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Rimbaud passion
15 janvier 2018

Paul au pays de Rimbaud et Juliette (dernière version - Chapitre 24)

XXIV

 

OÙ PAUL EST QUESTIONNÉ ET FAIT UN RÊVE EN ABYSSINIE

 

 

Paul se dit que le lendemain il partirait pour Roche et il retourna au camping avec sa guitare. Au snack, un groupe se trouvait en terrasse. Dont un guitariste. Ils jouèrent ensemble un moment avec plaisir; Paul se donna à fond, au chant comme à la guitare.

Lors d'une pause un homme que Paul croisait de temps en temps et qui l'appelait «Rimbaud», lui demanda:

  • C'est quoi ton pays d'amour?

  • L'Anjou, où je suis né.

L'ardennais était resté perplexe. Comme déçu. Mais lors de leur rencontre suivante, il l'appellera encore Rimbaud!

 

Paul décida ensuite d'aller dans un café dont il avait entendu parler. Il chanta des poèmes de Rimbaud à la patronne. Il rencontra ensuite son fils qui apparemment savait des choses sur leur poète.

Celui-ci lui raconta que le grand-père ou l'arrière grand-père de son ex était garde-champêtre et que du côté d'Attigny il avait recueilli Rimbaud et Verlaine dans les fossés, complètement bourrés...

Il lui dit aussi que près de Mourmelon était la campagne qui ressemblait le plus à celle d'autrefois. Mais il lui déconseillait d'y aller. Il y avait une base militaire!

Il lui conseilla plutôt d'aller aux archives départementales pour voir à quoi ressemblait le paysage de Roche au temps de Rimbaud. Et par internet, on pouvait accéder à ces informations.

Il lui conseilla enfin d'aller à la Grotte-aux-Cailles à Charleville, où Rimbaud et Delahaye se rencontraient en secret. Des boutons et bougies avaient été retrouvées. Cela se situait route de Saint-Laurent; en bas de la côte, direction Romey et Vivier-au-Court.

À un moment, le jeune homme lui demanda:

  • Tu vas aller en Afrique?

  • Non, répondit Paul.

Le gars ne dit rien. Incompréhension.

 

Paul ne lui avait pas parlé de son roman. Le jeune homme lui aurait peut-être dit pour le convaincre que vouloir faire un roman sur Rimbaud sans aller en Abyssinie... enfin l'Éthiopie, ne pouvait pas valoir grand chose. Paul aurait répondu que vouloir qu'il soit allé jusque là-bas pour faire un bon roman sur Rimbaud, cela reviendrait à demander à Jules Verne d'avoir été sur la lune avant d'écrire De la Terre à la Lune. Était-ce un mauvais roman?

«Je croyais aussi que j'allais donner à mon roman du corps comme à un vin en venant ici. Mais ça, ça le bousillerait!», s'était dit Paul.

La soirée s'avançait. On lui dit de revenir telle date pour chanter devant du monde. Il dit qu'il essaierait de venir. Que ce serait un plaisir. Mais le pourrait-il?

Paul retourna au camping. Ni archives départementales ni Grotte-aux-Cailles en vue. Il n'avait plus qu'une idée, qu'un désir impératif en tête, Roche! Et il devrait faire vite pour être au rendez-vous avec Juliette.

 

Avant de dormir, Paul sortit son Rimbaud de la Pléiade. Il l'ouvrit au hasard et tomba sur une bribe de prose non datée et lacunaire, mais qui, si elle était authentique, faisait écho, pensa-t-il, avec son rêve précédent et avec la vie d'Arthur en Orient:

«Quand s'arrêta la caravane d'Iran à la fontaine de Ctésiphon, elle fut au désespoir de la trouver tarie. Les uns en accusèrent les mages, les autres les imams. Les chameliers s'unirent en imprécations […] Ils s'étaient mis en route depuis plusieurs lunes avec […] chargement d'encens, de myrrhe et d'or. Leur chef s'écria […] décida de supprimer […] Certains acceptèrent.»

Paul ouvrit à un autre endroit puis à un autre, dans la lourde et parfois poignante correspondance du Harar et d'Aden. Il referma.

Un échange avec le jeune au café lui revint à l'esprit :

«Tu vas aller en Afrique?

  • Non.

« Tu ne me comprends pas ? » se vit-il répondre en rêve à son interlocuteur, comme pour rattraper son silence du moment.

« Lis un peu sa correspondance de Là-Bas, tiens. Prends par exemple la longue lettre du 9 novembre 1887. Incompréhension totale du lecteur aimant ses poèmes. Incompréhension et dégoût, même. Lui-même ne comprenait pas ce qu'il faisait là. Lui-même avait du dégoût.

« Que de tracas de toutes sortes! Que de fatigues incessantes! Que de souffrances physiques! Et la tragédie de son destin condensée dans ces quelques lignes d'une lettre de la même année: «Pourtant, je ne puis aller en Europe, pour bien des raisons, d'abord, je mourrais en hiver; ensuite je suis trop habitué à la vie errante et gratuite; enfin je n'ai pas de position.

«Je dois donc passer le reste de mes jours errant dans les fatigues et les privations, avec l'unique perspective de mourir à la peine.»

Incompréhension?

Oui, incompréhension et peine, voire colère de voir un Rimbaud qu'on ne reconnaît plus, dont la vie est centrée sur le gain d'argent, en espérant en recueillir suffisamment pour que ses rentes lui assurent une paisible retraite.

Et pourtant...

«Il a fait de sales choses en Afrique...» réentendit Paul, comme pour le salir à jamais.

Il pleura, mais il repensa ensuite au miracle de la rencontre avec Pierre-Charles et Asnaku... Asnaku...

Et, rêvant de son voyage à Roche, c'est en pensant à Juliette qu'il s'endormit. Elle lui souriait.

Dans sa tente à la merci du vent et de la pluie, il fut alors transporté dans un rêve. Un film sur voix off:

 

«Aden, le 30 avril 1891.

Ma chère maman,

J'ai bien reçu vos deux bas et votre lettre, et je les ai reçus dans de tristes circonstances. Voyant toujours augmenter l'enflure de mon genou droit et la douleur dans l'articulation, sans trouver aucun remède ni aucun avis, puisqu'au Harar nous sommes au milieu de nègres et qu'il n'y a point là d'Européens, je me décidai à descendre. Il fallait abandonner les affaires: ce qui n'était pas très facile, car j'avais de l'argent dispersé de tous côtés; mais enfin je réussis à liquider à peu près totalement. Depuis déjà une vingtaine de jours, j'étais couché au Harar et dans l'impossibilité de faire un seul mouvement, souffrant des douleurs atroces et ne dormant jamais. Je louai seize nègres porteurs, à raison de 15 thalaris l'un, du Harar à Zeilah; je fis fabriquer une civière recouverte d'une toile, et c'est là dessus que je viens de faire, en douze jours, les 300 kilomètres de désert qui séparent les monts du Harar du port de Zeilah. Inutile de vous dire quelles horribles souffrances j'ai subies en route. Je n'ai jamais pu faire un pas hors de ma civière; mon genou gonflait à vue d'oeil, et la douleur augmentait continuellement...

 

Six jours étaient passés, de souffrance et d'insomnie. Aucune amélioration! Sa jambe servait toujours autant d'enclume... C'était même pire.

Il ne devait pas espérer guérir avant trois mois sous les circonstances les plus favorables, cela dans un milieu et sous un climat des plus défavorables. Placé à l'hôpital européen, Arthur était étendu, la jambe bandée, liée, reliée, enchaînée de façon à ne pouvoir la mouvoir.

Le soleil qui faisait du cratère une fournaise commençait son lent déclin, – un salut!

Arthur demanda de quoi écrire. L'écriture était aussi une oasis dans ce désert desséchant. Et tel est le mot – d 'origine égyptienne, il le savait – qui lui venait à l'esprit quand il s'y adonnait, ne serait-ce que pour écrire les choses les plus prosaïques. Il écrivit rapidement.

"Je suis vraiment né pour écrire...", pensa t-il avec un zeste d'amertume, de regret, de frustration.

Il se revoyait enfant, se souvenait de son premier frisson de plaisir après avoir écrit son premier voyage rêvé. Cette sensation était intacte, juste au moment où il faisait ses premiers déliés; ce plaisir physique et spirituel était indépendant de ce qu'il écrirait. Mais, l'esprit de l'écrit en cours l'annihilait peu à peu.

Lorsqu'il écrivit "Je ne sais quoi faire", dans cette lettre qu'il adressait à sa mère, il soupira et fit une pause.

Il regarda le ciel devenu rose par sa fenêtre. Il repensa à Djami. L'effet qu'il lui faisait. Le même que lorsqu'il écrivit en pleine nature un de ses premiers poèmes. Il était intitulé Sensation. Oh la sensation de sa jambe!

Il écrivit ce qui n'avait jamais quitté sa mémoire, mais en amharique:

 

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.


Je ne parlerai pas, je ne penserai rien,

Mais l'amour infini me montera dans l'âme ;

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, - heureux comme avec une femme.

 

Il pleura. Cette jambe qui avait été picotée par les blés allait disparaître, le médecin lui avait parlé de suite de la couper. Demain, ce soir peut-être...

Toc-toc-toc!

Arthur sursauta.

Votre souper, Monsieur Rimbaud, dit la jeune infirmière fort discrète. Elle avait un physique chevalin.

  • Ah... Bien... Merci...

Elle lui tendit à deux mains le plat fumant.

Son regard rencontra le sien, un instant, tandis qu'il saisissait l'autre rebord du plat. L'homme était devenu un squelette, comme il l'écrira.

«Je fais peur. Mais pas à elle.»

La lippe humide, elle avait de grands yeux noirs posés sur lui, sur son visage, cherchant de l'amour dans ses beaux yeux bleus clairs, délavés, fatigués «des marches à pied et à cheval au Harar» et des insomnies continuelles, souffrants de douleur atroce et de la chaleur, mais se raccrochant à l'idée que «de meilleurs jours viendront».

Il cilla, se raidit, une convulsion sur le visage.

  • Merci, dit-il sèchement.

Il eut un haut le cœur à l'exhalaison de la fumée s'échappant, semblant affolée, de son réceptacle métallique.

Comme par enchantement, de noires illuminations tournoyantes et vrombissantes avoisinaient le repas. Il y en avait une posée sur sa jambe enrubannée, qui se frottait les mains. Il ne lui manquait plus qu'un tablier.

Elle, l'infirmière, confuse, fixa la mouche, enviant sa position.

  • Bon appétit, Monsieur Rimbaud...

Ses yeux noirs se posèrent sur sa feuille couverte d'encre qu'il avait devant lui, posée sur sa tablette de bois roulante à côté de son encrier et de sa plume. Il avait écrit en gros Sensation. L'infirmièreavait pu le lire la tête un peu penchée, avant même qu'il réagisse et ne le recouvre par une tape de sa main, faisant fuir l'insecte de sa jambe malade.

  • Pardon. Vous êtes poète?

Arthur rougit.

  • Moi aussi j'écris de la poésie. Cela me divertit du quotidien, cela me fait du bien à l'âme.

Arthur sourit, et des larmes filèrent de ses yeux. Il baissa la tête. Tremblant. La jeune femme posa sa main sur celle d'Arthur recouvrant le titre porteur d'un passé qu'elle ne pouvait imaginer.

De son autre main il tira sur la feuille. Les deux mains l'une contre l'autre glissèrent. Il lui tendit la feuille, comme une épée sortie de son fourreau, la poitrine gonflée et un sourire reconnaissant.

  • Tenez, c'est pour vous. Mais lisez-le chez vous et faites-en ce que vous voulez.

  • Ne voulez-vous pas signer?

  • Non.

Son "non" était catégorique et ne souffrait aucun commentaire.

  • Merci. Mais mangez, ça va être froid.

  • Oui...

Elle bavait d'amour. Elle mourrait d'envie d'un baiser de sa bouche. Mais il devait manger, et puis, et puis... elle ne voulait pas gâcher la magie.

  • Bon appétit.

  • Merci.

  • N'hésitez pas à sonner la cloche...

  • Oui...

Elle était sur le pas de la porte quand Arthur l'appela:

  • Mademoiselle!

  • Oui?

  • Vous êtes un bleuet d'Abyssinie. Cela n'existe pas ici, mais vous existez. Vous êtes un bleuet d'Abyssinie. Continuez.

Cela lui échappa en français. Elle s'émut sans comprendre un mot.

  • Continuez d'écrire, dit-il en amhara.

Elle serra le poème du bel homme contre sa poitrine, inclina la tête et disparut prestement de l'autre côté.

 

Arthur fut à nouveau seul, mais devant un repas peu ragoûtant. Il mangea. Un espoir lui mettait du cœur à l'ouvrage. Repu, il reprit sa lettre là où il l'avait laissé. Il rit en lisant: "La nourriture de l'hôpital, que je paie pourtant assez cher, est très mauvaise." En-dessous, il lut: "Je ne sais quoi faire."

"Si, je sais maintenant."

Il trempa sa plume dans l'encre et écrivit...

J'ai envie de me faire porter à un vapeur et de venir me traiter en France, le voyage me ferait encore passer le temps. Et en France, les soins médicaux et les remèdes sont bons marché, et l'air bon. Il est donc fort probable que je vais venir. Les vapeurs pour la France à présent sont malheureusement toujours combles, parce que tout le monde rentre des colonies à ce temps de l'année. Et je suis un pauvre infirme qu'il faut transporter très doucement! Enfin, je vais prendre mon parti dans la huitaine.

Ne vous effrayez pas de tout cela, cependant». De meilleurs jours viendront. Mais c'est une triste récompense de tant de travail, de privations et de peines! Hélas! Que notre vie est misérable!

Je vous salue de cœur.

Rimbaud

 

Marseille, le 9 novembre 1891, derniers mots écrits avant le grand Départ sans retour au directeur des messageries maritimes:

«…..........................................Envoyez-moi donc le prix des services d'Aphinar à Suez. Je suis complètement paralysé: donc je désire me trouver de bonne heure à bord. Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord...»

 

 

Paul se réveilla dans sa tente, non pas à Suez, – mais en sueur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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