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Rimbaud passion
8 février 2015

Rimbaud passion ou les mystères d'Arthur (nouvelle version) Huitième chapitre

 Le Mystère de la Pomme

 

VIII

 

Au matin, Paul s'interrogea sur ce rêve qu'il avait tenté de retranscrire littérairement à son réveil tel qu'on la lu.

Et s'il était la réincarnation d'Arthur Rimbaud  ?

Il éclata de rire.

Paul repensa à cette grande révélation tombée à la septième journée de leur rencontre: «  Je suis le grand-père d'Arthur Rimbaud  ».

Il éclata de rire à nouveau. «  La réincarnation de Rimbaud qui se trouverait en présence de son arrière... enfin non  : son devant petit fils  ! Trop drôle  ! Par trop absurde.  » pensa t-il. Et à nouveau il éclata de rire.

Vraiment, le commissaire lui montait au cerveau avec toutes ses paroles. Il avait provoqué des rêves très étranges, comme celui tiré d'une nouvelle d'Oscar Wilde ou celui où il voyait Arthur dans le désert, en tailleur, méditant pomme en main. Mais cette fois-ci, pas question de parler de son rêve. Le commissaire serait capable de le prendre au sérieux. Cela apporterait un malaise peut-être.

«  Je suis le grand-père d'Arthur Rimbaud  » Ainsi Paul revint à la révélation de son hôte dans sa plus simple expression.  Il avait perçu depuis longtemps, en la personne d'Arthur Belpomme qu'il y avait un mystère plus grand que les trois voyants fantômes qui en définitive n'avaient été qu'un prétexte, une amorce, un tremplin. Mais ce mystère s'était épaissi à mesure qu'il l'épluchait, pour ainsi dire comme un oignon (La comparaison avec la pomme serait sans doute plus à propos, mais elle ne possède pas autant de peaux avant d'atteindre la chair...)

Paul pressentait encore que ce n'était pas fini. Le commissaire avait plus d'un tour dans son sac. Il était surtout imprévisible et surprenant. Aussi Paul était prêt à tout lorsqu'ils se retrouvèrent le huitième jour.

Le commissaire lui manifesta une joie exubérante en évoquant leur amitié qui lui avait permis de résoudre une de ses énigmes. Paul ayant accepté de le suivre dans son univers si particulier, il lui en était très reconnaissant. Aussi il lui proposa de lui confier maintenant le secret d'accommoder les pommes d'une façon étonnante.

Paul donna son accord de principe. Un goût aussi immodéré pour ce fruit et l'originalité du commissaire Belpomme ne pouvait aboutir qu'à une recette très originale. Arthur annonça alors le plus naturellement du monde cette énormité:

  • En fait, Rimbaud se trouve dans une pomme!

 

Il savoura la surprise de Paul qui dans un second temps mit la main devant sa bouche... et il sortit une pomme de sa poche.

  • Tu la vois cette pomme?

  • Oui, comme je te vois, mais où...

  • Ceci n'est-il qu'une pomme?

  • Je ne sais pas, mais je n'irai pas jusqu'à dire: ceci n'est pas une pomme...

  • Ça, c'est pour la pomme de Magritte! Tu te souviens qu'il a sur un de ses tableaux caché un visage chapeauté derrière une pomme en apesanteur. Dans un autre, il a mis deux pommes masquées côte à côte – "ils ont une bonne pomme!", dirions-nous. Enfin et surtout, il a inscrit en gros caractères sur un tableau représentant le fruit: "Ceci n'est pas une pomme". Mais revenons à ma question: ceci n'est-il qu'une pomme?

  • Je ne sais pas. Je vais finir par faire une indigestion... C'est peut-être une poire en devenir! Mais je ne serai pas étonné de te voir transformer cette pomme en Rimbaud en chair et en os.

  • J'en doute, comme je doute que tu n'aies pas compris la question. Allez, ne fais pas l'idiot, mon ami. Ceci n'est-il qu'une pomme?

  • Il faudrait l'interroger.

  • Bien. Je te prends au mot. Pomme, nous allons t'interroger...

Le commissaire sortit un canif de sa poche.

Il avait donc tout préparé? Quel metteur en scène!

Paul se souvint de la fois où il jonglait avec trois pommes, puis du rituel face à face avec chacun sa pomme. Il n'était plus à une excentricité près.

Arthur se mit à couper transversalement, avec lenteur – religieusement dirions-nous-même – la sphère pleine de jus qui venait arroser aux bords de la fente humide la peau douce, tendue et luisante comme un gland.

Les yeux de Paul suivaient avec attention et surprise ce geste posé et irrémissible qui devait donner deux moitiés de fruit.

  • Une drôle de manière de couper une pomme...

  • C'est une coupe transversale, répondit le commissaire. Celle qui est le geste de Dieu séparant les eaux du dessous avec les eaux du dessus.

Arthur tourna vers son ami la coupe des demi-sphères.

  • Oh! une étoile! s'exclama Paul en voyant ce qui se trouvait au centre.

  • Oui, et précisément un pentagramme, une étoile à cinq branches comme tu peux le remarquer.

    • À ne pas confondre avec l'étoile de David à six branches, ajouta Paul.

  • Bravo! Il y aurait beaucoup à dire sur ce symbole ésotérique. Mais pour nous recentrer sur notre sujet, remarque que notre main cueille cette pomme, la tient avec ses cinq doigts et ignore tout de l'intérieur.

Le commissaire réunit les deux moitiés et les tint pressées entre son pouce et son index.

  • Même le plus grand des singes ne peut tenir une pomme ni aucun objet comme ceci. C'est ce qui nous sépare de la pure animalité – même si l'animal est en nous et qu'on doit l'accepter. C'est un signe distinctif de l'homme, comme sa posture verticale qui a rendu possible le langage parlé, le Verbe, signe divin. L'étoile aussi est un signe divin.

«  Ça y est, le commissaire est reparti  ! Plus commissaire Belpomme que jamais  !  » pensa Paul.

Le commissaire poursuivit-il  ainsi:

«  Toute la liberté de l'homme, qui est aussi une responsabilité, y est inscrite. La parole libère et donne sens. L'étoile est esprit, lumière dans la nuit. On peut méditer sur l'étoile jaune des juifs, qui n'a pas cinq, mais six branches... L  'étoile, le centre, les deux mots s'interpénètrent. Le Père Brown, l'enquêteur spirituel, pour ne pas dire catholique, de l'écrivain anglais Chesterton, disait avec justesse: ce que chacun redoute le plus, c'est un labyrinthe qui n'aurait pas de centre. Voilà pourquoi l'athéisme est un cauchemar.  » Autrement dit: une vie sans étoile divine, centrale pour guider, est semblable à une nuit noire.

«Je voulais donc dire que l'homme est relié au divin, puisque de tous les êtres, il est le seul à couper une pomme en deux. Surtout quand il le fait dans un sens contraire à son habitude, qui est de couper de haut en bas: les deux coupes présentent alors leur milieu nommé carpelle comme une vulve dont les grandes lèvres seraient le mésocarpe, et l'endocarpe seraient les petites lèvres...

  • L'Origine du monde est dans une pomme  ! Eve est dans une pomme  !... s'exalta Paul, un tantinet rieur.

  • Joli  !

  • La Terre est une pomme  ! dans une Pomme  ! continua Paul.

  • Ou dans une Paume... Mais ne va pas me paumer dans mon discours. Donc, pour ce qui est de couper en deux une pomme transversalement et non plus longitudinalement, cela l'homme le fait pour une raison non plus matérielle mais spirituelle, pour chercher un secret en son coeur, ce qu'aucun grand singe – gorille, chimpanzé, Orang-outang avec lesquels on partage quatre vingt dix neuf pour cent d'ADN – n'a vu.

«  Or le divin en nous – appelle-le «  esprit  », «  lumière  », «  amour  », «  conscience  », qu'importe! – , cette chose unique ne représente qu'un pour cent de notre être total, mais quel pour cent! Un pour cent qui fait la différence et qui est en vérité, comme cette étoile au coeur de la pomme, le centre de notre être, le Graal.

  • Tu y vas fort, commissaire  ! répliqua Paul. Les grands singes, n'ont sans doute pas notre conscience, mais ils ont plus d'amour que beaucoup d'hommes, ils sont plus humains que beaucoup d'humains...

  • Si j'y vais fort, tu cherches, toi, mon cher, la petite bête, ou la grosse... répondit le commissaire.

  • J'aimerais mieux dès fois être un grand singe, reprit Paul. Dans une vie postérieure, je veux être un orang-outang  ! S'il en reste...

  • Moi, dit Arthur, j'aime trop la littérature, l'Art en général et Rimbaud  ! pour vouloir être un orang-outang ou même un dauphin. Mais enfin, mon ami, quelle mouche t'a piquée  ? Tu t'es levé du mauvais pied  ?

Paul avait envie de dire  : «  Pour ainsi dire du seul qu'il me restait  », mais il se tut.

  • Pardon, commissaire, je ne vous couperais plus... Du moins de telle sorte. En vérité, ton affaire m'intrigue. Après m'avoir fait voir Rimbaud d'une façon inédite, tu le fais maintenant avec une pomme. Et j'ai hâte d'y voir Arthur  !

  • Bien. D'abord, c'est là où je voulais en venir  : par cette coupe, dit-il en montrant le cœur portant l'étoile, cette pomme est plus qu'une pomme pour qui veut le voir. Elle est un signe.

«  J'ai élu la pomme reine des sens et des signes: sa vue, son toucher, son odeur, son écoute sous la dent, son goût; sa symbolique si importante pour l'esprit humain et la connaissance spirituelle qu'elle porte en elle surtout, voilà qui explique cette élection pour nous occidentaux en tant que reine des fruits. Elle tient d'ailleurs une place importante dans notre mythologie. Tu pourras remplir ton panier sur Internet, avec le mot clé "pomme" et tous les liens qui y sont donnés.

  • Oh! Ne peux-tu me résumer les principaux mythes ou histoires où elle joue un rôle de premier plan?

  • Allez, tu m'emmènes maintenant sur mon terrain, je serais bien idiot de refuser ce plaisir. Ces mythes sont quatre.

Et le commissaire commença  :

«  Dans le premier, "Pomone" est la déesse grecque des fruits, et, dans son jardin fruitier, l'amour finit par triompher de son indépendance et de sa fierté, grâce à un bel éphèbe déguisé en vieille femme. Ensuite, qui n'a pas entendu parlé des "Golden" du jardin des Hespérides dérobées par Hercule? Enfin des pommes d'or?

  • Et Rimbaud? interrompit Paul, comme pour s'assurer que le commissaire resterait dans le fil du sujet, n'est-ce pas une sorte d'Hercule?

  • On peut le voir ainsi, d'autant plus qu'il a signé une lettre "Alcide Bava", Alcide étant l'autre nom d'Hercule... Mais pour que tu comprennes où je veux en venir au sujet de Rimbaud, je dois d'abord poursuivre sur la mythologie de la pomme.

«  Une autre pomme célèbre de la Greek mythology est celle de la discorde – une autre "Golden" avec la particularité quand même de porter l'inscription "À la plus belle" – ce qui n'est pas sans faire penser à l'inscription sur les reins de Vénus dans le poème Vénus anadyomène «  Clara Vénus  » qui peut se lire dans une intention ironique comme  : «  Claire Vénus  » ou selon la traduction latine – (et Dieu sait qu'Arthur connaissait son latin...)  : «  Illustre Vénus  » «  Distinguée Vénus  », qu'on peut étendre à «  Singulière Vénus  »... Bref  ! La pomme de la discorde, que je me plais à appeler Golden en raison de son nom qui rappelle les pommes d'or, a été jetée sur la table des dieux en Olympe, précisément aux noces de Pélée et Thétis, par Eris furieuse d'avoir été la seule immortelle à ne pas avoir été invitée.

«  Trois déesses se disputent alors la "Golden" portant l'oracle et tombée sur la raclette olympique: Héra la jalouse – c'est quand même la femme officielle de Zeus qui a de nombreuses concubines – Athéna, la Victoire promise au combat; enfin Aphrodite, l'Amour en personne. Zeus, qui n'en peut plus de les entendre se disputer ordonne à Hermès l'Hermétique de les conduire sur le Mont Ida et il choisit un mortel, Pâris, pour désigner l'heureuse gagnante. Il doit départager selon ce que chacune promet de lui donner en échange: la royauté, la victoire ou l'amour. Mais Pâris ayant depuis pas mal de temps en vue la belle Hélène, remet la pomme d'or à Aphrodite. C'est le fameux "jugement de Pâris", – avec au revers de la médaille, la Guerre de Troie...

«  Pour achever notre petit tour mythologique de la Grèce antique, parlons de la la chute de la pucelle chasseresse nommée Atalante, moins connue sans doute, mais qui a donné lieu à une peinture célèbre de Guido Reni au début du XVIIème siècle. Cette chute d'Atalante fut causée par trois pommes d'or du jardin des Hespérides jetées au sol par Hippomène avec qui elle faisait la course, lui ayant promis de l'épouser s'il remportait la victoire.

«  Voilà donc les quatre histoires de pomme de la mythologie grecque. Tu vois que ce n'était pas si long.

  • C'est passionnant. Et la Bible, elle compte pour des prunes?

«Non. Je ne l'oubliais pas.  Dans la mythologie biblique, il n'y en a qu'une, mais combien célèbre et importante pour la compréhension de notre culture. La pomme croquée par Eve puis Adam n'était point une pomme en vérité.

  • Ah bon? Mais j'ai bien une pomme d'Adam, là!

  • Ah! Ah! Ah! Il y a eu confusion de mots, mon cher. Le mot pomum se traduit par "fruit" on le sait; mais le plus intéressant dans l'histoire, c'est qu'on a donné au pommier le nom latin "malus", d'où vient le mal... chose qui nous paraît contradictoire à la vue de certains tableaux du Moyen Age représentant la Vierge à l'enfant, où l'on voit l'enfant Jésus tenir une pomme en main – ou ce qui semble l'être – quand ce n'est pas sa mère, l'Immaculée, qui la lui donne.

«  C'est là l'ambivalence de la pomme! On en a fait le fruit du péché, mais on n'a pu éradiquer les symboles plus anciens qu'elle portait: comme celui de la souveraineté et aussi celui de la connaissance du Cosmos. C'est ainsi que la déesse-mère des celtes et des gaulois était représentée sur un cheval avec une pomme dans sa main droite. Car la mythologie celte est riche aussi de ce symbole. Il est vrai que l'on connaît moins l'île d'Avalon ("aval" étant le nom de la pomme en celte), oui, on connaît moins l'île aux pommiers que le jardin des Hespérides. La pomme porte la connaissance, et d'ailleurs, Merlin enseigne au pied d'un pommier.

  • Intéressant, non?

  • Intéressant...

  • C'est sans doute ce qui explique que le peintre Nicolas Poussin  – très voyant dans le sens qu'il détenait la Connaissance –, ait représenté dans sa toile Le Printemps ou Paradis terrestre une scène privée de toute référence au péché, à la tentation du serpent qui y est absent, enfin traitée comme une scène panthéiste  : on y voit Adam et Eve tenir leur juste place dans la nature, dans le cosmos, n'occupant environ qu'un soixantième de la surface du tableau... – ce qui n'est pas négligeable, et même honorable, d'autant plus qu'ils sont au premier plan. L'Homme en effet – microcosme par excellence – joue un rôle de premier plan dans la Nature. Le second point le plus significatif est que, significativement, Eve montre du doigt des Pommiers derrière eux, symboles de l'éternel renouvellement portant à travers ses fruits le symbole de la Connaissance universelle ou de la grande Tradition universelle. – Intéressant, non?

  • Intéressant...

  • Je parlais de la mythologie celtique. Dans celle gauloise, la pomme est un symbole du soleil, ce qui revient au même. Elle est l'étoile qui nous nourrit... qui donne la vie. Et l'on repense bien sûr à notre étoile à cinq branches.

  • Intéressant... J'y pense: les quatre mythes de la mythologie grecque plus le mythe biblique, ça fait bien cinq  ?

  • C'est vrai que depuis Renaissance, la culture européenne est essentiellement hellénique et biblique, cela ressort clairement dans l'Art jusqu'au XVIIIème siècle. Mais à partir de la fin du XVIIIème siècle, on commence à déterrer la culture celtique et dans l'Art, cela transparaît avec le visionnaire et pré-romantique William Blake rattaché à l'ossianisme né de la supercherie d'un auteur britannique qui provoquera le grand regain d'intérêt à travers toute l'Europe en faisant passer des poèmes de sa propre main pour des poèmes du barde Ossian  ; et il irriguera tout le romantisme et le symbolisme du XIXème, tels les préraphaëlites Même la photographie met à l'honneur Merlin et Viviane dès 1874 par cette grande photographe que fut l'anglaise Julia Margaret Cameron. Je ne te dis pas la beauté d'un portrait qu'elle aurait pu faire de celui qui, par ailleurs, reconnaissait en lui quelque chose de ses «  ancêtres gaulois  »!

  • J'en rêve  !

  • Moi aussi, mais revenons à notre pomme d'amour.... Sais-tu qu'au   Caucase – correspondance extraordinaire pour ce qui nous concerne – le mot ma signifie à la fois "pomme" et "étoile"  ?

  • Non, mais tu viens de me l'apprendre  !

  • Ce n'est pas la peine, je pense que nous nous attardions sur sa préhistoire et son histoire ainsi que le côté scientifique et sanitaire. On connaît la pomme de Newton autant que la pomme d'Adam et le proverbe An apple a day, keeps the doctor away: une pomme par jour, le médecin fait demi-tour  ! Tout ceci est sur internet. On y parle même des pommes laitières et sensuelles des femmes... et du Cantique des Cantiques contenant la première évocation des pommes dans la littérature universelle.



«  Comme un pommier parmi les arbres d’un verger,

Ainsi mon bien-aimé parmi les jeunes hommes.

À son ombre, désirée, je me suis assise,

Et son fruit est doux à mon palais.

  • Je vois que ta mémoire ne se cantonne pas à Rimbaud, qui, je l'espère, n'est pas perdu de Vue, commissaire  ! Rimbaud dans une pomme  ! J'attends de voir  !

  • Tu vas voir... Mais, une fois encore, patience  ! Savoure ce qui t'es offert présentement  : le présent du présent.

«  Tiens, savoure cette correspondance encore bien extraordinaire entre la pomme et la rose. La pomme est aux fruits ce que la rose est aux fleurs: nulle fleurs n'a autant de variétés que la rose; nul fruit n'a autant de variétés que la pomme. Par ailleurs, malus appartient à la famille des Rosacées... Et pour les gréco-romains, la pomme est un cadeau d'amoureux au même titre que la rose. Elle aurait été créée selon eux par Dionysos qui l'aurait offert à Aphrodite, sa maîtresse ayant pour compagnons... les érotes!

«  Erotes... Eros... Rose! Pas mal, pour un malus...

- C'est vrai...

«  La correspondance est à tous les niveaux, Paul: "tomber dans les pommes", c'est originellement tomber dans les pâmes, en pâmoison... Enfin, sais-tu que – cerise sur le gâteau! – la planète Vénus forme tous les huit ans le pentagramme par la trajectoire de ses conjonctions avec le soleil?  »

Paul sourit. décidément le commissaire était une véritable encyclopédie, autant rimbaldienne que pomméenne...

Non, répondit-il.

Eh bien je suis heureux de te l'apprendre. Mais voici que par le pentagramme naturel, inscrit au coeur du fruit, par le nombre 5 en étoile, le coeur de la pomme devient symbole de l'homme complet en tant que microcosme, – c'est l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci! Pour le macrocosme, le pentagramme est associé au nombre d'or, le nombre harmonique du cosmos – qui je parierai se trouve dans Le Printemps de Poussin comme il l'est dans son célèbre tableau Les bergers d'Arcadie, comme la Joconde de Léonard de Vinci, comme La Naissance de Vénus de Botticeli, comme...

Arthur...

Ainsi, cher ami, par le pentagramme des conjonctions de Vénus, la pomme devient, de façon astronomique, le fruit de Connaissance mais aussi de l'Amour, poursuivit Arthur comme raccrochant naturalo-presto le wagon à la locomotive.

C'est beau, fit Paul songeur.

Il était un peu perdu quand même. La compote mythologique , et artistique maintenant, faisait son effet.

Bien, revenons à notre expérience, dit Arthur.

Ah  ! Enfin je vais voir la pomme de Rimbaud  !

Le commissaire sourit et se lança avec le professionnalisme d'un scientifique doublé d'un professeur vulgarisateur et pédagogue.

Nous avons deux moitiés de pomme. La première moitié, appelons-là partie reliée. C'est, tu ne manqueras pas de le remarquer, la partie qui se relie à l'arbre par le pédoncule ou pétiole, qui ont la même étymologie: «  petit pied  ». L'autre moitié, appelons-la côté de la chute, puisque si cette pomme était tombée de son support, son impact naturel contre le sol aurait été ce côté-ci. L'attraction terrestre est si forte et la forme de la pomme si équilibrée, – auxquels paramètres il faut ajouter son poids assez conséquent – qu'elle n'aurait pu pirouetter en hélicoptère comme une samare d'érable ou un homme tombant du ciel! Cette partie, ce pôle sud de la pomme tandis que l'autre indique le nord – une vraie boussole cette pomme! – cette partie basse donc symbolise le côté "chute terrestre". Elle est du côté du diable qui signifie "division"; et c'est un imitateur, un "singe" – pris dans son symbole chrétien, je précise car je te vois bouder mon mélange du singe au diable. Eh  ! On n'apprend pas aux vieux singes à faire la grimace  ! Bien sûr que l'orang-outang que tu voudrais être dans une vie postérieure serait davantage proche du singe sage vu par les asiatiques à travers cette sculpture représentant trois singes  : l'un se fermant les yeux, l'autre les oreilles et le dernier la bouche, signifiant  : «  Ne rien regarder, ne rien écouter et ne rien dire de mauvais  », et qu'il serait plus une force pacificatrice et unitive.   Oublies le singe, si ça te gêne. C'est vrai que pondu comme ça... D'ailleurs, je m'étonne que tu ne veuilles pas plutôt te réincarner en babouin, sans péjoration, car, ce qui devrait davantage te réjouir, mon cher – bien que cela nous détourne de la pomme – c'est d'apprendre, en sortant des chemins battus, que l'Éthiopie est connue depuis l'antiquité comme le «  pays des singes  », véritables animaux familiers et sacrés; que, selon une histoire non officielle, la constellation de Cephée est loin de se réduire à ce que nous apprend Wikipédia ne parlant que de mythologie grecque, puisqu'elle  aurait un rapport certain au babouin, de la famille des «  cynocéphales  »  : «  tête de chien  ». Et vous serez ravis d'apprendre qu'«Éthiopie  » s'il vient du grec Æthiops, désigne une espèce de singe  ; que d'un point de vue purement scientifique, le babouin est connu pour être le seul animal à fixer l'aube des yeux, tous les matins, cela dans une posture assise que les anciens égyptiens représentèrent de nombreuses fois  ; que, d'ailleurs, et curieusement, à la posture du babouin presque au centre du Zodiaque du temple de Denderah, on peut superposer la constellation de Cephéus bien connue des égyptiens  ; tu seras encore heureux d'apprendre qu'on a représenté aussi un babouin harpiste...  ; qu'il était connu encore comme scribe savant détenant la connaissance de la réalité – associé au dieu Thot  ; que le mythe du Roi des singes trouve sa signification dans la constellation  et a pour origine, avant l'Égypte, l’Éthiopie, «  le Pays où vivent les singes  », désigné par les égyptiens antiques comme le «  Pays de Pount  », c'est à dire «  pays du dieu  », (qui serait on devine quoi...), et je ne te parle pas d'Hanuman, le Dieu Singe ou Roi des Singes en Inde, qui en découle par l'intermédiaire de la conquête d'Alexandre le Grand, ni de Saint Étienne, ou Saint Stéphane, premier martyr chrétien, qui figure dans le Coelum Stellatum Christianum, tenant une plume et un livre au sein de constellations et qui serait un avatar du babouin égyptien s'apparentant à Thot, dieu de l'écriture. Mais par ma pomme  ! où m'as-tu emmené, Paul  ?

Je suis désolé, j'ai encore fait dévié du sujet. Mais, ça valait le coup. Me voilà en paix maintenant.

Ouf  ! On peut dire que tu n'es pas un associé facile. Tu es gourmand, – j'adore. Je m'adapte. Tu es fait ainsi. Et, heureux les gourmands spirituels, car ils ne s'ennuieront jamais  ! Mais il te faut une fois pour toutes, mon cher, prendre conscience, que ces exercices, pour riches soient-ils, sont périlleux – pas pour moi, pour toi – et ne facilitent pas notre tâche. Toutefois, ce n'est certainement pas un hasard si tu as buté sur mon «  singe  », – et, par ma pomme, vaille que vaille, on va y arriver au bout de la Pomme  !

Et par la pomme d'Arthur, oui! dit Paul en se grattant la tête. Puis, en un clin d'oil il se représenta Rimbaud Babouin. Mais il fut vite ramené à Encyclopédia universalis qui ramena l'affaire de la pomme au cœur du sujet.

Ce que je voulais te dire, reprit le commissaire en montrant une pomme, – et par chance, c'est peut-être illustré par notre longue parenthèse simiesque, c'est que ce côté non relié de la pomme, côté «  chute  », offre le choix de la facilité : aller droit au but, sans effort, sans avoir à porter la croix. Alors que la partie reliée est tout le contraire. D'ailleurs, traçons une croix au travers de l'étoile.

Arthur s'exécuta.

      • Relions maintenant les quatre extrémités.

Il les relia par quatre traits.

      • Nous obtenons un carré. À cette figure plane à deux dimensions – la longueur par la largeur qui ici sont égales – nous allons en ajouter une troisième par la profondeur et créer ainsi un volume, un cube. Nous allons découper avec ce couteau au sein de la pulpe dans le prolongement de nos quatre lignes; oui, découper un cube de part et d'autre de l'axe de la pomme.

Il tailla son cube.

      • Le suc jaillit sous tes doigts, dis-donc! remarqua Paul.

Et hyper concentré et imperturbable, le commissaire continua  :

      • Bon, le cube obtenu, nous allons encore entamer la chair pour nous rapprocher de l'axe le plus possible. Si nous avions fait une coupe classique, longitudinale, nous aurions autour de cet axe et à mi-chemin entre le haut et le bas, deux pépins. Ces pépins sont comme tu le devines au nombre de cinq et forment une couronne là où l'on avait une étoile.

Arthur creusa dans la pulpe. Il ne resta qu'une tige plantée sur un morceau de pulpe conique et enrobée de peau.

      • Maintenant, dis-moi, Paul, à quoi te fait penser ce bloc où est planté une tige.

      • Excalibur!

      • Ex-calibur! Ça carbure! L'épée mythique plantée dans le rocher carré! Voyons l'autre partie. Elle porte sur sa surface plane une étoile semblable. Nous avons dit qu'elle était côté chute. Nous nous passerons donc d'y faire une croix. Et nous allons nous rapprocher de la tige en taillant de même le plus proche possible de l'axe vertical.

Il creusa.

      • On dirait un sablier, nota Paul

      • Oui, et c'est un rapport au temps qui nous est indiqué. Mais n'y a-t-il pas autre chose? Regarde le bout "côté relié" à présent face au soleil.

Par chance tout le salon était inondé de soleil.

      • Tu vois, Paul?

      • Euh... Oui. J'ai un bout de pomme au soleil.

      • La lumière la traverse et l'illumine...

Paul regarda à nouveau.

      • Ah oui!

      • Regarde l'autre bout maintenant.

Paul prit le bout "côté chute" et le contempla dans la lumière.

      • Un autre bout de pomme au soleil.... Tout illuminé!

      • Illuminé! Peut-être pour toi... Après tout, on n'a peut-être pas les mêmes yeux. L'essentiel est de voir avec le coeur. Moi je le vois opaque. Opaque, oui. Le soleil illumine l'extérieur, mais il ne filtre pas la lumière. Regarde le côté relié. On voit à travers la partie censée être opaque, autrement dit la partie cachée de l'iceberg, du pédoncule quoi.

Paul reprit le "côté relié" et examina la chose avec attention.

      • Ah oui!...

Paul était comme devant les Béatitudes. Cela lui parut soudain évident. Pourtant il doutait un peu et se demandait si cette vision ne dépendait pas de la variété de pomme, car à vrai dire, il n'était pas intimement convaincu de la chose. Et puis, le commissaire Belpomme n'était-il pas un peu partial? Car pourquoi ne pas faire de croix sur la partie chute – oui, pourquoi? – , mais il mit cela sur le compte de son ignorance, de sa cécité spirituelle, et malgré ses réticences, il devait bien admettre que tout cela contenait une certaine logique. Par exemple, la chute: pas d'effort, pas d'élévation. Eh oui! du côté relié, on doit monter au ciel, c'est plus dur...

Malheureusement pour Paul, le commissaire Belpomme avait l'oeil.

      • Tu n'as pas plus l'air convaincu qu'un vaincu se trouverait...

      • Content?

      • Oui, on peut dire. Mais après tout tu peux te raconter ta propre histoire avec la pomme, devenant tienne, ta pomme et c'est merveilleux!

      • En effet, finit par dire Paul. Je suis pas loin d'être cuit. C'est pas pour me déplaire, j'adore les pommes cuites!

      • Plaisanterie à part, tu peux aussi trouver arbitraire d'élever, de sacraliser une moitié et de jeter l'autre au rebut. Oui, ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, comme le dit Hermès – d'où vient "hermétique". Elles ne servent qu'à donner une image, à illustrer deux choix, deux attitudes différentes et opposées face à la vie. Cela dit, Paul, la pomme, tu peux la croquer entière jusqu'au trognon. Ce serait même sacrilège d'en laisser la moitié.

      • Mais je repensais aussi à Rimbaud, il est dans une pomme m'as-tu dis.

Paul ne savait pas que ce simple rappel à cet endroit de leur entretien allait donner lieu étrangement à une sorte de bouquet final, allait faire s'envoler la parole de son interlocuteur passionné comme un aigle dans ses «  chers cieux délicieux  » où il planait aisément et prenait de la hauteur par une spirale ascendante, – et il ignorait pareillement qu'il se sentirait alors quelque peu son lapin qui ne pourrait échapper à son Destin.

      • Oui. Rimbaud est dans une pomme, confirma le commissaire Belpomme. Un jour, tu auras la réponse à ma parole énigmatique – C'est oracle, ce que je dis. Mais, là, pose-toi la question. Rimbaud, a-t-il été côté chute? Côté relié? A toi de te faire une idée. La mère de Rimbaud, image de la vertu, disait que ses enfants avaient hérité de tous les défauts de leur père. Souviens-toi de Merlin, fils d'une vertueuse chrétienne et de Satan: par sa mère il aspirait à la béatitude, par son père à la damnation. Qui donc, chez Rimbaud comme chez Merlin en fin de compte l'a emporté: Dieu ou Satan?

«  Moi, de manière globale, tout comme cette pomme, je pense qu'il a porté sa croix, notre Arthur – un vrai roi en son royaume. Rimbaud pourrait dire comme André Breton: «  j'ai été doué de génie par le chaudron de Keridwen.  », qui évoque le mythe celte du grand Barde Taliésin (et les Vates assimilés au Voyants par Rimbaud appartiennent à la même classe sociale). Ce Taliésin était dans sa jeunesse l'assistant de Keridwen ou Ceridwen, une forme de la Grande déesse assimilée plus tard à une sorcière. Il l'aidait à préparer un breuvage magique destiné au fils de celle-ci afin de lui donner de l'esprit. C'est lui qui en a bénéficié involontairement. Tu pourras toi-même te documenter si cela t'intéresse. Sache quand même qu'il y est question de trois gouttes qui dotent de l’inspiration prophétique et rendent capable son détenteur de raconter le monde à venir.

«  On voit la richesse symbolique des rapports tissés par la tradition entre le poète et Keridwen. Celle-ci n’est-elle pas aussi bien la Sorcière rimbaldienne d’«Après le Déluge»? Ce poème parlant de «  la Reine, la Sorcière qui allume la braise dans le pot de terre  », fait par ailleurs référence à l'alchimie. Le pot de terre est un symbole de la prima materia qui représente dans la psychologie des profondeurs dont parle Jung, grand explorateur devant l'Eternel, la totalité originelle de l'inconscient. La Sorcière peut être vue comme l'instigatrice du processus alchimique de la purification jusqu'à trouver la pierre philosophale en soi, le Graal pour les chrétiens, et en psychologie, l'individuation ou réalisation du Soi.

«  Arthur Rimbaud avait la conscience d'une mission élevée: "Il faut que j'en aide d'autres" avait-il dit lors de sa plongée dans l'ésotérisme. Il avait voulu abattre l'arbre du bien et du mal et retrouver l'unité divine. Il en avait aidé d'autres mais pas pour ce qu'il croyait: là-bas, il avait fait son possible pour soulager la misère des indigènes. Même si sur son lit de mort il écrivit avec douleur à sa soeur: "C'est moi qui ait tout gâté par mon entêtement à marcher et à travailler excessivement. Pourquoi au collège n'apprend-t-on pas de médecine au moins le peu qu'il faudrait à chacun pour ne pas faire de pareilles bêtises?"

«  Côté chute? Côté relié?

«  Elle est retrouvée.

Quoi? – L'Éternité.

C'est la mer allée

avec le soleil



«  La mer  : image du féminin et de l'Inconscient, et le soleil  : image  du masculin et du Conscient. Rimbaud a pressenti le dialogue avec l'intérieur, avec ce que nous nommons aujourd'hui Inconscient. Il a manqué d'outils. Aujourd'hui, il aurait pu écrire:

  «  C'est le Soleil

allé avec la Mer...

«  Côté chute, côté relié?



«Par les soirs bleus d'été, j'irai par les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.



Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:

Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, – heureux comme avec une femme.



«  Cela s'appelle justement «  Sensation  ». Or l'Inconscient se nourrit de sensations. Une des caractéristiques de la poésie de Rimbaud est d'être sensuelle dans le sens où elle fait appel aux sens. Le corps se voit aussi incarné comme jamais dans la poésie. Son oeuvre et par extension sa vie, lui redonne son importance, remet le corps en avant, remet le corps au coeur de la parole, et préfigure l'inversion donnée aujourd'hui comme paradigme: «  la parole au coeur du corps  » pour reprendre le titre d'un livre...

«  Côté chute? Côté relié?

«  Combien Rimbaud illumine-t-il de vies aujourd'hui? Nul poète n'a eu autant d'émules, autant de fans. Il rayonne, il est dans le courant, moderne.

«  Côté chute? Côté relié?

«  Certes, il y a de quoi constituer un dossier «  Saint Rimbaud  » et un dossier «  Rimbaud salaud  ». Le saint et le martyr qui éclatent dans les lettres aux siens, et sur lesquels sa soeur Isabelle insistera un peu lourdement, semblent être contrecarré par sa correspondance professionnelle. Lorsqu'il écrit, par exemple, à Ilg le 1er février 1888: «  Morale: rester l'allié des nègres, ou ne pas les toucher du tout, si on n'est pas en pouvoir de les écraser complètement au premier moment  », je souligne.

«  Est-il d'humeur massacrante, caustique ou simule-t-il l'arrogance pour détourner les soupçons sur ses bontés envers les indigènes? Toujours est-il que l'ironie mordante parcourt toute la lettre telle qu'elle éclate dans ce passage sur «  l'épopée de Massouah  »: «  Ils vont faire la conquête des mamelons volcaniques disséminés, les relier par des voies ferrées de camelote, et arrivés à ces extrémités, ils lâcheront quelques volées d'obusiers sur les vautours, et lanceront un aérostat enrubanné de devises héroïques. – Ce sera fini.  ». Cette ironie fera prendre la mèche; son associé dira à propos de sa lettre: «  J'en ai bien ri, je vous garantis, je vois avec le plus grand plaisir que derrière votre masque d'homme horriblement sévère se cache une bonne humeur que beaucoup auraient bien raison de vous envier.  »

«  Quel sens donner à la vie et l'oeuvre de Rimbaud aujourd'hui? Voilà la question cruciale. Celui de ce témoin privilégié qu'est sa soeur Isabelle? Elle écrivit: «  En définitive, je dirai: Rimbaud, malgré qu'il se soit aventuré aux sphères interdites, malgré qu'il ait mangé le fruit défendu, ne s'est pas damné. Il a toujours su fuir à temps le grand péril. Je dirai même que d'avoir violé les cimes l'a confirmé dans sa mission providentielle, laquelle fut, comme cela éclate aujourd'hui, de pousser les âmes d'élite vers Dieu. Et j'ai la conviction absolue qu'il entrait aussi dans les desseins d'En-Haut que cet élu se vêtit sur la terre des oripeaux de l'incroyance, afin de mieux prouver aux hommes l'inanité de leurs révoltes contre la Puissance Éternelle.  »

«Doit-on lui préférer  le sens donné par une psychologue qui ne le connaît qu'à posteriori et dit qu'il a toute sa vie recherché l'amour de sa mère et que sa fuite a été une contrition, vécue comme un rachat de sa vie passée? Moi j'aime bien Henri Miller qui disait dans son essai   Voici le temps des assassins  paru en 1946: «  Toute sa volonté était tendue vers la complète libération de l'esprit  »: il le voyait de fait comme le Christophe Colomb de ce domaine; mais surtout il ajoutait: «  Je me vois en Rimbaud comme en un miroir  ». Voilà ce que disait ce petit frère américain du XXème siècle. On peut penser qu'il l'aurait traduit s'il avait été son contemporain, comme le fit Baudelaire pour Poe.

«  J'aime aussi le Miller, humble, qui disait: «  C'est le seul écrivain dont j'envie le génie.  »; J'aime le Miller reconnaissant: «  N'y a-t-il pas quelque chose de profondément miraculeux dans la venue de Rimbaud sur terre, comme le furent le réveil de Gautama ou l'acceptation de la croix par le Christ ou encore la mission de la délivrance de Jeanne d'Arc? J'aime enfin le Miller intelligent et spirituel qui déclarait: «  L'artiste ne gagne le droit de s'appeler créateur qu'en reconnaissant être un instrument: "Auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé". Ainsi parlait Rimbaud lorsqu'il n'était encore qu'un jeune homme arrogant. Mais il exprimait là une vérité profonde. L'homme ne crée rien lui-même et par lui-même. Tout est créé, tout a été prévu. Et pourtant nous sommes libres. Libres de chanter les louanges de Dieu. C'est l'oeuvre la plus haute dont il soit capable. Elle est sa liberté et son salut, car c'est là le seul moyen de dire oui à la vie.  » 

«  J'apprécie aussi Julien Gracq dans ses pages consacrées à Rimbaud, notamment dans son essai sur André Breton: «  Les interprétations douteuses du silence de Rimbaud où l'on s'est trop longtemps égaré ne doivent d'aucune manière faire perdre de vue que son «  message » (pour une fois l'expression remagnétise tout son sens) est avant tout l'annonciation de la bonne nouvelle que le royaume de la poésie est en nous, devant nous, si nous savons le conquérir. Il nous met en demeure de franchir le pas décisif de la poésie condiment, à la poésie levain. Il est le premier à concevoir franchement la poésie comme un appel à une manière de vivre – une introduction à un mieux-vivre.  » L'essentiel, disait-il est que la poésie aille loin en nous, en soi.

«  On peut aller loin dans l'exploration, poursuivit avec allant le commissaire. Avec qui on veut, avec soi-même j'espère.

«  La pomme, pour en revenir à elle, est un miroir qui est conte d'ombre et de lumière, de lumière et d'ombre, elle peut dire l'indicible comme la Bouche d'ombre. Et si ta bouche croque dans une pomme, tu croques dans la vie même, avec ses ombres et ses lumières. L'essentiel est que la pomme te donne du grain à moudre, te guide, te donne du sens, te fasse enfin exploser les papilles et inonde de joie et de lumière ton être qui somme toute, contient beaucoup plus de pépins qu'une pomme... Et la poire? Dix sept mille variétés quand même, contre vingt mille de pommes. Au fait, tu dois te dire, "Comment suis-je aussi poire? Un tel bonimenteur!"

Je me dis  : quelle envolée passionnée  ! Mais aussi que tu es fou, et que moi je le suis suffisamment pour te croire; alors fou pour fou, autant en rire et s'éclater l'âme. Le pire, ce serait que la pomme devienne poire d'angoisse... quoique Adam et la pomme d'Eve, c'est les boules...

Mais non. Et merci, Serpent, d'avoir tendu pour ainsi dire la pomme à Eve; sinon, qu'est-ce qu'on s'ennuierait – et je reste poli – dans le paradis sempiternel, tous nus, ignorants comme des bêtes, sans art...

Oui, l'Age d'or, un bel idéal!

En rêver est sain; vouloir le restaurer une démence. Il est vrai que le pommier porte le nom latin malus, correspondant à la vision spirituelle du Christianisme sur son fruit. On est loin de la pomme d'or du jardin des Hespérides. Hitler lui a réduit la pomme en miettes passant ainsi à côté de son secret qu'il cherchait pourtant avec son super bataillon d'élite. Mais, ne gâchons pas notre plaisir. Sais-tu la différence entre la poire et la pomme?

      • On se fend la poire et on se suce la pomme.

      • Coquin, la poire n'a que quatre rangées de pépins, alors que la pomme en a cinq, du moins sur la plupart des variétés et les plus anciennes... Normal, la poire est un fruit bien terrestre qui représente les quatre éléments; la pomme est un fruit terrestre et céleste puisqu'il ajoute un cinquième élément, l'esprit. C'est le fruit spirituel par excellence. Sa forme sphérique représente déjà la totalité, mais de tous les fruits sphériques: cerise, prune, abricot, groseille... il est le seul à ne pas avoir de noyau. C'est aussi le Féminin, et l'Inconscient dans sa plus belle expression «  fruitale  ». Une expression poétique et gastronomique. On peut même s'amuser avec l'étoile de la pomme et y inscrire à chaque pointe des branches la composant: Esprit, la pointe en haut ou la tête; Eau, le bras gauche; Air, le bras droit; Feu, le pied gauche; Terre, le pied droit. Dans le même ordre je peux faire correspondre une sorte de devise ou mieux de prière, de mantra: Savoir, aimer, oser, vouloir, se taire. Hein? Qu'est-ce qu'on s'amuse avec la pomme!

Surtout avec le commissaire Belpomme!

  • Tu dois te dire que je ferais bien de me taire un peu.

  • Pas du tout.

  • Rimbaud devait se ceindre les reins pour sonder les reins et les coeurs à l'image de Dieu. Deux expressions bibliques que tout humain peut se faire siennes. Mais ne faut-il pas compter sur Dieu, autrement dit l'Inconscient, pour entreprendre ce voyage? Paul, nous arrivons au bout du nôtre et si tu veux mon humble avis, cette rencontre de neuf jours fera un jour un beau roman...

Aux pommes?

Ils éclatèrent de rire. Et comme, l'un face à l'autre et sous les auspices du poète pastelisé, ils buvaient du jus de pomme... mon cher lecteur peut imaginer le tableau  !

  • Et Rimbaud dans une pomme, alors? fit Paul se ressouvenant le but de cette avalanche de mots, – c'était une blague  ?

Le commissaire sourit.

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Rimbaud passion
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