. Mais soudain j'appelle un permanent de l'entreprise qui s'éloigne de l'équipe:
– Eh Fifa!
Il se retourne, et je lance:
– À force de faire des boutures, j'ai l'bout dur, c'est normal?
Il me regarde, interrogatif. Tout le monde rit. Je répète et il comprend enfin, il est estomaqué. Il rit de travers.
Cinq minutes après, mon jeune collègue me dit, d'un ton plein d'admiration:
– Ça rime ce que tu as dit. C'est presque de la poésie que tu nous a fait.
– J'écris. J'aime faire des rimes.
– Le nouveau Rimbaud...
– Je suis soufflé. Mais quoi? Tu croyais qu'il allait dire le nouveau Verlaine? Ce nom «Rimbaud» incarne la poésie, – comble pour un poète, le poète qui l'a, – en apparence – quittée.
Justement, tu ne peux mieux tomber, j'ai écrit sur lui, dis-je à mon jeune interlocuteur.
– Quoi? T'as écrit un livre?
– Oui, sur Rimbaud.
Il fait ressortir sa lèvre inférieure suivi d'un léger bruit de bouche pour dire « chapeau bas ».
Je lui demande:
– Tu aimes lire?
– Non, à part des magazines.
– Tu es aux études?
– Oui, en agriculture.
Je ne peux pas ne pas penser à Rimbaud.

«Plus tard, j'eus pour voisine une jolie demoiselle de dix-neuf ans qui me fit penser à Juliette. Me voyant mélancolique elle me sourit et dit:
– Alors, tu ne siffles pas aujourd'hui?
– Non.
Une minute plus tard, mon étudiant agricole me dit doucement quelque chose comme:
– T'as pas la forme?
– Non, je réponds. C'est comme ça. Y a des jours sans et des jours avec. Là, c'est un jour sans.
Après un temps, j'ajoute:
– C'est sûr que j'ai moins de joie qu'hier...
Silence. Il fait un soleil cuisant et sous mon grand chapeau ocre en paille de papier, je pense à Juliette.

«Un autre jour, un autre collègue m'appela Rimbaud. Je ne répondis pas à son appel, mais ris en moi-même.
Maintenant, oui maintenant, je peux donner la preuve à ceux qui en veulent une, la preuve éclatante que je ne suis pas Rimbaud. Et je suis fasciné par le rêve extraordinaire que fit Éléonore.

«Elle me déclarait dans un message qu'elle n'était pas très en forme, épuisée par la chaleur, et qu'heureusement Rimbaud lui tenait compagnie à travers la relecture de mon livre. Il lui tenait compagnie « même en rêve »! Elle s'expliquait dans un message:

«Cette nuit je lui ai demandé pour Djami, il m'a répondu : « Il est comme le sable dans le désert, évident et « juste » à sa place ». Cela avait un sens musical que les mots rendent difficilement: il sonnait juste! Un grand moment. »

«Je téléphonai de suite à Éléonore, on s'en doute, cela répondant à ma quête à la bibliothèque de Charleville. Elle me dit:
– J'ai posé plein de questions dans mon rêve.
– Et quelles étaient les questions?
– J'ai tout oublié, sauf la dernière: alors Djami était soufi? Rimbaud: «Non, mais il aurait pu l'être. Il était juste.» Rimbaud regardait le désert avec le sable: «Djami est comme le sable. Il est là, évidence.» Il était juste dans sa matière d'homme. C'était un homme vraiment authentique, à sa juste place. Juste en tant que domestique, car il était dans un contexte, et juste en tant qu'ami, en tant qu'homme.
– Je me suis trompé alors. Enfin, le commissaire Belpomme, dis-je dépité.
– Même si le commissaire Belpomme a eu tort dans son hypothèse, il a été vrai en cela qu'il a dit: « Il était soufi dans l'âme. »
Eléonore avait entendu la réponse de Rimbaud: « soufi non, mais soufi dans l'âme. »
– Tu as vu son visage à Rimbaud?
– Non, je voyais une silhouette et j'entendais sa voix.
– Comment était-elle, sa voix?
– Une voix un peu éraillée, pas très belle d'ailleurs. Mais l'essentiel, c'est qu'il disait des choses intéressantes, qui résonnaient juste.
– Oui...
Sur la voix, cela concordait me semblait-il avec un témoignage de Delahaye ou d'Izambard, je ne savais plus.

«Que peut-il être ajouté à cela? Que vais-je rapporter de mon prochain voyage? Encore un roman sur Lui et Elle? On peut relire Départ des Illuminations. J'ai commencé à lire La prochaine fois de Marc Lévy. Une histoire de réincarnation!
 Tiens, j'y pense – c'est incroyable que je pense si vite – si je suis la réincarnation de Rimbaud, cela veut dire par logique «A+B=AB» qu'il y a dans l'histoire un grand rapport équilatéral ayant pour base Arthur Belpomme et Paul Delaroche et pour sommet Arthur Rimbaud; que j'ai un plus grand rapport avec les deux Arthur que je ne le pensais; qu'enfin, quelque part, bah oui, faut se mettre face à l'évidence: je suis... (pom-pom-pom-pom!) le grand-père du commissaire Belpomme (grand mangeur de pommes devant l'Éternel)!
Cela vaut bien, maintenant que je sais qui je suis et d'où je viens, d'abandonner le tabac pour la Pomme...
Sacré voyage! Ah ça troue le ciel de mon cerveau cette révélation du «grand-père».
Et arrivé à ce point-là de mon récit, devant une vue de 360° et des poussières d'astres, que puis-je dire?
Allez! Au revoir Rimbaud, au revoir Juliette!
Au revoir à tous ceux que j'ai rencontré. Adieu Pierre-Charles.
Au revoir belles Ardennes! Je reviendrais avec ma guitare. Enfin une nouvelle, que j'ai appelée Juliette. Je suis son Rimbaud... euh son Roméo. En attendant peut-être...»
Fermons maintenant le journal de Paul.

Le «peut-être» devint effectif quelque temps plus tard par la rencontre d'une belle oiselle, une amie d'Eléonore qui le charma d'autant plus qu'elle chantait du répertoire lyrique. Paul et Paule! Quel merveilleux couple ne firent-ils pas, s'installant dans leur nid d'amour! En vue d'y accueillir un oisillon? Tel était leur désir. Mais en attendant celui né de leur amour, il y avait déjà un oisillon plutôt atypique qui appelait Paul «papa». Et Paul voyait aussi en lui un fils, miroir de son enfance. Le plus extraordinaire était qu'il s'appelait... Arthur!

Eléonore, étonnée par leur connivence et leur singularité avait cherché des données récentes sur l'autisme, l'Asperger. La France était très en retard et les termes évoluaient rapidement. Elle encouragea Paul à contacter une psychiatre pour l'aider à mieux se comprendre.

Au terme d'un long travail avec ce psychiatre et d'autres spécialistes, Paul écrivit:
«En pensant «autiste», nous pensons maintenant autre chose que «qui ne parle pas et a des gestes bizarres», ou Rain man....
Je le fus enfant et j'en ai la confirmation adulte. Je suis vraisemblablement dans la catégorie «TED» (Trouble Envahissant du Développement) et «Asperger».
Sans être un «handicapé mental», mon fonctionnement est différent des autres formant ce qu'on appelle la «normalité», les «neurotypiques» ou «normo-pensants». Je suis un marginal et j'appartiens aux 1% du «spectre autistique».
Mais je sais que ce sont eux, ces atypiques qui parfois font avancer la société. La liste est longue, des autistes – pour certains supposés tels – qui ont marqué l'Histoire: Vincent Van Gogh pour la peinture; Jane Austen, Mark Twain pour la littérature; Wolfang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Bob Dylan, Michael Jackson, Glenn Gould, pour la musique; Alfred Hitchcock, Tim Burton, Woody Allen pour le cinéma; Isaac Newton, Alfred Einstein pour la physique et les mathématiques ; Alexander Graham Bell, Henry Ford, Thomas Edison, Bill Gates pour les inventions et les entreprises (téléphone, automobile, électricité, informatique...); – mythes ou réalités, les deux à la fois peut-être.

Et donc, bien que l'on trouve proportionnellement autant de génies chez les autistes Asperger que chez les neurotypiques, et bien qu'«Asperger» ne soit pas synonyme de «génie», selon moi et je ne suis pas seul à le penser, Rimbaud était autiste (et pas seulement parce qu'il était précoce). Il serait plus «Asperger», voire du type «Savant» en raison du grand nombre de langues qu'il connaissait comme le célèbre Asperger Daniel Tammet avec qui il partage ce don des langues en plus de celui du Verbe. Évoquer la synesthésie à propos de Voyelles est loin d'être absurde.
Arthur (qui détestait les mathématiques du fait d'un professeur ennuyeux) avait des compétences pour être ingénieur ou voyageur-reporter, ce que montre la liste des livres qu'il a commandé d'Aden ou du Harar.
Il se pourrait fort bien aussi qu'en plus d'autiste de «haut niveau», Arthur fut «borderline» tout comme le dit ma psy pour moi – l'un pouvant aller avec l'autre. De même qu'une bipolarité accentuée affecte certains Asperger sans qu'il y ait systématiquement développement de la maladie dite «bipolaire».
J'assume mon autisme totalement et dans tous les sens! JE est un aut'iste! («ce qui ne m'empêche pas d'écrire de belles choses» a dit ma psy...).
Autiste ou Borderline, ou les deux, ou autre, – peu importe les étiquettes qui ne peuvent servir que pour mieux comprendre et donc mieux accepter – l'équation avait été vite établie pour Rimbaud: le Sud comme unique asile. Et l'extraordinaire pour lui, est qu'il y rencontra des tribus où son «autisme» n'était pas un souci. Ainsi chez les Gallas dont il fit une précieuse étude. Autre culture...»

Paul, après un long parcours du combattant, aidé par son âmie Eléonore, fût reconnu pour son handicap et bénéficia ainsi de l'Allocation Adulte Handicapé qui prit la suite pour lui du RSA.
Comment ne pas penser à Rimbaud qui toujours inquiet pour l'argent souhaitait être rentier. Et comme avec Paul tout finit en chanson, voici ce qu'il disait dans Le secret de ma vie parlant de son rapport à Rimbaud que son voyage à Charleville-Mézières avait fait évoluer comme nous venons de le voir:

Dans une vie antérieure
J'étais Arthur Rimbaud
Je voulais être rentier, ma sœur
Alors pour moi le RSA est un cadeau.

Et c'est vrai que ce statut «de merde» comme on le lui avait si souvent lancé à la figure l'avait sauvé, comme d'autres de son espèce, artistes, autistes, parfois les deux!

J'ai jadis fui ma vie de poète
Il faut dire que j'ai dérivé dur
Et j'ai travaillé comme une bête
Pensant que mon mal s'appelait littérature


C'est ainsi qu'en se souvenant de toute cette aventure aussi bien intérieure qu'extérieure, de Rimbaud et de Juliette, il vint à Paul un dernier mot, Merci.
Mais vous le connaissez, il ne put se retenir d'ajouter:

mercedem
thank you
danke
gracias
grazie
spacibo
dhan'yavāda
efkharisto
shoukran
amesegenallo*

*Merci dans les langues que connaissait Rimbaud en dehors de sa langue maternelle. Cette liste dans l'ordre comprend le latin (qu'il a beaucoup écrit plus que parlé), les langues européennes qu'il déclara connaître dans sa lettre du 14 mai 1877 (anglais, allemand, espagnol, italien) et dont le premier ne fait aucun doute, vu ses longs séjours en Angleterre, auxquelles j'en ai ajouté deux supposées et citées dans le roman (russe, hindoustani) , enfin trois qui mes semblaient essentielles marquant sa seconde vie, qu'il a parlées à la frontière de l'Orient à Chypre (grec) et en Orient – en Arabie et en Éthiopie (arabe, amharique). Ce dernier pays étant plus important puisqu'il a dit vouloir être enterré en Abyssinie (Éthiopie). Pour ne pas faire trop long, j'ai omis les merci dans tous les pays qu'il a traversé dont Java.

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